Depuis le début de la vague de violences anti-migrants à Sfax, en Tunisie, les exilés restent cloitrés chez eux, par peur des agressions de citoyens ou des arrestations arbitraires des forces de l’ordre. Sortir simplement faire ses courses pour s’alimenter reste dangereux. L’Association tunisienne des femmes démocrates a décidé d’agir, en organisant des distributions de nourriture, d’eau, et de lait pour les enfants, dans le plus grand secret.
Depuis deux semaines, l’Association tunisienne des femmes démocrates opèrent des « maraudes secrètes » pour distribuer de la nourriture et des produits de première nécessité aux migrants se terrant dans des appartements de Sfax, par peur des agressions. Parmi ces exilés en détresse se trouvent aussi des femmes enceintes et des nourrissons.
Pour en savoir plus sur ces distributions, InfoMigrants s’est entretenu avec l’avocate Naïma Nassiri, présidente de l’antenne de l’association à Sfax, et membre de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme. Avec son équipe, elle se déplace dans toute la ville pour aider les exilés.
InfoMigrants : Quelle est la situation à Sfax actuellement ? Comment l’actualité affecte-t-elle le travail de votre association ?
Naïma Nassiri : Avant la crise actuelle, nous ouvrions nos portes aux femmes battues et à quiconque dans le besoin, tunisiens comme étrangers. Nous écoutions leurs histoires, et leur donnions des renseignements sur les procédures juridiques. Mais depuis plusieurs semaines, c’est devenu très compliqué pour les femmes migrantes en particulier, qui subissent attaques violentes et agressions de la part, malheureusement, de citoyens tunisiens.
Nous avons également reçu des informations sur des cas de harcèlement sexuel et de viol de femmes d’Afrique subsaharienne. On nous a aussi affirmé que certaines personnes rackettaient les migrants : s’ils ne paient pas la somme demandée, ils sont frappés. En plus de cela, il y a des expulsions forcées et donc illégales.
Mais jusqu’à la semaine dernière, nous n’étions pas en mesure de localiser les exilés, donc on ne savait pas comment faire pour les aider. Et puis nous avons reçu des appels nous disant qu’il y avait des familles de migrants qui se cachaient dans des maisons et des appartements de Sfax.
IM : Dans quelles conditions vivent ces familles ? Comment les aidez-vous ?
NN : Dès le début de la vague de violences contre les migrants, les propriétaires tunisiens ont commencé à taire la présence d’exilés dans leurs appartements. Certains migrants ont fui leur logement, se sont cachés avec d’autres qui, eux, n’avaient pas été repérés. Nous avons donc commencé à leur faire parvenir de la nourriture, de l’eau et des médicaments, du lait et des produits médicaux pour les bébés.
Ces personnes sont entassées dans des appartements exigus, et ont trop peur de sortir de chez elles pour acheter de quoi manger et de quoi boire, ou du lait pour les plus petits. Les familles sont effrayées et n’ouvrent la porte à personne, sauf si le visiteur dévoile son identité et qu’il ne présente aucun danger.
Un des hébergements que nous avons visités était une grande pièce fermée par des murs en métal dans laquelle vivait dix personnes, dont des femmes enceintes de cinq et six mois et des bébés de quatre mois.
À l’intérieur, il faisait plus de 45 degrés, sans aucune fenêtre. Les occupants ferment la porte principale à clé, par crainte d’éventuelles incursions.
Nous avons essayé de nous coordonner avec le Croissant-Rouge tunisien, car on avait besoin d’un médecin pour soigner un enfant malade. Mais le processus est rendu très compliqué par le fait que nous essayons autant que possible de garder secrète la localisation de ces appartements où vivent les migrants.
IM : Quelles sont les autres difficultés que vous rencontrez ? Que pensez-vous de ce qui se passe actuellement à Sfax ?
NN : Nous avons beaucoup de mal à faire ces maraudes, car nous devons être prudents pour ne pas dévoiler les localisations des logements et les personnes qui y vivent. Nous achetons également des produits et des médicaments dans différents magasins, afin que les vendeurs ne sachent pas que tout cela est à destination des migrants.
Et il ne faut pas oublier que tous les membres de notre association sont des femmes, cela complique encore davantage nos déplacements dans la ville sous tension.
D’autre part, nos ressources matérielles sont limitées car notre association fournit, initialement, des conseils juridiques. Nous manquons donc de moyens financiers pour faire ce travail humanitaire. Combien de temps pourrons-nous donc encore continuer à fournir cette aide ? La société civile sera, tôt ou tard, impuissante. C’est à l’État d’assumer ses responsabilités, et d’ouvrir des abris collectifs et sûrs pour ces migrants.
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