Carl Lewis: «Aux États-Unis, chaque année, nos sports intègrent un peu plus de diversité»

Alors que les Jeux olympiques de 2024 à Paris approchent à grands pas, RFI a eu l’occasion de s’entretenir à Houston (Texas) avec l’Américain Carl Lewis, sprinter et sauteur, sportif du XXe siècle selon le CIO et légende de l’athlétisme aux neuf médailles d’or olympiques.

RFI: Quel est le meilleur souvenir de vos 40 années d’olympisme ?

Carl Lewis: En tant qu’athlète, il y a bien sûr ces dix minutes lors des JO d’Atlanta en 1996, quand un seul autre athlète capable de me battre en saut en longueur échoue.

James Beckford en est à son dernier essai, il court, saute, atterrit sur le sable et c’est fini. Il me reste un saut, mais j’ai gagné avec 8,50 mètres, alors je ne le tente même pas. Je me lance aussitôt dans un tour du stade en courant. Dans mon pays ! À cet instant, je sais que ce sera la dernière fois. Et tout le stade se lève pour m’applaudir. Pendant dix minutes ! Normalement, en athlétisme, les compétitions s’enchaînent, mais là, le temps s’est arrêté.

Les organisateurs ont attendu que j’ai fini mon tour du stade pour lancer d’autres épreuves. Dix minutes ! Ça, c’était vraiment spécial. Vous avez ces moments dans la vie qui sont uniques, qui ne se reproduiront pas et vous le savez quand vous les vivez. C’était ce moment-là.

Lors des Jeux d'Atlanta en 1996, Carl Lewis a remporté sa neuvième et ultime médaille d'or olympique au saut en longueur.
           Lors des Jeux d’Atlanta en 1996, Carl Lewis a remporté sa neuvième et ultime médaille d’or olympique au saut en longueur. 

Quelle différence y a-t-il pour un athlète entre les JO et les Championnats du monde ?

J’aime les deux, mais les JO, c’est spécial. Tous les quatre ans, il y a deux jours où tu dois être prêt. Pendant 12 années, je devais être au meilleur durant ces deux jours. C’est extrêmement difficile. Il peut se passer tellement de choses, une maladie, une indigestion, un souci familial, une blessure en marchant pieds nus. Toutes ces petites choses auxquelles il faut prêter attention, c’est très bizarre.

Ces Jeux se déroulent à Paris, les prochains en 2028 seront à Los Angeles, là où tout a commencé pour vous…

Les Jeux de Los Angeles auront lieu pile 44 ans après mes médailles là-bas. Je ne pensais vraiment pas y retourner. Ce sera incroyable, j’en suis sûr. Mais Paris 2024, ce sera un siècle après ses précédents Jeux en 1924. C’est mérité, c’est une ville fabuleuse et fascinante, je suis sûr que ce sera passionnant et qu’aux États-Unis aussi, les gens seront emballés.

Actuellement, on n’y pense pas, mais quand ça va commencer, vous allez voir l’excitation. Paris sera extraordinaire et Los Angeles sera très bien, j’en suis sûr.

Carl Lewis lors de JO de Los Angeles en 1984.
                                                              Carl Lewis lors de JO de Los Angeles en 1984. 

Est-ce que vous pensez qu’aux JO, la diversité américaine est mieux représentée que dans d’autres secteurs de la société ?

En Amérique, il y a des choses supers et d’autres beaucoup moins. Nous sommes un melting pot. Et malgré tout ce qui se passe ici, chaque année, nos sports intègrent un peu plus de diversité. Par exemple, nos meilleurs escrimeurs sont un Afro-Américain et une jeune femme musulmane. Et cela va continuer, quoi qu’il arrive.

Le sport permet cet ascenseur social. La vie est difficile, compliquée, mais comme la soupe gombo que l’on fait en Louisiane et au Texas, il faut ajouter des ingrédients, goûter puis ajouter des épices quand ce n’est pas bon, mélanger à nouveau, jusqu’à ce que ce soit délicieux. Il faut y croire.

L’olympisme, c’est aussi l’opposé de la division que l’on voit partout actuellement aux États-Unis. Cela permet aussi de penser aux autres et pas uniquement à soi-même. En 1969, ma mère et mon père ont lancé un club d’athlétisme pour les filles. Ma mère, enseignante, voulait que les filles soient sur les pistes de courses, mais elle n’a essuyé que des refus. Du coup, elle a créé son club. J’avais 8 ans.

On a passé nos étés avec mes frères et ma sœur à y jouer, à regarder les autres s’entraîner et s’améliorer. Sans ce club, je suis sûr que je ne serai pas là aujourd’hui. Ma sœur était très forte, mon frère était bon et moi, j’étais nul. En sport collectif, à l’école, j’étais le dernier appelé. J’ai vraiment appris très tôt à perdre, à ne pas être le meilleur. C’était un bon apprentissage. Même en ne gagnant pas, on peut être à son meilleur.

En commençant par battre son record personnel, par exemple. Mais si vous voulez exceller à quelque chose, il faut travailler. Mon conseil : entraînez-vous de lundi à vendredi pour être prêt le samedi. Vous aurez des échecs, vous ferez des erreurs, mais cela fait partie de l’apprentissage. Donc, rêvez grand et vous y arriverez !

En 1981, vous êtes l’homme le plus rapide du monde, vous avez 65 victoires consécutives sur 10 ans en saut en longueur et votre carrière s’étale sur 17 années. Qu’est-ce qui vous a conduit à vous engager pour professionnaliser ce sport ?

J’ai commencé quand l’athlétisme était pour les « amateurs ». Mon objectif, en me battant pour la professionnalisation, c’était d’obtenir l’égalité. En grandissant, j’ai suivi la longue carrière de la joueuse de tennis Billie Jean King et du joueur de basket Bill Russel. Je regardais la NBA, la NFL et le baseball et les joueurs étaient tous des professionnels. Alors, je me disais « pourquoi pas nous ? ». Nous aussi, nous travaillons dur. Lors de mes deux derniers JO, j’ai réussi à être considéré comme un pro.

Mais cela n’a pas été facile. Les autorités de l’athlétisme et de l’olympisme se sont battues contre la professionnalisation. Mais à partir de 1992, les joueurs de la NBA sont allés aux JO, donc il n’y avait plus de raisons qu’il y ait une différence avec les autres sportifs.

C'est à Los Angeles (Californie) que Carl Lewis (en tête à l'arrivée de ce 100 mètres) a commencé son parcours de légende aux Jeux olympiques. Dans cette édition de 1984, l'Américain se para d'or sur 100 mètres, 200 mètres, 4x100 mètres et au saut en longueur.
C’est à Los Angeles (Californie) que Carl Lewis (en tête à l’arrivée de ce 100 mètres) a commencé son parcours de légende aux Jeux olympiques. Dans cette édition de 1984, l’Américain se para d’or sur 100 mètres, 200 mètres, 4×100 mètres et au saut en longueur.

C’est une des évolutions des JO, en avez-vous vu d’autres ces 40 dernières années ?

La professionnalisation a permis aux athlètes des carrières plus longues ! Cela permet aux athlètes une meilleure reconnaissance, plutôt que d’être la star d’un jour. Cela a poussé aussi à l’ouverture des JO à d’autres sports, car tout le monde veut avoir la crédibilité apportée par l’olympisme. Chaque JO intègre de nouveaux sports.

À Paris 2024, on aura l’escalade. Et j’irai voir ! Depuis que je ne suis plus sur les pistes des JO, après 1996, je me suis fixé comme objectif d’aller découvrir comme spectateur deux nouveaux sports par Jeux. À Paris, j’irai aussi voir le breakdance, ça, c’est sûr !

Aujourd’hui, vous courez toujours ?

Quand on me reconnaît dans une gare, on me demande si je peux battre le train ! J’ai couru pendant 18 ans. Maintenant, je ne cours plus. Entre nous, je n’aime pas courir… plus de 200 mètres. Mais à 62 ans, je fais beaucoup de vélo, je fais des exercices. Mais l’âge, mon Dieu, quel challenge ! Je cours tellement lentement quand je fais de la distance. C’est comme un guépard… à trois jambes.

RFI

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