En Égypte, Sissi très affaibli par le « Scandale de Zambie »

À quelques mois de l’élection présidentielle prévue début 2024, et même si l’opposition peine à s’organiser, le président Abdel Fattah al-Sissi est fragilisé par la violente crise économique qui frappe le pays, mais aussi par plusieurs scandales de corruption très médiatisés.

L’affaire a éclaté le 13 août, et, depuis, la polémique fait rage. Ce jour-là, un jet privé en provenance d’Égypte était fouillé à Lusaka par les autorités zambiennes, qui ont trouvé à son bord plusieurs armes et une quantité significative de munitions, mais surtout près de 6 millions de dollars en liquide, ainsi que des lingots d’un métal ressemblant à de l’or (ce que les expertises zambiennes ont, depuis, démenti) pour un poids total de 127 kg. Quant aux passagers de l’avion, connu pour être utilisés par des officiels, ils étaient au nombre de dix : six Égyptiens (dont des anciens militaires et un homme d’affaires), un Zambien, un Néerlandais, un Letton et un Espagnol.

Trois semaines plus tard, sur les réseaux sociaux comme dans la rue, le scandale continue à alimenter toutes les conversations. Les médias ont dévoilé l’identité de cinq des six passagers égyptiens de l’avion, mais le mystère qui entoure le nom du dernier suffit à alimenter les rumeurs de corruption ou de trafic de devises touchant l’entourage proche du président Abdel Fattah al-Sissi.

La justice zambienne a finalement libéré sous caution, le 1er septembre, cinq Égyptiens et un Zambien, estimant que les accusations d’« espionnage » portées à leur encontre étaient infondées, mais dans les rues du Caire et sur les réseaux rien n’y fait : pour l’opinion publique, le « scandale de Zambie » est l’affaire de corruption de trop, et depuis deux semaines,  (« Tayaret Zambia », ou « l’avion de Zambie ») est le hashtag le plus partagé par les internautes.

Il faut dire que la décision des juges zambiens elle-même alimente les rumeurs. Selon une source sécuritaire officielle interrogée par Jeune Afrique, la Zambie a dans un premier temps accepté de modifier les charges retenues contre les suspects – de trafic à espionnage –, et ce sous la pression et après l’intervention de l’Arabie saoudite. L’Égypte, quant à elle, aurait accepté de renoncer à récupérer les millions de dollars et les lingots saisis en échange d’une clôture de la procédure judiciaire et de la remise en liberté de ses ressortissants.

Mauvais timing
Selon la même source, le scandale et la forte réaction qu’il a provoquée sur les réseaux ont causé un véritable « désarroi » au sein du régime égyptien, d’autant que le timing est on ne peut plus défavorable, l’élection présidentielle étant prévue dans quelques mois.

« Le scandale de Zambie est un coup sérieux porté contre le régime de Sissi, dont la popularité est déjà en chute libre en raison de la crise économique, confirme Said Sadik, professeur en politique sociale à l’Université du Nil, au Caire. L’absence de réaction de l’État a alimenté les rumeurs, en particulier celles concernant l’implication des autorités dans un trafic international de dollars. »

Pour Emad Gad, chercheur au Centre d’études politiques et stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et porte-parole d’Al-Tayar al-Hurr (le Courant libre), une coalition de partis libéraux lancée fin juin dernier, l’affaire illustre aussi le gouffre qui s’est creusé entre le pouvoir et le peuple égyptien.

« L’incident a débuté et s’est terminé sans qu’à aucun moment le peuple sache ce qui s’est passé, remarque-t-il. L’État traite le peuple comme s’il ne méritait pas de savoir. Rien n’a été dit, personne n’a cherché à justifier ce qui s’est passé, ce qui n’a fait qu’aggraver la perte de confiance ». Perte de confiance liée à la crise économique née de la guerre en Ukraine.

En un an et demi, la devise égyptienne est tombée à son plus bas historique, tandis que le taux de change du dollar doublait au marché officiel – passant de 15.50 à environ 31 livres, et même plus de 40 au marché noir. Quant à l’inflation, elle atteignait 40,7 % en juillet dernier, selon les chiffres officiels.

Sur les marchés, les prix des produits essentiels ont doublé, voire triplé, tandis que, selon les dernières données disponibles, datant de 2020, un tiers de la population se trouvait déjà sous le seuil de pauvreté avant la crise.

« Dix ans après son arrivée au pouvoir, le président Sissi n’a jamais été aussi affaibli, poursuit le professeur Said Sadik. Le régime est cerné par les crises et les scandales, et le pays est en ébullition. »

Répression accrue
Un affaiblissement qui encourage l’opposition à attaquer de plus en plus frontalement le régime. « C’est la première fois que l’on voit autant d’opposants critiquer directement le président Sissi et sa politique, lui demandant même de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle et d’ouvrir l’espace politique », ajoute l’universitaire.

Des tensions qui, pour l’heure, ont surtout poussé le régime à serrer la vis. Le 20 août dernier, l’opposant et président du Conseil des secrétaires d’Al-Tayar al-Hurr, Hisham Kassem, a été arrêté après un échange musclé avec un autre membre de l’opposition. Kassem fait partie des personnalités qui ont demandé publiquement dans les médias au président Sissi de renoncer au pouvoir.

« L’Égypte ne pourra pas supporter un nouveau mandat de six ans de Sissi, conclut de son côté Emad Gad. Avec la politique qu’il mène, le pays risque tout simplement de s’effondrer. »

jeuneafrique

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