« Nous faisons le lien entre le monde de l’environnement et le monde de la santé animale et humaine », explique Benoît Miribel, secrétaire général de la fondation « Une santé durable pour tous », créée en mai 2020 pendant le confinement anti-Covid19, « pour accélérer le travail transdisciplinaire qu’exige le rapprochement entre santé humaine, animale et environnementale ».
Rejointe par l’Agence française de développement (AFD), la Fondation qui compte désormais 60 organisations-membres (1) a organisé le Forum international « Une santé durable pour tous » (OSHForum), qui se tiendra à Lyon du 5 au 7 juillet 2023. A cette occasion, pourrait être présentée « la nouvelle stratégie française en santé mondiale ». Interview.
Benoît Miribel : La pandémie de Covid-19 a montré qu’on était tous confrontés à des enjeux sanitaires, environnementaux et sociaux, que l’on soit à Dacca, Dakar, Katmandou ou en Europe… Ce forum, unique en son genre, a été créé dans une démarche d’intérêt général pour qu’il y ait des échanges entre experts – tous bénévoles pour cette expertise – afin qu’ils puissent rendre compte du travail concret déjà effectué depuis deux ans dans le domaine du « One Health » (une seule santé) par 6 groupes de travail internationaux.
En juin, se sont déjà déroulées certaines sessions, montées par des membres du OSH Forum, telle l’ONG Friendship fondée par Runa Khan au Bangladesh. Ce pays étant obligé de raisonner en termes « One Health » depuis toujours !
D’autres pays ?
Au Liban, oeuvrent l’université Saint-Joseph qui a l’excellence scientifique et l’ONG Amel, créée en 1979 par l’extraordinaire médecin Kamel Mohanna, qui aide les populations vulnérables à travers tout le pays ; au Brésil, l’institut Fiocruz (Fundação instituto Oswaldo Cruz) ; au Sénégal, la ministre d’Etat Awa Coll-Seck, médecin, s’est engagée en collaboration avec l’ONG Enda… Nous essayons de fédérer le public et le privé, accélérer le partage des connaissances et des stratégies. Et notre forum étant gratuit et ouvert, tout un chacun peut s’y connecter !
Quel est votre constat ?
C’est une évidence qu’on ne peut pas combattre les effets du changement climatique, de la perte de biodiversité et la pauvreté sans que les gens soient en bonne santé. Pour lutter, il nous faut des gens en forme ! Une santé durable signifie qu’on ne peut pas continuer à être sur du court terme, à agir au coup par coup. Sauf que personne n’a de solution tout seul face aux polycrises sanitaires, environnementales et sociales.
Nous proposons donc de tous nous connecter les uns et les autres à travers le monde pour mieux définir les priorités, repérer les programmes pertinents, apprendre de nouvelles méthodes d’intervention… Chacun apporte des pièces du puzzle pour aller vers cette utopie d’une « santé durable pour tous », en tirant des enseignements de ce que font les autres et en travaillant à sa manière.
L’OMS y voit-elle une concurrence ?
Au contraire. Le directeur de l’ »OMS Academy », centre mondial de formation continue de l’OMS, qui est en train de se monter à Lyon pour ouverture l’année prochaine, m’a dit souhaiter qu’un accord de coopération soit conclu avec nous en septembre. Le centre intégrera ainsi l’enseignement One Health dans ceux délivrés par l’OMS.
« Les spécialistes de la santé et de l’environnement doivent travailler ensemble »
Un exemple à mettre en exergue avant le Forum ?
Il vient de mon expérience personnelle, qui m’a permis de bien comprendre l’incidence d’un problème climatique sur la santé. Il y a vingt ans, quand j’étais directeur général d’Action contre la Faim, j’ai vu les premiers migrants climatiques dans l’Afrique subsaharienne soumise à des sécheresses puis des inondations. Les paysans finissaient par vendre leurs chèvres, quitter leur village et se diriger vers les capitales.
Des anthropologues ont commencé à décrire ce phénomène. Il y a dix ans, à la tête de la Fondation Mérieux, je découvre autre chose, que les biologistes travaillent sur le microbiote, ces milliards de bactéries que nous avons dans l’intestin. Et que voient-ils ? Ces populations ayant migré vers les villes ont absorbé des graisses, des sodas alors que depuis des générations, en zone rurale, elles avaient une tout autre alimentation. Résultat d’un métabolisme inadapté à cette nouvelle alimentation, 2/3 des obèses au niveau mondial se trouvent aujourd’hui dans les pays en voie de développement.
Et ici ?
Le centre international de recherche sur le cancer basé à Lyon et qui dépend de l’OMS va communiquer une étude juste terminée sur « cancer et nutrition », en particulier sur les aliments transformés et leur impact sur la santé.
Quels enseignements seront tirés ?
Pendant trois mois après le Forum, tout expert pourra réagir et faire ses commentaires. En octobre, nous serons à Berlin à la grande réunion mondiale du « World Health Summit » et rendrons compte de toutes nos réflexions. Puis, en fin d’année, nous publierons un document explicitant toutes les bonnes pratiques pour une « santé durable pour tous ». Il ne s’agit pas de sauver la planète… sans nous. Elle, elle restera quoi qu’il arrive, mais nous, allons-nous prendre le risque de disparaître ?
Il faudra rappeler les équilibres à respecter envers le monde animal et végétal pour que nous puissions nous adapter. Nous qui sommes issus du « monde de la santé », ONG, fondations etc. savons travailler dans les ramifications des systèmes de santé des pays soumis au réchauffement climatique, à la perte de biodiversité etc.
Quelles sont les menaces principales ?
On ne tient pas assez compte des leçons du Covid-19. On n’investit pas assez sur la prévention, la formation, la préparation, alors même qu’une crise, une fois déclarée, coûte des milliards. Or, sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, les spécialistes nous disent que les résistances antimicrobiennes grandissent, que certaines maladies vont se répandre.
Exemple, les cas de dengue transportée par le moustique tigre, inconnue il y a quelques années en Europe, vont se multiplier. Les spécialistes de la santé (humaine et animale) et ceux de l’environnement (climat, biodiversité) doivent absolument travailler ensemble.
1. Institut Pasteur, IRD ; des ONG comme Friendship (Bangladesh), Humanité et Inclusion, Action contre la Faim… ; des associations ; des fondations comme l’African Climate Foundation ou l’European Climate Foundation, Fondation S, Aga Khan Foundation, Fondation de France etc. ; le monde académique et des établissements d’enseignement supérieur comme VetAgroSup… ; quelques entreprises…
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