« Je ne veux plus quitter la maison » : à Kinshasa, les enlèvements dans les transports créent la psychose

En République démocratique du Congo, 27 kidnappeurs qui opéraient dans de faux taxis ont été condamnés à la prison à perpétuité à l’issue d’un procès qui s’est tenu à Kinshasa, du 5 au 7 juillet. Mais ce verdict ne rassure pas tout le monde : les récits d’enlèvements dans les transports – avérés pour certains – se multiplient, et les rumeurs alimentent la psychose dans la capitale. De son côté, la police parle de « problèmes de sécurité ordinaires ».

Une trentaine de condamnations à mort, commuées en prison à perpétuité : c’est le bilan du procès d’un groupe de 27 kidnappeurs, qui s’est déroulé du 5 au 7 juillet à Kinshasa, en République démocratique du Congo – où la peine capitale n’est plus appliquée. Les membres de ce réseau, qui comptait notamment quatre policiers, ont été reconnus coupables d’avoir capturé plusieurs Kinois dans de faux taxis, afin de les dépouiller de leurs objets de valeur ou de réclamer une rançon à leurs familles. Ces kidnappings se sont parfois soldés par la mort des victimes.

Quelques jours avant ce procès très médiatisé, des images des accusés avaient été largement relayées sur les réseaux sociaux, montrant les premières arrestations ou encore leur présentation par la police à la presse et au ministre de l’Intérieur (sur Facebook et TikTok).

« Ils m’ont drogué avec un mouchoir, puis tabassé »

Romulus Mwamba est un jeune Kinois, habitant du quartier de Limete. Il travaille comme voyagiste indépendant. Enlevé le 1er juillet, il estime que les personnes condamnées ne représentent qu’un « tout petit nombre » des kidnappeurs qui sévissent en ville, expliquant ne reconnaître aucun de ses agresseurs parmi elles.

Je revenais d’un rendez-vous avec un client, dans le quartier de Kasa-Vubu, et j’ai pris un taxi à Victoire pour aller à un autre rendez-vous. Il était presque plein, avec deux garçons et une fille au troisième rang, deux costauds au deuxième. Moi, j’étais devant. À l’intérieur, j’ai vite compris que je n’allais pas vers la bonne adresse.

Le jeune homme a alors le réflexe d’informer son beau-frère. « Je suis à bord d’un taxi et je ne me sens pas en sécurité », lui écrit-il sur WhatsApp.

Le message envoyé par Romulus Mwamba (surnommé Romy) à son beau-frère le 1er juillet.

Le message envoyé par Romulus Mwamba (surnommé Romy) à son beau-frère le 1er juillet.

Il parvient même à enregistrer une courte vidéo des personnes présentes dans le véhicule, qu’il lui envoie également.

Mais à un moment, le monsieur à côté de moi a remarqué que je filmais. Il a pris mon téléphone et l’a jeté par terre en essayant de le casser. J’ai essayé de briser une vitre, j’ai fait du bruit pour attirer l’attention des gens. Cela n’a pas duré longtemps, car les personnes derrière m’ont drogué avec un mouchoir. Après, ils m’ont mis à l’arrière pour me tabasser.

Romulus Mwamba se réveille quelques heures plus tard sur le bord de la route, dans la commune de Maluku, à plus d’une heure et demie de route de son point de départ, avec des contusions. Un passant l’aide à appeler sa famille, qui vient le chercher.

On m’a volé les clefs de ma maison, ma montre, mes baskets, mon porte-monnaie, où se trouvait une forte somme d’argent appartenant à mon client… Heureusement, il a compris ce qui m’était arrivé.

Depuis, sa famille a porté plainte au commissariat. Romulus Mwamba, lui, reste angoissé à l’idée de reprendre les transports. 

Ce qui m’est arrivé, c’était en journée, avec du monde autour. Depuis cette date, je ne veux plus quitter ma maison.

« J’ai essayé de leur dire ‘laissez-moi en vie, prenez mon véhicule’, mais je n’y arrivais pas »

Le problème des kidnappings liés aux transports n’est toutefois pas récent : début 2022, Jeannot Kabuayi [il s’agit d’un pseudonyme, en raison de l’enquête en cours, NDLR] a lui aussi été victime d’une tentative d’enlèvement, avec un procédé légèrement différent :

J’étais seul au volant de ma voiture vers une heure du matin, sur le boulevard du 30-Juin, au centre-ville. Je suis tombé sur un taxi ketch [sorte de taxi collectif à Kinshasa, NDLR], avec dedans une femme qui se tordait de douleur et deux jeunes hommes. J’ai demandé ce qu’il se passait. On m’a dit qu’ils emmenaient la femme à l’hôpital, et que le taxi était en panne. Ils m’ont demandé de les emmener à l’hôpital Diamant. En bon samaritain, je les ai pris.

Quelques secondes plus tard, Jeannot est étranglé par un fil électrique, qui lui entaille la gorge. Les agresseurs tentent de prendre le contrôle de son véhicule.

J’ai essayé de leur dire “laissez moi en vie, prenez le véhicule”, mais je n’y arrivais pas. Finalement, ils ont récupéré le volant. Mais j’ai appuyé sur le bouton pour couper le moteur. On a perdu le contrôle de la voiture, et on a atterri dans un fossé sur le bord de la route. Une jeep de la police est arrivée, les criminels sont sortis de la voiture, ils se sont jetés dans le ketch qui nous suivait, et ils sont repartis.

Jeannot Kabuayi, qui s’est fait voler tous ses objets de valeur, ne pourra récupérer son véhicule accidenté que le lendemain, après un contrôle de santé à l’hôpital.

Captures d’écran de vidéos montrant le véhicule de Jeannot Kabuayi, le lendemain de son agression. Une femme commente en lingala : “Ce papa [homme d’un certain âge, NDLR] est protégé par Dieu.”
Captures d’écran de vidéos montrant le véhicule de Jeannot Kabuayi, le lendemain de son agression. Une femme commente en lingala : “Ce papa [homme d’un certain âge, NDLR] est protégé par Dieu.”

Il garde de cette mésaventure une cicatrice au cou à l’emplacement où le fil de fer l’a entaillé, et ne souhaite plus prendre de ketch ou aider les gens en difficulté sur la route. Sa plainte n’a pour l’instant débouché sur aucune poursuite.

Jeannot Kabuayi montre sa cicatrice au cou, conséquence de son agression.
Jeannot Kabuayi montre sa cicatrice au cou, conséquence de son agression. 

« Quand le bus a démarré, la moitié des gens ont sorti des armes »

Outre les taxis, les minibus ne semblent pas épargnés par le phénomène des enlèvements. Un autre habitant de Kinshasa, qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, raconte ce qui est arrivé fin juin à une jeune femme de son entourage, capturée dans un minibus dans le quartier de Masina, à l’est de la ville.

Ils étaient 12 dans le minibus. Quand il a démarré, la moitié des gens ont sorti des armes. Ils ont dit aux autres « les mains en l’air », avant de les couvrir avec des vêtements pour qu’ils ne voient pas où ils allaient.

La jeune femme parvient alors à lui envoyer en cachette un message vocal, avec une voix paniquée, que la rédaction des Observateurs a pu écouter. Elle dit notamment : « S’il te plaît, prie pour moi. […] J’ai juste enlevé le drap pour faire ce message et je l’ai déjà envoyé à la grande sœur, à tout le monde. On partait vers Kapela [un quartier de Kinshasa plus à l’ouest], […] nous continuons à rouler, je ne sais pas où on est. »

Après ce message, envoyé à 17 h, elle devient injoignable. Elle réapparaît finalement le lendemain après-midi, dans son quartier de Yolo. Elle racontera avoir été libérée par un des ravisseurs, vers quatre heures du matin.

Il l’a prise par la main pour la faire marcher, les yeux bandés. Il lui a dit : “Avance, et si tu te retournes, je te tue”. C’était un lieu désert, elle a dû marcher longtemps pour retourner chez elle.

Une méfiance vis-à-vis des transports qui se développe à Kinshasa

Les récits d’enlèvements avérés et la médiatisation du procès des 27 kidnappeurs ont créé de la méfiance, voire de la paranoïa vis-à-vis des transports à Kinshasa. Certaines personnes se sont ainsi mises à se filmer dans les taxis, par sécurité.

Dans la vidéo ci-dessous, un homme hèle un taxi dans le nord de Kinshasa. Il se fait confirmer qu’il n’y a qu’une place libre à l’intérieur, jette un œil aux passagers, et refuse de monter. Le chauffeur repart alors. « Quand les kidnappeurs se font boud[er] », écrit Cedoux Muke, l’auteur de cette vidéo. Contacté par notre rédaction, il est convaincu d’avoir eu affaire à des kidnappeurs, bien que rien ne permette de l’affirmer : « Ce taxi n’avait pas de plaque et les gens à l’intérieur me semblaient bizarres. »

@cedouxmuke

#percertiktok #kinshasa_congo #kinshasa_mboka_na_biso Po bo kidnappé nga ah rien nako mata te 😂😂😂

♬ son original – Cedoux Muke

 

Dans son quartier de Kimbanseke, au sud-est de la ville, Cedoux Muke raconte que cette peur de l’enlèvement génère parfois des scènes de justice populaire. 

Le 7 juillet, dans mon quartier, la police a arrêté une maman [une dame d’un certain âge, NDLR] avec sept enfants dans une voiture : elle a été accusée d’avoir essayé de les kidnapper avec le chauffeur. Beaucoup de gens ont essayé d’arracher la maman à la police pour la tabasser.

Les récents enlèvements ont également alimenté des rumeurs selon lesquelles ils auraient pour but d’alimenter un trafic d’organes. Elles circulent notamment dans des groupes WhatsApp locaux, en s’appuyant sur des vidéos sorties de leur contexte, montrant des personnes découpées. L’une d’entre elles, insoutenable, n’a pas été prise en République démocratique du Congo : elle circule depuis des années sur Internet et montrerait l’acte de vengeance d’un cartel mexicain contre un policier et son fils.

Des « problèmes de sécurité ordinaires », selon les autorités

Le 4 juillet, le ministre de l’information Patrick Muyaya a appelé « à ne pas céder aux rumeurs » sur ce qu’il qualifie de « problèmes de sécurité ordinaires ». « Il y a une police qui travaille nuit et jour pour faire en sorte que les criminels, d’où qu’ils opèrent, soient attrapés”, assure-t-il. « C’est aussi le cas pour les kidnappeurs ». Il a également précisé que la police n’avait « pas identifié de cas de trafic d’organes tels que ceux dont les réseaux sociaux ou certains milieux ont parlé ». 

En juin, une dizaine de cas d’enlèvements dans les transports ont été enregistrés par la police de Kinshasa, sans compter ceux pour lesquels aucune plainte n’a été déposée.

La rédaction des Observateurs a contacté le responsable de la police congolaise à Kinshasa, mais n’a pas obtenu de retour de sa part. 

observers

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