Russie: malgré de bons chiffres au 2e trimestre, «l’économie ne se porte pas bien»

Le produit intérieur brut russe progresse pour la première fois depuis le premier trimestre 2022. Selon une évaluation primaire de l’Agence russe des statistiques, Moscou a enregistré une croissance de 4,9% au deuxième trimestre 2023 sur un an. Cela ne veut pas dire pour autant que l’économie se porte bien. Entretien avec Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l’épargne.

RFI : Comment expliquer ce bond du PIB russe ?

Philippe Crevel : La croissance assez forte du PIB russe au cours du deuxième trimestre est liée à ce qu’on appelle un « effet base ». Nous comparons le 2e trimestre 2023 à la situation en 2022, au 2e trimestre. Or, c’était le début de la guerre en Ukraine, il y avait eu un fort recul du PIB à ce moment-là, donc il y a évidemment une augmentation par rapport à cette période qui était extrêmement difficile en Russie. En revanche, si on regarde le PIB russe à la fin du mois de juin 2023, il est inférieur au niveau qu’il avait atteint un an auparavant.

Malgré ces chiffres du 2e trimestre, l’économie russe ne se porte pas bien. Premièrement, il y a une forte baisse des recettes liées au pétrole et au gaz : 41% de baisse sur le début de l’année. D’autre part, l’inflation repart à la hausse. Cela a obligé la Banque centrale russe à porter les taux directeurs à 8,5%, un niveau extrêmement élevé, ce qui ne favorisera pas, dans les prochains mois, l’activité économique.

Plusieurs facteurs demeurent inquiétants pour l’économie russe. Il y a le poids des embargos, le poids des sanctions. Et il y a un problème structurel lié au vieillissement de la population. Il y a des tensions sur le marché de l’emploi favorisant l’inflation. En contrepartie, certes, le taux de chômage est faible. Il est faible pour deux raisons. Il y a ce vieillissement de la population, il y a également le fait que les autorités russes ont fait appel à des jeunes, qui étaient sur le marché du travail et qui ont été envoyés sur le front.

Peu après le début de la guerre, Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, avait prédit que les sanctions occidentales allaient « provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Qu’en est-il, plus d’un an plus tard ?

L’économie russe, malgré un nombre de sanctions sans précédent depuis une cinquantaine d’années, fait preuve d’une certaine résilience. Preuve en est, il y a ce rebond au 2e trimestre 2023. Elle a réussi à aller cahin-caha depuis un an, grâce à la vente du gaz et de pétrole par des moyens détournés. La Chine et l’Inde ont en partie compensé les pertes d’exportation vers l’Occident, et l’Europe en particulier.

La Russie a réussi à trouver certains produits en Chine, en Amérique latine, mais cela ne compense pas totalement, en particulier au niveau des biens technologiques, ce qu’elle pouvait avoir auparavant. Il y a donc une certaine forme de résilience. Malgré tout, l’économie est en difficulté. Cela peut être de plus en plus complexe à gérer. Moscou a puisé dans les fonds de réserve qu’ils avaient constitué ces dernières années.

Mais au fur et à mesure, ces fonds vont disparaître et le déficit public, qui était inexistant en Russie, dépasse aujourd’hui 2% du PIB. C’est vrai que ça pourrait faire rêver la France, mais il y a une dégradation assez rapide des finances publiques en Russie, du fait de la diminution des recettes liées aux exportations de matières premières.

Sur quel secteur l’économie russe s’appuie-t-elle en ce moment ?

L’économie russe dépend fortement des exportations de gaz et de pétrole, qui sont soumis à des sanctions, l’embargo, avec un plafond au niveau des prix, logiquement à 60 dollars le baril pour le pétrole [plafond décidé par les membres du G7, NDLR]. Mais il y a des moyens de contourner, et la possibilité de vendre ces produits à certains pays.

Il y a également les produits agricoles, et la Russie les utilise comme une arme diplomatique. Moscou a indiqué être disposé à exporter ses céréales vers les pays d’Afrique qui en ont besoin, mais la Russie est contrainte de faire des ristournes, voire de faire des dons, pour maintenir ces échanges. Des atouts traditionnels de l’économie russe perdurent, mais ils sont de plus en plus contraints en raison des sanctions.

Par ailleurs, la fabrication d’armes, de munitions, a un effet sur le PIB. C’est vrai que cela augmente la production globale du pays, avec quelques bémols. Cette production peut être également entravée par le manque d’accès à des biens intermédiaires de haute technologie que la Russie ne fabrique pas.

RFI

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