Les législateurs chinois ont récemment proposé une nouvelle loi qui interdit de porter des vêtements portant « préjudice à l’esprit du peuple chinois », sans définir les contours d’une telle mesure. De quoi susciter une rare levée de boucliers d’une partie de la population, alors que le texte est soumis à une consultation publique jusqu’au 30 septembre.
L’habit ferait-il le délinquant en Chine ? Une nouvelle proposition de loi controversée prévoit de punir quiconque porterait des vêtements ou arborerait des symboles susceptibles de heurter « le sentiment national chinois », annonce le New York Times, dans un article publié lundi 11 septembre. Sans plus de précision de la part du législateur chinois…
Le texte peut être commenté publiquement jusqu’au 30 septembre. Si, à l’issue de cette période, la mesure est adoptée en l’état, toute personne prise en flagrant délit de porter des habits ou signes « préjudiciables à l’esprit du peuple chinois et au sentiment national » peut se retrouver derrière les barreaux pour deux semaines ou avoir à payer plusieurs centaines de dollars d’amende.
« Terme fourre-tout »
Mais l’opinion publique apparaît particulièrement remontée contre ce projet de loi. Le texte a « attiré plus de 70 000 commentaires en environ une semaine », souligne le quotidien hongkongais South China Morning Post, mardi. La plupart d’entre eux sont négatifs, y compris « de la part de certains médias conservateurs qui demandent des précisions au gouvernement », note Marc Lanteigne, sinologue à l’université arctique de Norvège, qui précise qu’une telle bronca est rarissime en Chine.
Personne ne sait, en effet, ce que le concept de « préjudice au sentiment national chinois » recouvre. « C’est un terme fourre-tout généralement utilisé par les autorités pour critiquer les actions d’autres nations qui déplaisent au gouvernement », explique l’expert.
Ce flou dans la rédaction d’une loi n’est pas non plus une nouveauté. « C’est le principe de l’incertitude législative qui permet aux autorités chinoises de se ménager des marges de manœuvre afin de pouvoir, ensuite, adapter le texte aux circonstances », explique Ho Ting « Bosco » Hung, spécialiste de la Chine à l’International Team for the Study of Security de Vérone (ITSS Verona).
Les législateurs ont donc suivi une méthode qui a fait ses preuves par le passé. Mais, cette fois, en s’attaquant à la mode vestimentaire, ils s’en prennent à un élément qui « touche à un aspect essentiel de la vie quotidienne des Chinois », prévient Ho Ting « Bosco » Hung. Ces derniers vont craindre, par exemple, que les costumes importés de l’étranger et qu’ils portent au travail déplaisent à un policier particulièrement zélé.
« Attention à l’arrivée de la police des mœurs », déplore un avocat chinois sur le réseau social Weibo. « Vous croyez qu’on pourra encore se moquer des excès en Iran ou en Afghanistan [si ce genre de mesure est appliquée en Chine, NLDR] ? »
Surtout, « il existait depuis les années 1980 une sorte de compromis national tacite en vertu duquel l’État n’intervient pas dans la manière de s’habiller », souligne Ho Ting « Bosco » Hung. À cette époque, le pays commençait à s’ouvrir au monde et les Chinois se sont mis à rêver de jeans et autres accoutrements typiques du mode de vie à l’occidental. « Au début, les autorités ont vu cette tentation d’un mauvais œil, mais le gouvernement a finalement laissé faire », poursuit Marc Lanteigne.
Pas de kimono ou de « couleurs flamboyantes »
La nouvelle mesure peut ainsi apparaître comme un dangereux retour en arrière. Et l’inquiétude est d’autant plus vive que des signes avant-coureurs avaient déjà commencé à échauffer les esprits : en août 2022, « une femme qui se rendait à un rassemblement de cosplay s’était fait arrêter pour trouble à l’ordre public parce qu’elle portrait un kimono japonais », souligne Marc Lanteigne.
L’incident avait suscité un vif débat sur les réseaux sociaux. Pour les uns, la police avait dépassé les bornes tandis que d’autres jugeaient que la femme faisait, de par son choix vestimentaire, l’apologie de l’ancienne puissance colonisatrice japonaise.
Même émoi après une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux en août 2023 montrant un vigile refusant à un client d’entrer dans un centre commercial parce qu’il était déguisé en samouraï.
Cette crispation vestimentaire ne vise pas seulement ce qui peut rappeler le Japon, ennemi traditionnel du nationalisme chinois. Cet été, des Chinois ont été empêché d’assister à un concert parce qu’ils portaient des vêtements « trop flamboyants » aux yeux des gardes à l’entrée de la salle, rappelle le New York Times.
« Les autorités cherchent actuellement à renforcer le sentiment d’unité nationale et partent à la chasse de tout ce qui peut s’apparenter à du séparatisme, y compris dans la manière de s’habiller », affirme Ho Ting « Bosco » Hung. Ce n’est pas un hasard, pour cet expert, si en parallèle il y a un soutien de plus en plus officiel au mouvement Hanfu, cette mode très prisée par une partie de la jeunesse qui prône un retour aux tenues traditionnelles chinoises.
Dérive paranoïaque du régime ?
À cet égard, la tentation d’instaurer une censure vestimentaire serait, en fait, l’illustration d’une dérive paranoïaque du régime, estime Marc Lanteigne. « Depuis la fin des mesures sanitaires pour lutter contre le Covid-19 et les manifestations qui avaient alors eu lieu, le pouvoir a peur de perdre le contrôle’ », assure cet expert.
Le ralentissement économique n’a fait qu’accentuer cette crainte car elle donne l’impression que le pouvoir n’est plus capable d’assurer le bien-être de la population.
Pour Pékin, le meilleur moyen de fédérer la population autour du régime consisterait à promouvoir le patriotisme. Serrer la vis vestimentaire représente une manière d’y arriver en suggérant que porter certains habits ou symboles reviendrait à « succomber à l’influence occidental ou à celle d’un pays avec lequel Pékin est en froid [comme le Japon] », résume Marc Lanteigne.
Mais le pouvoir semble avoir choisi le pire moment pour s’attaquer à la manière de s’habiller de chacun. En effet, les premiers à subir une telle mesure seraient les jeunes, qui expérimentent le plus avec les goûts et les modes. Problème : « c’est la partie de la population qui pâtit le plus du ralentissement économique et les jeunes ont déjà l’impression d’être les laissés pour compte de la société », rappelle Marc Lanteigne. Pour ce spécialiste, les priver de leur liberté de s’habiller – sans même préciser les contours de cette interdiction – pourrait être la goutte qui fera déborder le vase de leur mécontentement.
francz24