Les plantes utilisées pour prévenir ou traiter l’éléphantiasis (photo), l’onchocercose et la schistosomiase peuvent intéresser la science. Crédit image: tim kubacki (CC BY 2.0)
126 espèces de plantes peuvent aider à la prévention et au traitement de trois maladies tropicales négligées à filaire que sont l’onchocercose, encore appelée cécité des rivières, la schistosomiase et la filariose lymphatique, plus connue sous le nom d’éléphantiasis.
Telle est la conclusion d’une étude publiée en juillet 2022 dans le Journal of Applied Biosciences sous le titre « Savoirs locaux dans la prévention et le traitement traditionnels de trois maladies tropicales négligées à filaire du district des Montagnes (Côte d’Ivoire) ».
Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont adressé un questionnaire à 200 praticiens de la médecine traditionnelle dans la zone d’étude. Il en est sorti que ces derniers connaissent bien les trois maladies étudiées et les ont jusque-là traitées en se servant des 126 espèces de plantes en question.
“L’étude a permis de révéler beaucoup de savoirs endogènes sur les plantes médicinales. Ces données vont orienter des recherches en laboratoires en vue de produire des phytomédicaments efficaces, disponibles et surtout à moindre coût”
Kouadio Bene, université Nangui Abrogoua, Abidjan, Côte d’Ivoire
Parmi ces plantes, 53 sont utilisées pour prévenir ou traiter la filariose lymphatique, 49 pour l’onchocercose et 62 pour la schistosomiase. Dans le même temps, seulement sept plantes sont utilisées dans la lutte contre toutes ces trois pathologies.
Interrogé par SciDev.Net, Kouadio Bene, enseignant-chercheur à l’Unité de formation et de recherche (UFR) en Sciences de la nature à l’université Nangui Abrogoua d’Abidjan en Côte d’Ivoire, situe le contexte de réalisation de cette étude.
« Depuis 2005, des études ont révélé des résistances aux médicaments, des effets indésirables graves, une durée de traitement prolongée et la complexité des modes administration des médicaments. Face à cette problématique, la pharmacopée se présente comme une alternative à explorer pour venir à bout de la filariose lymphatique, de l’onchocercose et de la schistosomiase », dit-il.
En outre, « depuis l’aube des temps, les plantes médicinales ont été utilisées par les populations pour leurs soins de santé primaire et ces utilisateurs ont toujours trouvé satisfaction », ajoute le chercheur.
« C’est donc en nous inspirant de l’efficacité reconnue de ces plantes médicinales que nous avons voulu, par ce projet, proposer une alternative thérapeutique », affirme Kouadio Bene.
A en croire ses auteurs, l’objectif final de l’étude était de réaliser une monographie des principales plantes identifiées. Et maintenant que cette monographie est disponible, elle devrait constituer une base de données dans laquelle les scientifiques et autres peuvent puiser des informations utiles pour des recherches en laboratoires.
« L’étude a permis de révéler beaucoup de savoirs endogènes sur les plantes médicinales. Ces données vont orienter des recherches en laboratoires en vue de produire des phytomédicaments efficaces, disponibles et surtout à moindre coût », indique Kouadio Bene.
Amel Bouzabata, professeur de pharmacognosie[1] à la Faculté de médecine de l’université Badji-Mokhtar d’Annaba (Algérie) qui n’a pas participé à ces travaux, trouve que « c’est une étude intéressante qui met en lumière l’importance de la pratique de la médecine traditionnelle en Côte d’Ivoire dans le traitement de quelques maladies parasitaires. »
Dans un entretien avec SciDev.Net, elle affirme aussi que « le but de cet inventaire est de connaitre les plantes médicinales ainsi que leur utilisation traditionnelle par la population de la région des Montagnes en Côte d’Ivoire. La mise en évidence des usages thérapeutique reste une première étape cruciale pour la découverte de nouveaux médicaments. »
« Aujourd’hui, la science et même la médecine ont montré leurs limites (résistances et multirésistances aux médicaments de synthèse, effets indésirables graves, coût élevé des produits, …) face à certaines pathologies émergentes et réémergentes. Ainsi, de tels travaux scientifiques qui permettent de révéler les savoirs endogènes viennent aider à résoudre différents problèmes de santé », renchérit Kouadio Bene.
Dénomination scientifique
Toutefois, regrette Amel Bouzabata, la dénomination scientifique des plantes n’est pas mentionnée. Ce qui pourrait constituer une difficulté pour les chercheurs qui auraient du mal à reconnaître lesdites plantes.
« L’ethnotaxonomie des maladies dans le langage populaire a été précisée. Néanmoins, les noms scientifiques des 126 espèces doivent être cités, pour constituer une base de données aux futurs recherches », suggère l’universitaire algérienne.
Sur la méthodologie « boule de neige » utilisée pour cette étude, cette dernière indique qu’elle présente l’avantage d’élargir le nombre de répondants, notamment en se basant principalement sur leurs connaissances et leur expérience dans la médecine traditionnelle.
« Cet échantillonnage permet aux chercheurs d’atteindre des populations inaccessibles, avec un gain de temps important puisqu’il se base sur les relations existantes dans le réseau. Toutefois, affirme-t-elle, il est important de tenir compte des considérations éthiques, en élaborant un consentement éclairé et visé pour chaque répondant. »
Amel Bouzabata pense enfin que « l’étude des facteurs influençant le recours des patients à la médecine traditionnelle, est une étape complémentaire à cette étude. La correspondance entre les pratiques des guérisseurs et la perception des patients est une étape intéressante qui mettra en lumière le profil de l’espèce et ses associations avec les autres espèces répertoriées dans l’étude. »
Réalisée dans le cadre de l’Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS), cette étude, n’a enregistré que 20 % de femmes parmi les 200 praticiens de la médecine traditionnelle qui ont constitué son échantillon.
Kouadio Bene tente d’expliquer ce déséquilibre en disant que dans la plupart de nos cultures traditionnelles, l’héritage de quelque nature que ce soit a souvent été légué aux hommes »
A ce facteur, il ajoute l’incapacité des femmes à pouvoir se rendre en forêt montagneuse (dans le cas de la présente étude) pour la récolte des plantes ou à leur forte occupation due à la fois aux travaux champêtres et aux tâches ménagères…
scidev