Dialogue avec les États-Unis, rabibochage avec les pays de la Ligue arabe et l’Arabie saoudite, admission au sein des Brics… Depuis plusieurs mois la République islamique enchaîne les coups diplomatiques pour sortir de son isolement. Des alliances qui révèlent avant tout un pouvoir fragilisé par une année de manifestations liées à la mort de Mahsa Amini et par des difficultés économiques.
Un an après la mort de Mahsa Amini, qui a provoqué d’importants soulèvements anti-pouvoir en Iran, la République islamique fait son grand retour sur la scène diplomatique, renouant le dialogue avec plusieurs de ses rivaux d’hier.
Malgré les nombreux rapports d’ONG et les remontrances de Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, l’accusant de graves violations des droits humains, le pouvoir iranien semble être redevenu fréquentable. Du moins c’est ce qu’il laisse croire. « Les éléments de langage de Téhéran présente l’Iran comme un pays qui n’est plus isolé, qui discute avec ses voisins régionaux, un pays qui se place dans une logique constructive », analyse David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et rédacteur en chef de la revue « Orients Stratégiques », « mais cela relève largement d’une logique d’affichage ».
Dans la même journée du vendredi 22 septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, l’Iran a ainsi fait savoir qu’il rétablissait ses relations diplomatiques avec Djibouti le matin, et les Maldives en fin de journée. Le tout après plus de sept ans de rupture. Ce rapprochement intervient quelques mois après que le pays à majorité chiite et l’Arabie saoudite à majorité sunnite ont scellé leur réconciliation dans le cadre d’un accord négocié en mars par la Chine.
Riyad avait rompu ses relations avec Téhéran à la suite d’une attaque contre son ambassade à Téhéran en janvier 2016, consécutive à l’exécution, en Arabie saoudite, d’un dignitaire chiite saoudien. Les Maldives, un archipel de l’océan Indien, et d’autres pays de la Ligue arabe avaient suivi le mouvement, en signe de solidarité.
Un apaisement de façade avec les États-Unis
Autre coup diplomatique de cette rentrée : l’Iran est parvenu à s’entendre avec les États-Unis sur un accord permettant à la République islamique de récupérer des fonds iraniens gelés d’un montant de six milliards de dollars. La somme a été transférée le 18 septembre via le Qatar, moyennant la libération de cinq ressortissants américains détenus en Iran.
Aux yeux de certains experts et de médias américains, cet accord témoignerait d’un relatif apaisement entre les deux pays. “La libération des Américains représente une avancée significative dans les relations diplomatiques après des années de négociations indirectes et compliquées entre Washington et Téhéran”, s’est même enthousiasmé la chaîne américaine CNN.
Mais le gouvernement américain a tenu à minimiser l’évènement. Un haut fonctionnaire de l’administration Biden a déclaré que l’accord « n’a en rien modifié nos relations avec l’Iran ». Cette entente, contextualisée sur le cas d’un échange d’otages, ne préjuge en rien d’un dialogue nouveau entre Américains et Iraniens, notamment sur le dossier du nucléaire iranien. Washington reste en effet « inébranlable dans son engagement à ce que l’Iran ne se dote jamais de l’arme nucléaire », a rappelé, le 19 septembre, le président américain, Joe Biden, devant l’Assemblée générale de l’ONU.
Les États-Unis ont également insisté sur le fait que ces six milliards de dollars débloqués ne constituaient pas un « chèque en blanc » offert à l’Iran et que l’utilisation des fonds iraniens gelés, se ferait sous « stricte surveillance », et était destinée « à des fins humanitaires » uniquement. Mais Téhéran a, de son côté, assuré avoir la possibilité d’user autrement de cette enveloppe et pas seulement pour acheter des médicaments et de la nourriture.
L’Iran en situation de fragilité interne
Pourtant, loin du succès affiché par Téhéran, cet accord, de même que le rapprochement avec l’Arabie saoudite, révèlent surtout « les préoccupations du pouvoir iranien qui se trouve dans une situation interne d’implosion potentielle », indique David Rigoulet-Roze.
« C’est surtout Téhéran qui a insisté pour obtenir l’accord avec Riyad – son rival stratégique, car le pouvoir iranien se sentait fragilisé en interne après les manifestations [consécutives à la mort de Mahsa Amini], et parce que l’étranglement par les sanctions économiques était devenue trop forte. Donc il lui fallait lâcher du lest en externe. Il ne pouvait pas se permettre de rester isolé à l’extérieur avec cette déstabilisation de l’intérieur », précise le chercheur.
Pour ce spécialiste de la région, la finalisation de l’accord d’échange de prisonniers s’est fait avant tout « dans une logique transactionnelle » et « ne prouve pas forcément une détente ». « Il ne prouve qu’une chose : c’est que les canaux de communication entre Téhéran et Washington ne sont pas totalement rompus ».
Sur le terrain, la réalité est autre. David Rigoulet-Roze rappelle que « dans le Golfe [persique], les États-Unis ont rehaussé le curseur de leur présence militaire cet été, notamment pour répondre à des attentes de ses alliés dans la région », en annonçant l’envoi de navires de guerre et d’avions de combat pour dissuader Téhéran de s’attaquer aux pétroliers qui traversent le détroit d’Ormuz, une zone maritime hautement stratégique.
Par ailleurs les sanctions américaines contre Téhéran sont plus que jamais en vigueur et continuent de nuire au gouvernement iranien. Ainsi, l’Iran, qui a présenté son entrée dans le camp des Brics aux côtés de l’Arabie saoudite, prévue pour le 1er janvier 2024, comme un « succès stratégique », ne va réellement pas pouvoir en tirer les bénéfices commerciaux tant qu’elle reste sous sanctions américaines, selon David Rigoulet-Roze.
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