Les campagnes de dépistage du cancer du sein ont été lourdement impactées par la pandémie de Covid-19 et son confinement, enregistrant un déficit de participation. Mais ce ne sont pas les seules raisons qui tiennent éloigné plus d’un million de Françaises concernées qui n’ont jamais fait de dépistage. Pourquoi les politiques publiques peinent-elles tant à mobiliser davantage autour de la prévention du cancer du sein qui, dans ses meilleures années, avait vu un taux de 52,3 %… jamais atteint depuis. Rappelons que le cancer du sein reste à ce jour le plus fréquent et le plus meurtrier chez la femme.
À l’approche d’Octobre Rose, mois de sensibilisation au dépistage du cancer du sein, la Ligue contre le cancer s’est penchée sur les freins qui pouvaient pousser ou contraindre les femmes à ne pas participer au programme de dépistage organisé. Plus d’un million de Françaises âgées de 50 à 74 ans, la cible de cette campagne nationale, affirment n’y avoir jamais participé. Emmanuel Ricard, porte-parole de la Ligue contre le cancer, décrypte ces résultats, et revient sur l’importance de faire surveiller ses seins régulièrement à partir de 50 ans. Interview.
À l’approche d’Octobre Rose, on apprend que le taux de participation au programme national de dépistage du cancer du sein a fortement baissé ces dernières années. Pouvez-vous nous en dire plus ?
2 424 599 femmes ont effectué une mammographie de dépistage organisé au cours de l’année 2022, ce qui correspond à un taux national de participation de 44,9 % (versus 50,6 % en 2021). La moindre participation constatée en 2022 par rapport à 2021 s’explique en partie par la participation majorée en 2021, une année de rattrapage en raison de la pandémie de Covid-19 et des confinements. Les femmes sont invitées tous les 2 ans à faire un dépistage par mammographie, les chiffres de participation sont donc à regarder sur une période de deux années successives.
Sur deux ans, le taux de participation est-il moins alarmant ?
La participation de 2021-2022 pourrait amorcer une légère remontée avec un taux de 47,7 % versus 46,6 % sur la période 2020-2021 pour toutes les tranches d’âge, toutes les régions métropolitaines et presque tous les départements. Nous sommes cependant bien loin des 52,3 % de la période 2011-2012 que nous n’avons plus atteints depuis.
Nous résorbons les conséquences des perturbations dues au Covid-19, mais la baisse progressive de l’offre en sénologie participait déjà à des allongements de délais entre deux dépistages et à la baisse de la participation.
On sait justement que la crise sanitaire a eu un impact, du moins temporaire, sur le dépistage de nombreuses maladies. Comment cela s’est-il traduit pour le cancer du sein ?
C’est effectivement aussi le cas pour le cancer du sein. Le dépistage avait été arrêté par la pandémie du fait des confinements et de la mobilisation des radiologues pour s’occuper des urgences pneumologiques. Une partie des personnes ont pu faire leur dépistage l’année suivante en plus de celles qui le faisaient à la date prévue entrainant un surcroit d’activité pour les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers et pour les radiologues.
Nous avons donc pu rattraper une partie du déficit de participation dû à la fermeture pendant la pandémie, mais nous ne sommes pas encore revenus aux chiffres antérieurs aux années Covid.
LA PANDÉMIE DE COVID-19 A FAIT RECULER LES DÉPISTAGES DU CANCER DU SEIN.
Les freins sont en réalité très divers. Parmi les principaux, figure notamment l’absence de compréhension de ce qu’est le dépistage puisque certaines femmes ne voient pas l’intérêt, en l’absence de symptômes, de cet examen, ou la nécessité de le faire en répétant les mammographies tous les deux ans alors que le cancer est une maladie évolutive sur plusieurs années.
Mais il y a également d’autres craintes, comme celle d’avoir mal, que ce soit en raison d’une mauvaise expérience personnelle ou par « ouï-dire ». Il est sûr que la pratique de la mammographie place le sein entre deux plaques et le pince, mais c’est là le travail des professionnels et des manipulateurs radio d’expliquer et d’accompagner ces gestes pour limiter les désagréments qui peuvent en découler.
Certains freins mentionnés par les femmes témoignent d’un manque d’accessibilité ou d’information. Pouvez-vous nous en parler ?
Les répondantes ont effectivement évoqué les difficultés d’accès au dépistage du fait de l’éloignement des structures, du coût des déplacements, de l’allongement des délais de rendez-vous, qui engendrent des renoncements. Elles ont également fait part d’un manque de temps ou d’une autre hiérarchisation des priorités, ce qui peut se concevoir pour certaines dans un contexte économique difficile. Il y a aussi la question des polémiques qui se font jour régulièrement sur ce dépistage, qui sont des débats entre professionnels difficiles à comprendre pour la population.
Une partie des sondées explique ne pas se faire dépister par peur d’avoir un cancer. Comment expliquer cette contradiction ?
Ne pas vouloir envisager la survenue du cancer peut être la conséquence d’une forme de superstition : on ne veut pas appeler la maladie. C’est la peur d’invoquer le mauvais œil. Cette explication n’est pas réservée à certaines cultures ou religions. Mais ce n’est pas l’unique réponse possible. Pour certaines personnes, la vie est déjà très compliquée et envisager la maladie quand on est déjà dans « la galère » n’est pas possible.
Ces personnes adoptent alors une attitude fataliste. Supporter la surcharge mentale, la tension supplémentaire qu’apporterait la maladie, n’est pas envisageable pour elles.
LE CANCER DU SEIN PEUT METTRE DES ANNÉES À SE RÉVÉLER. C’EST UNE MALADIE QUI ÉVOLUE LENTEMENT, CE QUI EXPLIQUE POURQUOI IL FAUT RÉPÉTER TOUS LES DEUX ANS LES MAMMOGRAPHIES. © PIXELFIT, GETTY IMAGES
L’éloignement résulte d’une diminution du nombre de radiologues d’une part et d’une concentration de la répartition de ceux-ci sur le territoire d’autre part, ce qui aboutit à une moindre proximité des centres de radiologie pour les patientes.
Une des solutions se trouve dans les stratégies du « aller vers la population », soit en développant des facilités pour les rendez-vous, c’est ce que nous faisons avec Doctolib, soit en développant des projets de mammobiles —
les appareils et les radiologues se déplacent vers les zones de moindres participation ou éloignées, comme nous le soutenons dans certains départements normands ou en Loire-Atlantique –, soit en facilitant les possibilités de déplacements.
Mais il s’agit aussi parfois d’aider les gens à sortir de leur quartier pour repérer les structures, les aider à y aller et leur montrer qu’ils ne seront pas seuls si la mammographie était positive, qu’ils pourront trouver une aide, un soutien psychologique.
Pourquoi est-il important de se faire dépister régulièrement à partir de 50 ans ?
80 % des cancers du sein surviennent après 50 ans, c’est donc la période où l’on peut détecter le plus grand nombre de cancers du sein. C’est également la période où survient la ménopause qui rend les seins moins denses, et donc où les doses de rayons seront les plus efficaces et en moindre quantité. Pour que cela soit efficace, il faut répéter tous les deux ans les mammographies car le cancer peut mettre des années à se révéler.
Il faut concevoir le dépistage comme une surveillance et non comme un résultat unique et définitif. La mammographie permet de détecter des tumeurs beaucoup plus petites que ce qu’on peut détecter à la palpation. C’est donc un examen plus efficace que la palpation des seins, et complémentaire de celle-ci.
On observe une hausse des cas de cancer du sein chez les moins de 50 ans, qui ne sont pas concernées par le programme national. Dans ce cas, l’autopalpation est-elle l’unique solution ?
Le dépistage est une action qui doit être efficace et à moindre risque. Exposer à des rayons de façon répétée va paradoxalement accroitre le risque de cancer. On doit donc faire les examens radiologiques de façon à faire la meilleure détection mais sans augmenter ce risque, d’où le choix de la population des plus de 50 ans. Commencer plus tôt multiplie les doses d’irradiation, et le faire chez des femmes plus jeunes avec des seins plus denses renforce les doses nécessaires.
Il ne faut donc le faire que chez les femmes ayant un risque aggravé, et non sur un seul critère d’âge pour toute la population. C’est dans ce sens que sont développés les programmes de recherche sur le dépistage de femmes plus jeunes comme la grande étude européenne MyPeBS qui évalue le dépistage personnalisé du cancer du sein.
Comment expliquer que la France soit à la traîne en matière de dépistage du cancer du sein, par rapport à ses voisins européens ?
La France n’a pas la même culture des programmes de santé publique. Elle n’a pas une organisation comme les pays scandinaves ou britanniques. Nous avons un système de médecine libéral qui privilégie le curatif. C’est également la culture des patients que de valoriser le curatif par rapport au préventif.
Il n’y a qu’à voir les débats réguliers sur la vaccination. Cette culture va mettre du temps à s’installer mais elle est nécessaire pour le challenge qu’est le développement des maladies chroniques et l’enjeu du maintien de notre système de protection sociale.
futura