Kenneth Branagh continue de déterrer les écrits d’Agatha Christie dans la peau de son célèbre détective, Hercule Poirot. Et si on pouvait penser que les succès relatifs, aussi bien critiques que commerciaux, de son Crime de l’Orient-Express et de son Mort sur le Nil finirait par avoir raison de sa moustache, c’était sans compter sur un nouveau Mystère à Venise.
La trajectoire de Kenneth Branagh est aussi indéchiffrable qu’un relevé de compte pour qui s’est arrêté aux tables de multiplication en mathématiques. On peut retrouver le réalisateur derrière des projets intimes réussis comme Belfast ou des grosses productions comme Thor, Cendrillon ou encore Artemis Fowl pour Disney. Le bonhomme a, d’ailleurs, été annoncé à la tête du projet d’adaptation de Gargoyles, dessin animé des années 90. Qu’il soit devant ou derrière la caméra, difficile de prédire par avance vers quel projet il ira. Sauf peut-être un.
Car depuis 2017, Branagh se passionne pour un personnage-phare d’Agathe Christie : Hercule Poirot. Et comme il le prouve en adaptant une troisième fois l’une de ses enquêtes, on est loin d’en avoir fini avec le détective moustachu.
Ce Mystère à Venise nous amène donc… à Venise, pour les deux du fond qui dormaient, sur les pas d’un Poirot qui préfère aujourd’hui poireauter loin des enquêtes criminelles, ayant perdu foi en Dieu et en l’être humain après la Seconde guerre et tous les meurtres sur lesquels il a travaillé. Jusqu’au moment où son amie, la célèbre écrivaine de romans policiers Ariadne Oliver, lui demande de l’accompagner à une séance de spiritisme la veille d’Halloween au sein d’une maison dite hantée, afin d’y prouver l’imposture. Mais lorsque l’un des participants trouve la mort, Hercule Poirot n’a pas d’autres choix que de boucler la bâtisse et démasquer le coupable.
Contrairement à son compère Rian Johnson avec sa saga À Couteaux tirés qui aime donner à ses whodunit un petit côté rebelle qui se joue des codes, Branagh est un formaliste jusqu’au bout des ongles qui ne change les écrits de Christie que pour surprendre le connaisseur, sans modifier une ligne du reste. Comme les deux films précédents, Mystère à Venise est balisé par le genre, sans forcément qu’on le comprenne dans le sens péjoratif du terme. C’est classique, c’est carré, à l’image d’une époque et d’un personnage à la pilosité faciale parfaitement en place. Il y a un cadre et il ne faudra pas compter sur Branagh pour s’en écarter.
Dès lors, comment éviter de s’étouffer sous dix couches de poussière ? Le réalisateur et star principale du film trouve la solution par la mise en scène ; jouant sur d’autres codes que le roman policier pour aller flirter du côté du métrage d’épouvante. Esprits vengeurs au sein d’une demeure délabrée habitée par des vivants fantomatiques, tout est réuni pour que le metteur en scène s’amuse à effrayer un spectateur à coups de grincements et d’apparitions surprises. Pour le coup, on peut dire que le cinéaste gagne son pari avec une ambiance effrayante réussie, s’aidant du huis clos pour nous coincer parmi les peurs de chacun.
Une manière de dire que Branagh sait aussi apprendre de ses erreurs, évitant peut-être de sombrer à nouveau dans une mise en scène un peu trop hollywoodienne avec un surplus d’effets numériques. Mystère à Venise trouve dans sa sobriété du lieu un espace où le réalisateur opère une sorte de retour en arrière qui sied mieux à son entreprise.
L’autre correction qu’on apprécie plus particulièrement, c’est un nombrilisme bien moins invasif de la part de celui qui semblait, dans Le Crime de l’Orient-Express et de Mort sur le Nil, surtout satisfaire son propre égo en se mettant au premier plan constamment. Ici, Poirot reste la figure de proue, mais il nous épargne ses longs monologues, la caméra arrêtée en gros plan sur sa moustache qui frisotte. Poirot est replacé à la même échelle que ses camarades, prisonnier de l’atmosphère générale. On a davantage le sentiment d’assister à une vraie enquête qu’à un film de, avec et pour Kenneth Branagh.
Martin Mystère à Venise
Des qualités qui font, sans mal, de Mystère à Venise le meilleur des trois opus. Ou le moins pire. Car si Branagh améliore son Poirot, Hercule n’est pas encore Sherlock (ni Christophe Lambert) et le climat angoissant agit davantage en cache-misère d’un scénario toujours à la peine malgré le matériel de base.
Nonobstant les bonnes intentions, on a toujours cette impression que le réalisateur se complaît dans la grandiloquence, donnant même un sentiment d’esbroufe quand la mise en scène prend le pas sur l’intrigue policière, pourtant cœur du sujet. Le symptôme de l’arbre cachant la forêt lorsque les évidences commencent à s’accumuler (voire résoudre l’enquête dès les premiers instants pour peu qu’on soit attentif), mais qu’on continue à jouer à Casper, le gentil fantôme.
Une enquête plate, convenue, servie par des personnages caricaturaux à l’extrême. Chaque membre est écrit avec une seule caractéristique qui sera rappelée à longueur de film, de sorte qu’on a la sensation de ne pas avoir à faire à des êtres humains, mais à des objets animés. La gouvernante pieuse, le médecin de guerre traumatisé, l’écrivaine arriviste, les assistants louches ou encore le gamin psychopathe (si si).
Ce n’est pas un long-métrage, c’est un Cluedo filmé où l’on s’attend à tout moment qu’on nous dise que c’était le Colonel Moutarde, dans le salon, avec un chandelier. Branagh a déjà adapté « Beaucoup de bruit pour rien » et on ne trouvera pas meilleur qualificatif pour son Mystère à Venise.
JDG