Pour la première fois depuis près d’un demi-siècle, Roscosmos va tenter de poser un nouvel engin à la surface de la Lune. Certains experts y voient une course avec Chandrayaan-3, la sonde indienne qui devrait arriver sur place à la même période.
Une maquette de l’alunisseur de la mission Luna 25 et une photo d’un Soyouz (à g.) au cosmodrome de Vostochny (à d.)Une maquette de l’alunisseur de la mission Luna 25 et une photo d’un Soyouz (à g.) au cosmodrome de Vostochny (à d.). © Pline / Владислав Ларкин – Wikimedia Commons
La Russie est sur tous les fronts en ce moment. En plus de son invasion de l’Ukraine à travers cette fameuse « opération spéciale de trois jours » qui dure désormais depuis un an et demi, le pays de Vladimir Poutine mène un autre combat qui se joue cette fois dans l’espace. Roscosmos — l’agence spatiale nationale qui dépend directement du Kremlin — va bientôt lancer son premier alunisseur depuis près d’un demi-siècle, pour essayer de damer le pion à la sonde indienne Chandrayaan-3.
Le départ de cette mission, baptisée Luna-25, aura lieu ce vendredi depuis le cosmodrome de Vostochny, 5500 kilomètres à l’est de Moscou. Son objectif sera de rallier l’une des destinations les plus prisées du moment, à savoir le pôle sud de la Lune.
Il s’agit d’une zone difficile d’accès, notamment à cause du terrain très accidenté. D’un point de vue technique, il s’agit donc d’un défi considérable ; à l’heure actuelle, aucun véhicule n’a jamais réussi à s’y poser. Mais si plusieurs nations tentent d’y parvenir, ce n’est pas simplement pour le prestige. C’est avant tout parce que la région est particulièrement intéressante d’un point de vue scientifique et pour la logistique des futures missions de colonisation de notre satellite.
En 2008, la sonde indienne Chandrayaan-1 a confirmé pour la première fois que le pôle sud regorge d’eau sous forme de glace. Ce matériel pourrait notamment être utilisé pour produire de l’eau potable et de l’oxygène. Ces ressources pourraient être extrêmement utiles pour la logistique d’une base lunaire permanente, comme celle que la Russie projette d’installer dans la région en partenariat avec la Chine d’ici une dizaine d’années (voir notre article).
Une course à pour le prestige ?
Au-delà de sa destination, l’autre point intéressant de Luna-25, c’est le timing qui est loin d’être anodin. Selon Roscosmos, le véhicule va s’insérer atteindre la Lune cinq jours après son départ. Il passera alors une petite semaine en orbite avant de prendre le chemin de la surface.
Si ce calendrier est respecté, cela signifie que l’engin pourrait arriver à destination presque en même temps que Chandrayaan-3, l’alunisseur indien qui est parti vers le pôle Sud lunaire le mois dernier. Il pourrait même lui voler la vedette en se posant le premier.
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Même si Roscosmos a rejeté cette interprétation, plusieurs experts y voient donc une sorte de course. Il est indéniable que le fait de devenir la première nation à atteindre cette région très convoitée serait une grande réussite. L’agence pourrait se saisir de l’occasion pour redorer son blason qui a été considérablement terni ces dernières années.
Car si cette institution éminemment prestigieuse était autrefois le fer de lance incontestable de la conquête spatiale mondiale, la situation a bien changé depuis l’âge d’or de l’aérospatiale russe. Aujourd’hui, l’agence est dévorée par des accusations de corruption systémique héritées de la période soviétique qui se sont encore accentuées sous la houlette de Dmitryi Rogozine.
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Et surtout, elle est en souffrance sur le plan logistique et de plus en plus sclérosée sur le plan technologique. Cette décrépitude s’est encore accélérée avec la guerre en Ukraine. Ce désastre humanitaire et diplomatique a poussé la NASA et l’ESA à mettre fin à de nombreuses collaborations avec Roscosmos. A l’heure actuelle, l’ISS reste le seul grand bastion de la coopération entre l’agence russe et ses anciens partenaires.
L’exemple le plus concret est sans doute celui du Soyouz, le véhicule légendaire qui a longtemps eu le monopole absolu des voyages vers l’ISS. L’arrivée de SpaceX, nouvelle coqueluche de la NASA, a fait basculer tous les rapports de force ; les Etats-Unis et l’Europe s’émancipent progressivement des engins russes, et l’agence s’est donc retrouvée isolée et éjectée de sa place privilégiée.
Dans ce contexte, le contingent russe aurait bien besoin d’un coup d’éclat pour prouver qu’il fait toujours partie de l’élite dans ce domaine. Il est donc tout à fait possible que Iouri Borissov, le nouveau directeur plus discret et pragmatique qui a remplacé le sulfureux Rogozine à l’été dernier, mise sur Luna-25 pour remettre un pied à l’étrier.
Rendez-vous dans environ deux semaines pour savoir si Roscosmos réussira son grand retour sur notre satellite, 47 ans après son dernier alunissage.
Reuters