Alors que les auteurs du coup d’État du 26 juillet 2023 avaient posé des actes allant dans le sens de la diplomatie, les déclarations de leur chef, le général Tiani, qui a décrété une transition de trois ans maximum pour tourner la page de la 7e République au Niger, replacent le curseur vers une logique de confrontation avec la Cédéao où chacun campe sur des positions difficilement conciliables.
Des annonces qui éloignent « un peu les chances de trouver un compromis politique » selon le journaliste et spécialiste du Sahel, Seidik Abba. Entretien.
RFI : Seidik Abba, avez-vous été surpris par le timing des annonces du général Tiani, chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), samedi 19 août à la télévision nationale nigérienne, alors que la délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) était encore à Niamey ?
Seidik Abba : C’est une véritable surprise. Le CNSP avait posé ces derniers jours des actes qui semblaient conforter l’option diplomatique et politique, en autorisant premièrement le médecin du président Mohamed Bazoum à lui rendre visite ; en recevant pour la seconde fois la délégation de la Cédéao dans des meilleures conditions, puisque la première fois la délégation avait été accueillie à l’aéroport. Cette fois, elle a été accueillie à l’aéroport par le Premier ministre, mais elle a pu se rendre ensuite dans la ville de Niamey et elle a même été reçue par le président du CNSP, en personne, le général Tiani, avec qui elle a eu une séance de travail. La délégation de la Cédéao a aussi pu rencontrer le président Bazoum, que l’on n’avait pas vu depuis le 26 juillet [date du coup d’État, NDLR].
Ce sont des gestes qui semblaient indiquer une ouverture de la part du CNSP. Et puis, presque brutalement, il y a eu cette annonce de samedi soir d’une transition ne pouvant pas dépasser trois ans. En faisant cela, les militaires auteurs du coup d’État placent la barre de la discussion très haut. Pour eux, il ne s’agit plus de discuter du retour à l’ordre constitutionnel normal, mais de tourner la page de la 7e République et d’envisager les contours de la 8e République avec la convocation d’un dialogue national qui va définir les conditions du partage de pouvoir pendant la transition. Donc ça éloigne un peu les chances de trouver un compromis politique et diplomatique.
Comment comprenez-vous ce choix de la part du CNSP ?
Le CNSP est dans son agenda, a mis en place un gouvernement, a récupéré l’ensemble des leviers du pouvoir et trouve un écho favorable dans une partie de l’opinion sur ces postures nationalistes et souverainistes. Il pense peut-être qu’il n’a pas « besoin » de reculer.
La Cédéao, de son côté, en prenant des mesures de sanctions contre le Niger avant même d’avoir négocié, a choisi une posture de confrontation. Le CNSP, lui aussi, s’y prépare, en considérant qu’il a un soutien suffisant, aussi du côté du Mali et du Burkina Faso, pour ne pas céder aux injonctions de la Cédéao.
Est-ce que vous pensez que le CNSP se sent en position de tenir tête à la Cédéao parce que cette dernière est apparue divisée sur la possibilité d’une intervention militaire ?
Contrairement à ce qu’on peut penser, je pense que la Cédéao peut aller jusqu’à l’intervention en dépit du caractère aléatoire sur le plan de l’efficacité et des implications graves que cela peut avoir. La Cédéao, ne l’oublions pas, n’a pas réussi à imposer un rapport de force aux militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et en Guinée et elle considère le Niger comme le coup d’État de trop. Si elle ne fait rien au Niger, cela veut dire qu’elle ne fera plus rien nulle part. Pour l’organisation régionale, c’est en ces termes aussi que ça se joue. Malgré les réticences qui sont exprimées ici et là, et malgré la position un peu ambiguë des États-Unis, la Cédéao est déterminée à faire cette intervention.
Et concrètement, je ne suis pas sûr que le CNSP soit dans un rapport de force favorable. L’économie du Niger est très fragile. Les sanctions ont commencé déjà à se faire sentir. L’économie nigérienne est moins résiliente que celle du Mali. Dans le cas du Mali, la diaspora importante a joué un rôle essentiel dans la résilience de l’économie. Le Niger n’a pas une diaspora aussi importante. En plus de cela, le Niger n’a qu’un seul point d’accès à la mer, le port de Cotonou dont l’accès lui est fermé depuis les décisions de la Cédéao. Ces sanctions, pour le moment, alimentent le sentiment nationaliste, souverainiste au Niger.
Quelle est la solidité de la solidarité affichée entre les juntes sahéliennes ?
Il y a un front du refus, la volonté de s’affranchir de l’ancienne puissance coloniale. Ce sont des éléments qui fédèrent. Mais d’un point de vue objectif, si des soutiens devaient être apportés, ils ne pourraient se faire qu’au détriment d’autres engagements…
Les forces armées maliennes, les forces armées burkinabè sont déjà engagées dans l’agenda de la lutte contre le terrorisme. Les en retirer pour les remobiliser dans la lutte contre la Cédéao peut être contre-productif du point de vue de la lutte contre les groupes djihadistes qui, eux, sont déjà en embuscade et n’attendent que ça pour pouvoir profiter, occuper le terrain, progresser sur le plan territorial et descendre vers les pays du golfe de Guinée.
L’ancien président nigérien, Mahamadou Issoufou, prédécesseur de Mohamed Bazoum, de son côté, a mis du temps à prendre la parole.
Il a mis trois semaines avant de prendre la parole et dans un mode inhabituel parce que, habituellement, le président Issoufou s’adresse aux Nigériens depuis deux ans et demi qu’il a quitté le pouvoir à travers des tweets au nom de sa fondation.
Là, il a mis trois semaines, laissant ses deux prédécesseurs encore vivants [les présidents Mahamane Ousmane et Salou Djibo, NDLR] réagir rapidement après le coup d’État. Lui a choisi un mode qui ne s’adresse pas particulièrement aux Nigériens. Ça, c’est sur le plan formel… Au niveau du contenu, il n’y a pas eu de réelles prises de position par rapport aux événements. Sa position est restée ambigüe. Il n’a même pas défendu son bilan alors que les militaires du CNSP ont fustigé ses années de gouvernance. Ces ambiguïtés font qu’aujourd’hui encore qu’il n’y a pas de clarté sur le rôle qu’il a pu jouer pendant ces événements du 26 juillet. À mon avis, il est de sa crédibilité de clarifier cela. Sa prise de parole n’a pas suffi à lever toutes les zones d’ombre.
Et pendant ce temps, le CNSP mobilise au Niger sur un discours de rupture, alors que ses dirigeants faisaient partie du régime précédent.
Oui, c’est un des faits qui est intéressant du point de vue de l’analyse. Il y avait au Niger des problèmes de gouvernance, c’est indiscutable. On se souvient lorsque la Cour des comptes a publié les déclarations de patrimoine des dirigeants [en avril 2021, NDLR]. On a vu des ministres milliardaires, multimilliardaires… Il y a eu des scandales, des problèmes de détournement de deniers publics, des attributions de marchés de gré à gré. Tout cela a pu alimenter la déception de beaucoup de gens qui ont cru à la démocratie et qui ont vu que la démocratie était dévoyée. Ils associent cela au PNDS [Le parti des présidents Issoufou et Bazoum, NDLR].
Pour cela, le coup d’État, quelles que soient ses raisons par ailleurs, est perçu au Niger comme une forme de délivrance, qui va permettre de rebattre les cartes, de refonder la démocratie, de repartir sur de nouvelles bases. Beaucoup de militants de l’opposition espèrent que cela va remettre les compteurs à zéro lors des élections prochaines. Reste à voir la durée de la transition…
Mais, sur le plan de l’évaluation de la gouvernance économique et sociale ou des résultats en matière de lutte contre la sécurité du régime PNDS, une partie des membres du CNSP ne peut pas dire qu’elle est étrangère à cela. Le général Tiani a dirigé la garde présidentielle pendant les deux mandats du président Issoufou et pendant le mi-mandat du président Bazoum. Donc il n’est pas totalement étranger au système. Mais, au-delà de cette ambiguïté, les gens voient l’occasion de la délivrance, quel que soit celui qui l’amène.
Une nouveauté sur le terrain, c’est la mobilisation de brigades de veille citoyenne au Niger.
On manque d’éléments objectifs pour en dire l’ampleur, mais l’orientation que ça prend est totalement nouvelle pour le pays. Le Niger avait refusé d’avoir des brigades citoyennes pour la lutte contre le terrorisme, en dépit de l’insistance des populations. Jusqu’ici, la politique a été de ne confier les missions de police et de maintien de l’ordre qu’aux Forces de défense et de sécurité.
Quand on entre dans ce type de méthodes [la mise en place de milices citoyennes, brigades citoyennes, NDLR], il y a un risque de dérapages. On ne sait pas qui encadrant, quelle est la moralité des gens impliqués. À mon avis, ce n’est pas dans l’intérêt de la junte de laisser des brigades prendre de l’ampleur. Il vaut mieux laisser les forces de défense et de sécurité faire le travail parce qu’elles sont légitimes et encadrées.
RFI