Qu’est-ce que l’Artemisia et pourquoi son utilisation n’est-elle pas recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ? Les réponses de Sciences et Avenir.
Utilisée depuis des siècles en médecine chinoise, Artemisia annua a été « redécouverte » pendant la guerre du Vietnam. Et ce n’est pas une inconnue de la science moderne. En 2015, Youyou Tu est devenue le premier prix Nobel de médecine chinois pour avoir démontré l’efficacité d’une substance extraite de la plante, l’artémisinine, dans les traitements antipaludéens.
En février 2019, l’Académie nationale de médecine avertissait que l’artémisinine est recommandée pour traiter le paludisme en association avec d’autres médicaments à l’action plus prolongée selon des « combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine », ou CTA.
L’utilisation de cette plante seule, en poudre ou en tisane, n’a aucune garantie d’efficacité et risque d’aggraver l’émergence de formes résistantes de la maladie, expliquait-elle, tout en dénonçant les allégations « scientifiquement incertaines et irresponsables » de ceux qui promeuvent cette phytothérapie. L’Académie demandait alors « que cesse une campagne de promotion organisée par des personnalités peut-être bien intentionnées mais incompétentes en paludologie« .
La lauréate chinoise du prix Nobel, Youyou Tu
Attention au thé et à la poudre d’Artemisia annua
Quant à l’OMS donc, elle « ne recommande pas l’utilisation de matériel végétal d’A. Annua, sous quelque forme que ce soit, y compris le thé, pour le traitement ou la prévention du paludisme« , stipule-t-elle sur son site internet.
En effet, comme pour la plupart des herbes médicinales, « la teneur en artémisinine et son efficacité dépendent des conditions climatiques, géographiques et environnementales« , détaille l’organisation dans des recommandations visant à guider les industries pharmaceutiques dans la production d’artémisine de qualité suffisante.
« Toutes les plantes d’Artemisia annua ne contiennent pas nécessairement d’artémisinine et dans certains endroits, en fonction de la qualité du sol et des précipitations, la teneur peut être très faible« , d’après l’OMS.
Artemisia annua est notamment sensible à l’humidité et à la température, et ses feuilles « conservées à une température supérieure à 20°C avec une humidité relative élevée entraînent une perte substantielle de teneur en artémisinine« , précise encore l’organisation, ajoutant que les feuilles doivent être stockées dans un endroit frais et sec, pas forcément disponible pour les personnes vivant en zones rurales.
De plus, « les patients traités contre le paludisme avec du thé A. annua risquent de ne pas être suffisamment dosés » en raison de la faible solubilité et de l’instabilité de l’artémisine dans l’eau et à des températures élevées. « Afin de recevoir une dose équivalente à un comprimé ou à une capsule d’artémisinine à 500 mg, les patients devraient boire jusqu’à 5 litres de thé d’A. Annua par jour pendant au moins sept jours consécutifs« , précise l’OMS, une posologie peu faisable dans la réalité, où les patients prennent plutôt autour d’un litre quotidien de ce thé.
Un plant d’Artemisia annua.
Une phytothérapie qui n’est pas sans risques
Ne prendre qu’un cinquième de la dose efficace pourrait laisser des parasites vivants dans l’organisme, s’inquiète l’OMS. « De telles doses subcuratives pourraient favoriser l’émergence d’une résistance de P. falciparum à l’artémisinine« , alerte-t-elle encore, rappelant que « les associations de médicaments comportant un dérivé de l’artémisinine (…), et un autre antipaludique, sont à l’heure actuelle notre meilleure arme contre les parasites résistants« .
« Aucune molécule n’est actuellement disponible pour remplacer l’artémisinine dans les CTA« , souligne à son tour l’Académie de médecine. Ainsi, « utilisée correctement en association avec d’autres antipaludiques, l’artémisinine a une efficacité de près de 95 % pour guérir le paludisme et elle rend très improbable le développement d’une résistance du parasite« , rappelle l’Organisation mondiale de la santé.
Tout aussi grave, « la consommation d’Artemisia seule pendant 7 jours, par des litres de tisane de composition incertaine, expose les jeunes enfants impaludés à un risque élevé d’accès pernicieux« , une complication grave du paludisme qui se traduit par une atteinte du système nerveux pouvant mener au décès, s’alarme l’Académie.
L’artemisia contre le Covid-19 ?
En 2020, Madagascar avait livré dans plusieurs pays du continent un breuvage à base d’artemisia en affirmant qu’elle prévenait voire soignait le Covid-19. Les éventuels effets de cette tisane n’avaient été validés par aucune étude scientifique. « Nos gouvernements (africains) se sont engagés en 2000 (…) à traiter les remèdes traditionnels comme les autres médicaments en les soumettant à des essais« , avait déclaré la responsable de l’OMS pour l’Afrique, le Dr Matshidiso Moeti, lors d’un échange avec la presse.
« Je recommande que ces résolutions (…) soient suivies« , avait-elle ajouté, « nous vivons des temps difficiles, je peux comprendre la nécessité de trouver des solutions mais j’encourage le respect des processus scientifiques sur lesquels nos gouvernements se sont engagés« . Le Dr Moeti avait par ailleurs exhorté le gouvernement malgache à « faire tester (son) produit lors d’essais cliniques » afin de « vérifier son efficacité (…) et sa sécurité sur les populations« .
AFP