Un peu partout dans le monde, agriculteurs, politiques et chercheurs vantent l’agroforesterie, qui consiste à planter des arbres au milieu des cultures, notamment pour la résistance qu’elle confère face au changement climatique. À l’occasion de la Journée mondiale pour l’environnement, ce samedi 5 juin, RFI fait le point sur la réalité de cette pratique, notamment en France.
Planter des arbres dans les champs pour atténuer les effets de la crise climatique : cette pratique agricole, nommée agroforesterie, a le vent en poupe chez les agriculteurs, chercheurs et organismes internationaux. Les responsables de la Commission européenne, de la Banque mondiale ou encore de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) saluent aujourd’hui les vertus écologiques de cette pratique. Mieux : ils encouragent vivement les exploitants à l’adopter face au défi du réchauffement de la planète.
Chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), organisme français qui collabore avec plus de cent pays, Emmanuel Torquebiau est convaincu de la pertinence de ce savoir-faire. « L’agroforesterie permet d’absorber le carbone émis dans l’atmosphère, puisqu’il est stocké dans la biomasse des arbres et du sol. On a aussi une terre qui est de meilleure qualité, donc les agriculteurs utilisent beaucoup moins d’engrais minéraux émetteurs de gaz à effet de serre ». Autre atout : la résilience des terres au changement du climat. « On a remarqué que les champs souffraient moins de la sécheresse. Les arbres protègent les cultures du vent et stockent l’eau dans le sol », détaille l’auteur du livre L’agroforesterie, des arbres et des chambres. Pour les producteurs, le combo arbre-culture est aussi gagnant. « Ce système leur garantit une production durable et diversifiée », note-t-il.
« On peut en planter jusqu’au nord du cercle polaire »
Mais l’agroforesterie est-elle viable pour l’ensemble du globe ? « On peut créer un système agroforestier de la Guadeloupe jusqu’au nord du cercle polaire, y compris dans des zones arides d’Espagne et du Portugal ». Néanmoins, si le sol peut être aride, sec ou humide, cette technique n’est pas adaptée à toutes les cultures. « Certaines d’entre elles supportent mal l’ombre. C’est le cas du riz, par exemple. Même pour certaines céréales, comme le blé, ça peut être difficile. Ces variétés ont trop été sélectionnées pour pousser en plein soleil, ça complique le travail », relate Emmanuel Torquebiau.
Dans le monde, près de la moitié (43%) des surfaces agricoles possèdent au moins 10% d’arbres, selon l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’agriculture (FAO). « En Indonésie, c’est spectaculaire ! On observe des parcelles avec plus d’une centaine d’espèces d’arbres différentes, décrit Emmanuel Torquebiau. C’est une pratique ancestrale. Dans la bande sahélienne, les arbres sont dispersés et servent à mieux faire pousser le mil, le sorgho, le maïs depuis des années. Au Pérou et au Nicaragua, on en fait pour la culture des caféiers et cacaoyers, le Costa Rica est un grand pays agroforestier. »
Patrick Worms, président de la Fédération européenne d’agroforesterie, constate une présence disparate de ces cultures à l’échelle européenne. « Les systèmes agroforestiers sont de l’ordre de 0% en Roumanie, de 48% à Chypre jusqu’à 91% du territoire à Malte, où les éleveurs ont l’habitude de faire pâturer leurs bêtes près des arbres ». Elle est même devenue tendance, alors même qu’elle avait disparu à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. « En France et Angleterre, la mode est aux jardins comestibles [jardins qui reproduisent le fonctionnement des forêts naturelles, ndlr] », note Emmanuel Torquebiau.
De 3% à 5% des territoires agricoles français
Dans l’Hexagone, l’idée de planter des arbres dans les champs a germé parmi les agriculteurs. Alain Canet, président de l’Association française d’agroforesterie, se réjouit de l’enthousiasme autour de cette pratique. Il le constate au fil de ses déplacements professionnels auprès de viticulteurs intéressés par la démarche : « En Alsace, en Champagne et en Bourgogne, ils sont à fond ! ». Des vidéos Youtube réalisées par Ver de terre Productions, organisme de formation en agroécologie dont il fait partie, rassemblent plusieurs milliers de vues. « On vient même de créer une structure nationale pour répondre à ce besoin de formation », avance-t-il.
Dans les chiffres, la tendance est un peu moins enthousiasmante. « 3% à 5% de la surface agricole française est dans une démarche agroforestière, estime-t-il. Ça représente un million d’hectares sur 28. » Si les arbres ne sont pas encore légion dans les champs français comme européens, la Politique agricole commune (PAC) y est un peu pour quelque chose. Jusque dans les années 2000, avoir un arbre sur son terrain, c’était des subventions en moins pour les agriculteurs. Le raisonnement était simple : les arbres, au milieu des champs, réduisaient la surface agricole cultivable.
Plusieurs associations et organismes tels que l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) sont allés jusqu’à Bruxelles pour convaincre les politiques européens. « La Commission européenne essaye aujourd’hui de pousser la machine dans la bonne direction, soutient Patrick Worms. Le Green New Deal [feuille de route destinée à rendre l’économie de l’Union européenne durable, ndlr] reconnaît même le potentiel de cette pratique pour le climat, mais certains États membres refusent encore que les producteurs travaillent de façon plus écologique. »
« Ce qui freine la pratique est aussi d’ordre psychologique, pointe Emmanuel Torquebiau. Se lancer dans l’agroforesterie, c’est un peu un saut dans l’inconnu pour les agriculteurs. Et c’est mal perçu. Les exploitants font attention à ce que font les voisins, ils n’aiment pas trop être les premiers à changer ». Et dans les premiers temps, ça peut coûter un peu plus cher, les agriculteurs ayant besoin de main-d’œuvre supplémentaire pour l’entretien des arbres. Il est en outre difficile de faire valoir ce type de projets auprès des banques. « Si vous voulez emprunter 200 000 euros pour planter des arbres, vous n’aurez pas de prêts », déplore Patrick Worms.
Si les agriculteurs décident de s’y mettre, le chemin peut parfois être long, alors même que mettre en place un système agroforestier est assez simple. Une pelle, une pioche, le tour est joué. « Les machines peuvent facilement passer dans les champs, à condition de bien espacer les arbres », précise Alain Canet. C’est la théorie qui est plus complexe. « Il faut être formé pour se lancer, pour suivre la croissance des arbres, maîtriser les interactions », développe Emmanuel Torquebiau. Or les organismes ne courent pas les rues. « La France est pionnière en la matière grâce à l’action du ministre de l’Écologie Stéphane Le Foll [à l’initiative d’un plan de développement de l’agroforesterie sous la présidence de François Hollande, ndlr], soutient Patrick Worms. Mais ça n’est pas le cas partout en Europe. »
Les associations d’agroforesterie n’en perdent pas leur motivation. « Si on met 1 euro pour le développement de cette pratique, on en gagne 10 en dix ans, car les champs sont nettement plus productifs, affirme Alain Canet. » Au sein du Cirad, Emmanuel Torquebiau est nourri d’optimisme : « Ça fait 40 ans qu’on en parle, mais enfin l’agroforesterie entre dans l’usage ! Les gens commencent à savoir ce que c’est, même si les agriculteurs ont encore du mal à passer à l’acte. » Pour ces deux passionnés, il faut continuer à valoriser ce savoir-faire longtemps mésestimé.« On a réussi à faire la démonstration du bien-fondé de l’agroforesterie, constate Alain Canet. Alors qu’avant, on passait pour des Indiens, des hurluberlus ! »
Source: rfi.fr
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