C’est de l’avis de nos Observatrices, une première : une vidéo publiée sur TikTok montant quatre petites filles dans un “camp d’excision” à Conakry, l’une en larmes, circule depuis mi-juillet. Bien qu’interdite, l’excision est encore très pratiquée en Guinée. La mobilisation d’activistes, dont notre Observatrice, suite à la publication de ces images a permis l’ouverture d’une enquête. Une personne soupçonnée d’avoir diffusé la vidéo a été interpellée et les femmes à l’image sont recherchées.
La femme habillée en noir dit ensuite, en mandingue, à l’adresse de la petite fille qui pleure : “ne pleure pas, assieds-toi par terre, tiens-toi bien”. La femme en rouge s’adresse ensuite en foulfoudé (langue peul) à la même petite fille en lui disant : “regarde, la plus petite ne pleure pas, c’est la plus âgée qui pleure, et en plus elle force pour pleurer plus fort”.
Nous publions un extrait de cette vidéo, dans lequel nous avons flouté les visages des enfants et des deux femmes.
“Quel culot de publier ça”
La vidéo a été publiée sur TikTok dans la semaine du 17 juillet, par un compte qui l’a rapidement supprimée face aux nombreuses réactions négatives qu’elle suscitait. Mais elle a été sauvegardée par au moins deux femmes. Fafoune Konaté, qui tient le compte TikTok “Mme Diakité”, très suivi en Guinée, en republie le 19 juillet un extrait auquel elle ajoute un commentaire face caméra. Contactée par notre rédaction, elle explique :
La sensation que ça m’a fait, c’était trop fort. Cette petite fille qui pleure… Je ne pensais pas encore voir ça au 21e siècle, je pensais que les mentalités étaient en train de changer. Quel culot de publier ça. Moi j’ai subi l’excision, c’est quelque chose avec lequel tu vis jusqu’à ta mort, ça me traumatise directement de voir ça.
Une Guinéenne établie en France – qui a souhaité gardé l’anonymat – a également enregistré un extrait de la vidéo, qu’elle a publié sur Snapchat. Elle commente : “Ça m’a rappelé des souvenirs horribles. Je l’ai republiée dans un groupe pour jeunes mamans et j’ai eu beaucoup de réactions, j’ai été insultée, on commentait en disant : “les femmes ont le droit de faire ce qu’elles veulent”.
“Il n’y a aucun doute que cette vidéo est prise dans un camp d’excision”
Kadiatou Konaté est présidente du Club des jeunes filles leaders de Guinée, une organisation qui vise à faire de la prévention et à dénoncer l’excision et les mariages forcés.
Il n’y a aucun doute que cette vidéo est prise dans un camp d’excision, même si on ne peut pas dire avec certitude si elle a été prise juste après une excision. Déjà l’accoutrement des filles est typique : elles sont toutes habillées pareil, les motifs et les couleurs peuvent varier, mais ces hauts attachés dans le dos, ces pagnes, ces foulards dans les cheveux attachés d’une manière spécifique, c’est typique de ce genre de camps. La disposition des filles, toutes à terre, côte à côte, ne trompe pas non plus. Dans un camp d’excision on fait le processus toutes ensemble.
Ces camps sont organisés en général pendant les vacances, chez une femme qui va pratiquer l’excision. Il peut y avoir une dizaine d’enfants à la fois, qui restent sur place jusqu’à un mois. C’est la femme qui les nourrit et les “éduque”, elle va leur apprendre des valeurs traditionnelles pour se comporter en société : ferme ta bouche, ne parle que quand on te donne l’autorisation… Il peut cependant aussi y avoir l’enseignement de bonnes valeurs sur les relations humaines.
L’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs de Guinée (Oprogem) a été alerté par des personnes relayant la vidéo, dont le Club des jeunes filles leaders. Une personne, soupçonnée d’avoir relayé la vidéo, a été interpellée dans la ville de Kindia et une enquête est en cours, annonce à notre rédaction Dadou Camara, procureur près du tribunal de première instance de Kindia : “Selon la déclaration de la personne interpellée, la vidéo a été filmée à Conakry. Sa garde à vue a été prolongée, car nous n’avons pas encore trouvé les coupables, celles qui ont fait l’excision. Cette vidéo est une première, c’est choquant, je n’avais jamais vu ça”.
« Il faut que les parents comprennent qu’on peut éduquer aux valeurs traditionnelles sans mutilation génitale”
L’excision est interdite en Guinée depuis 2008 mais ne baisse pas affirme l’ONG Plan international. Plus de 97 % des femmes ont subi cette mutilation génitale selon l’ONU. Kadiatou Konaté, du Club des jeunes filles leader, reprend :
Nous nous sommes mobilisées parce qu’on veut au moins dissuader des gens qui font ce genre de vidéos de les mettre sans retenue sur internet. La justice a condamné des personnes dans des cas d’excision, mais il y a encore énormément de peines de sursis qui sont prononcées, souvent parce que les personnes accusées sont âgées. Mais de notre point de vue c’est parce qu’il y a encore une trop grande tolérance.
La pratique de l’excision a plusieurs causes. Ca peut être pour des raisons culturelles, de tradition – on va dire que les grands-parents l’ont fait donc on doit le faire, des raisons économiques – car c’est une source de revenu pour les exciseuses, de dignité ou d’honneur, une volonté du système patriarcal de contrôler la sexualité d’une fille qui grandit… Chacun le fait pour ses propres raisons. Certains vont estimer que ça limitera les risques de grossesses précoces, certains vont penser que “les maris n’aiment pas les femmes pas excisées”…On trouve toujours un moyen de se justifier.
Il faut que les parents comprennent qu’on peut éduquer aux valeurs traditionnelles sans mutilation génitale, parce que l’excision c’est une ablation. On ne peut pas faire ça au motif de l’image qu’on souhaite renvoyer au reste de la société.
Je pense cependant que le nombre d’excisions baisse. Il semble que les gens se cachent de plus en plus, ça ne se fait plus à ciel ouvert. Le débat est posé, les gens comprennent de plus en plus et acceptent que cette pratique ne peut plus durer.
observers