L’entreprise américaine de construction aérospatiale Honeywell a dévoilé son ordinateur quantique en 2020. Ici, des composants de cet ordinateur au processeur refroidi à l’azote liquide et de très grande taille, comme tous ses congénères.
Le président français Emmanuel Macron a annoncé, le 21 janvier 2021, un « Plan quantique » à 1,8 milliard d’euros sur cinq ans, devant mener entre autres à la construction d’un « ordinateur quantique hybride » en 2023. Cette technologie, en cours de développement par les grandes nations, commence à inquiéter des spécialistes, qui appellent à une régulation éthique. L’ordinateur quantique — couplé à l’intelligence artificielle — serait-il l’enjeu majeur du XXIème siècle ? Explications.
Depuis la fin des années 1970, l’idée de créer un ordinateur quantique est envisagée par des chercheurs, qui affirment — déjà à l’époque — que cette technologie sera la véritable « révolution technologique » du monde moderne. Au cours des années 90, l’ordinateur quantique commence à faire parler de lui concrètement, mais avec de modestes capacités. Puis, courant des années 2000, des entreprises annoncent avoir construit des super calculateurs quantiques, ce dont doutent à l’époque la plupart des chercheurs. Mais depuis quelques années, des laboratoires de recherche publique ainsi que des entreprises de pointe telles IBM, Google ou Honeywell dévoilent les premiers prototypes fonctionnels de ces machines ultra-puissantes.
Le Graal technologique moderne, source de tous les fantasmes de science-fiction, l’ordinateur quantique, serait-il en passe de devenir réalité ? Mais surtout : à quoi sa puissance de calcul servira-t-elle et pourrait-elle — comme certains chercheurs le disent — « rendre l’être humain aussi puissant qu’un dieu » ?
Comprendre ce qu’est un ordinateur quantique demande de connaître — même de façon basique — l’histoire dont il est issu. La physique quantique est une découverte du début du 20ème siècle. C’est en réalité la physique des particules, de l’infiniment petit. Les chercheurs de cette époque — autour de 1925 — découvrent que les propriétés des atomes, de leurs électrons et de toutes les particules à l’échelle du milliardième de mètre, sont particulières : elles ne suivent pas les mêmes règles que celles du monde macroscopique. La théorie des quanta (modélisation du comportement de l’énergie à très petite échelle), inventée à cette même époque, donne donc son nom à cette nouvelle physique.
C’est grâce à ces propriétés — étranges et déroutantes — « du monde de l’infiniment petit », que l’informatique moderne a pu se créer. Les transistors des microprocesseurs sont par exemple des métaux semi-conducteurs utilisant les propriétés de la physique quantique : des matériaux pouvant laisser passer un courant électrique ou à l’inverse l’empêcher de circuler et ainsi retenir une information binaire de type 1 ou 0. Le mot « électronique » vient d’électron…
Mais alors, en quoi un ordinateur classique, s’il utilise déjà les propriétés quantiques des matériaux dans ses composants, se différencie-t-il d’un ordinateur quantique ? La réponse est complexe mais pourrait se résumer par cette définition :
Dans un ordinateur quantique, les portes logiques qui traitent l’information sous forme de 1 et de 0 (chaque bit informatique est une valeur de 1 ou 0 dans un ordinateur classique) sont faites d’atomes un peu particuliers, les atomes de Rydberg. Ces atomes ont des électrons hautement excités, qui orbitent très loin du noyau et sont donc très sensibles aux champs électromagnétiques.
Dans l’infiniment petit où interagissent ces atomes de Rydberg — propres aux ordinateurs quantiques —, les lois quantiques font que les bits se trouvent alors dans une « superposition d’états » entre 1 et 0, et s’emmêlent les uns avec les autres : ce sont des qubits et non plus des bits. Les qubits des calculateurs quantiques ont un état quantique qui leur permet de posséder une « infinité de valeurs », en théorie, mais ils sont aussi très « fragiles » puisqu’ils ne supportent pas le contact avec le monde macroscopique. C’est cette contrainte physique qui rend la construction d’ordinateurs quantiques très difficile.
La mathématicienne, informaticienne et physicienne Julia Kemp définit ainsi un qubit : « On appelle qubit ces bits quantiques qui sont à la fois dans l’état 0 et dans l’état 1. Quand on cherche à observer un qubit, on va trouver soit un 0 ou un 1. Mais l’observation a changé l’état de la particule, en choisissant entre les deux. »
Il y a deux ans, IBM dévoile lors du CES, le salon technologique américain annuel, le premier ordinateur quantique « transportable » : l’ »IBM Q System One ». Doté d’un calculateur de 20 qubits, l’engin est un cube en verre qui occupe — tout de même — un volume de 20 m3, à l’intérieur duquel — en plus des composants électroniques —, se trouvent une cuve d’hélium liquide ainsi qu’un équipement cryogénique permettant aux qubits de fonctionner à une température proche… du zéro absolu (−273,15° C).
Cette même année 2019, Google annonce avoir atteint « la suprématie quantique », en partenariat avec la Nasa et le Laboratoire national d’Oak Ridge (ORNL), grâce à un ordinateur quantique de 54 qubits, appelé « Sycamore ». La « suprématie quantique » est un seuil, à partir duquel l’ordinateur quantique devient une technologie opérationnelle, capable de réaliser des tâches qu’aucun ordinateur classique ne pourra jamais accomplir. L’annonce de Google sur les performances de son « Sycamore » — qui aurait effectué un calcul complexe en 200 secondes tandis qu’un supercalculateur non quantique ne le réaliserait qu’en 10 000 ans — a été contestée par IBM. Selon la firme rivale de Google, leurs supercalculateurs classiques mettraient 2 jours à effectuer le calcul.
Malgré des annonces parfois fantaisistes ou difficiles à vérifier au cours du temps — par les firmes en compétition—, la réalité des ordinateurs quantiques est désormais indéniable. Des algorithmes quantiques — dont les premiers ont été créés il y a 30 ans — sont donc utilisés par ces machines « rétro-futuristes », similaires par leur taille aux ordinateurs des années 1960.
Aujourd’hui, deux grandes voies de développement technologique sont ainsi retenues, comme le rapport « Quantique », remis au président français en janvier 2020 le stipule :
Il en découle deux grands types de calculateurs quantiques :
— Un calculateur quantique « universel » de puissance significative appelé « LSQ » pour « Large Scale Quantum » qui serait composé de milliers de qubits logiques et aurait la possibilité de réaliser tout type de calcul quantique. Ce type de calculateur surpasserait de manière exponentielle le plus puissant des supercalculateurs actuels pour un grand nombre d’applications. Les premiers calculateurs « LSQ » ne sont pas attendus avant 2030.
— Un calculateur quantique « bruité » de taille intermédiaire appelé «NISQ » pour « Noisy Intermediate Scale Quantum », qui serait, a contrario, composé de quelques centaines de qubits physiques permettant de réaliser un certain nombre de calculs spécifiques. Ce type de calculateurs a vu le jour il y a quelques années dans des machines développées, notamment, par IBM, Google, et RIGETTI avec quelques dizaines de qubits.
Emmanuel Macron a annoncé ce 21 janvier que près de 800 millions des 1,8 milliard du « plan Quantique » investis sur 5 ans, allaient permettre de « développer un ordinateur hybride, notamment pour la chimie, la logistique, l’intelligence artificielle à l’horizon 2023 ». Pour le reste, 320 millions d’euros seront consacrés aux systèmes de communication quantique, 250 millions d’euros aux capteurs quantiques, 150 millions d’euros à la cryptographie post-quantique et 290 millions d’euros seront investis dans les technologies connexes autour du quantique (lasers, cryogénie). Le chef de l’État français a précisé que si ces premières étapes doivent permettre de développer des simulateurs quantiques et plus particulièrement l’ordinateur hybride, il misait à terme sur la construction d’un véritable ordinateur quantique universel…
Les technologies quantiques apportent des avantages remarquables dans les simulations chimiques et physiques, avec des applications potentielles dans l’agriculture, la découverte de nouveaux médicaments et la conception de batteries ; les algorithmes quantiques permettent des accélérations considérables dans les applications d’optimisation et d’apprentissage automatique, notamment dans les domaines de la finance, de l’énergie, de l’automobile et des sciences environnementales ; les réseaux de communication quantique peuvent améliorer à long terme la sécurisation des données sensibles. Les chercheurs estiment que cette technologie permettrait de découvrir de nouvelles exoplanètes, de créer des nouveaux modèles climatiques ou encore de concevoir de nouveaux médicaments quelques heures après le lancement d’un programme.
L’accélération de la vitesse de calcul en apprentissage automatique (intelligence artificielle) grâce aux technologies quantiques — même hybrides — permet de mieux analyser et trier les informations dans de très grandes bases de données numériques. Les bénéfices seraient multiples, comme l’amélioration des moteurs de recherche sur Internet ou des diagnostics médicaux beaucoup plus précis. Toutes ces possibilités devraient être encadrées, selon des spécialistes du domaine, qui ont appelé dans le quotidien américain The Wall Street Journal, ce 1er février 2021, à des règles éthiques sur l’informatique quantique.
Source: lespoir-libere