Comment l’attaque d’un village au Kosovo a ravivé les tensions avec l’ennemi serbe

Les tensions sont montées de plusieurs crans ces derniers jours entre la Serbie et le Kosovo, notamment autour de la frontière entre les deux pays. Le déclencheur de cette nouvelle séquence est une attaque contre un village du nord du Kosovo par un étrange commando surarmé.

Bis repetita, mais avec d’autres acteurs ? La ministre kosovare des Affaires étrangères, Donika Gërvalla-Schwarz, a accusé la Serbie d’imiter l’armée russe avant qu’elle ne décide d’envahir l’Ukraine.

« Nous n’avons jamais vu une telle concentration de troupes [serbes, NDLR] à notre frontière ces dernières années », a-t-elle assuré à la chaîne allemande Deutschlandfunk, lundi 2 octobre. Pour elle, cette présence ressemble aux préparatifs de Moscou dans les semaines qui ont précédé le 24 février, date à laquelle les forces russes sont entrées en Ukraine.

« Des tensions au plus forts depuis 2004 »
Les États-Unis aussi avaient tiré la sonnette d’alarme, dès vendredi 29 septembre, s’inquiétant d’une hausse « sans précédent » du nombre de soldats, de pièces d’artillerie, de chars et de véhicules blindés le long de la frontière.

Finalement, le président serbe Aleksandar Vucic est intervenu lundi soir sur CNN pour affirmer que tout cela n’était qu’un grand malentendu. Il a soutenu qu’en réalité, il était en train de retirer des troupes de la frontière.

« Le régime de fonctionnement des unités (…) dans la zone de sécurité » le long de la « ligne administrative avec le Kosovo a été ramené à la normale », a dit le général Milan Mojsilovic dans une déclaration à la presse à Belgrade, précisant que le nombre de militaires avait été réduit de 8 350 à 4 500.

Tout est bien qui finit bien ? Dans le contexte actuel de guerre en Ukraine, et de crise dans le Haut-Karabakh après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, un nouveau conflit ouvert en plein cœur des Balkans serait un scénario catastrophe pour l’Europe. D’autant plus qu’Aleksandar Vucic est connu pour son tropisme prorusse.

En réalité, la montée de fièvre diplomatico-militaire autour des troupes serbes à la frontière du Kosovo – un pays dont l’indépendance proclamée en 2008 n’a jamais été reconnue par la Serbie – n’a fait qu’exposer au grand jour des « tensions qui n’ont jamais été aussi fortes depuis au moins 2004 », assure Aidan Hehir, spécialiste du Kosovo à l’université de Westminster. Une référence aux violentes émeutes qui ont eu lieu il y a près de vingt ans dans le nord du Kosovo, opposant des dizaines de milliers d’habitants d’origine albanaise et des Serbes du Kosovo.

Affrontements dans un village de 465 habitants
À l’origine de ce regain de tensions, une journée du 24 septembre qui n’a pas encore livré tous ses secrets mais a déjà laissé d’importantes traces. Ce jour-là, des forces de police kosovares sont informées que deux camions barrent l’accès à une route vers Banjska, un village de 465 habitants dans le nord du Kosovo. Une région où vit près d’un tiers des 120 000 Serbes du Kosovo.

En arrivant sur place, ces forces de l’ordre sont prises pour cibles par une trentaine de combattants lourdement armés qui tuent l’un des policiers. Après un premier échange de tirs, les assaillants se réfugient dans un monastère orthodoxe. Au terme d’un face-à-face de plus de dix heures, les policiers réussissent à déloger les hommes armés de l’intérieur du lieu de culte, et arrêtent deux tireurs, tandis que la plupart des autres réussissent à s’enfuir.

Il devient rapidement évident qu’il ne s’agissait pas d’un simple fait divers. Les assaillants interpellés sont identifiés comme des « militants serbes » et les autorités kosovares ont mis la main sur un arsenal qui leur fait froid dans le dos. Ce commando était arrivé aux abords du village avec des lance-roquettes, des drones, un véhicule blindé, des uniformes militaires, des fusils automatiques, des mortiers et aussi des dizaines d’explosifs.

Les enquêteurs kosovars ont du mal à imaginer que de simples militants puissent mettre la main sur un tel arsenal « sans soutien des autorités serbes », note Aidan Hehir. Et puis, « il est tout de même étrange de penser que ces hommes armés ont pu traverser la Serbie pour se rendre au Kosovo à bord d’un véhicule blindé sans que les autorités à Belgrade ne soient au courant », ajoute Engjellushe Morina, spécialiste des Balkans pour le Conseil européen pour les relations internationales (European Council on Foreign Relations, ECFR).

La police kosovare conforte la thèse d’un coup monté depuis la Serbie en publiant la vidéo d’un drone présent lors de l’assaut à Banjska qui permet de constater que l’un des membres du commando n’est autre que Milan Radoicic, alors vice-président de la Liste serbe pour le Kosovo, une formation réputée être le bras politique de Belgrade dans le nord du Kosovo.

Aleksandar Vucic au courant ?
« C’est un homme connu pour tremper dans toutes sortes d’affaires louches et qui a aussi été accusé d’avoir fait assassiner l’opposant et activiste serbe Oliver Ivanovic », souligne Engjellushe Morina.

Milan Radoicic reconnaît alors rapidement avoir participé à cette opération et démissionne dans la foulée de son poste de vice-président de la Liste serbe pour le Kosovo. Il assure aussi que le président serbe n’était au courant de rien.

Ce dernier a, d’ailleurs, déploré la mort d’un policier kosovar lors de cette confrontation armée. Le gouvernement serbe a même décidé de placer Milan Radoicic en détention provisoire pour 48 heures et l’a remis mardi au parquet de Belgrade.

Mais les experts interrogés ont du mal à croire que Milan Radoicic a pu agir de son propre chef. « Ce serait un suicide politique de monter une telle opération au Kosovo sans être sûr qu’Aleksandar Vucic, très engagé dans tout ce qui se passe dans le nord du Kosovo, ne va pas s’y opposer », assure Aidan Hehir.

Reste à savoir pourquoi Belgrade prendrait un tel risque. Pour Aidan Hehir, il y a deux scénarios possibles, qui pointent tous les deux vers une même conclusion : Belgrade « cherchait un prétexte pour envoyer des soldats dans le nord du Kosovo afin de protéger les Serbes y habitant qui seraient prétendument persécutés ».

Dans la première hypothèse, ce commando avait pour objectif d’organiser une opération de plus grande envergure visant à donner l’impression d’un soulèvement de la population serbe du Kosovo contre les autorités locales présentées comme oppresseuses. Le second scénario fait de cette attaque une provocation. Les assaillants auraient fait exprès de se retrancher dans un monastère orthodoxe serbe dans l’espoir d’une « bavure » policière kosovare.

« Il faut dire que tout le monde a été surpris par le professionnalisme et la retenue des forces de l’ordre du Kosovo durant cette journée », reconnaît Aidan Hehir. Le pire a été évité : « S’ils avaient fait preuve d’une démonstration de force excessive et avait endommagé le monastère, Belgrade aurait pu affirmer que les autorités kosovares s’attaquaient à tout ce qui est cher aux Serbes, y compris les symboles religieux », résume Engjellushe Morina.

Washington change de ton
Le but ultime aurait ensuite été de pouvoir envoyer sur place des militaires serbes « sous le prétexte de ramener l’ordre, et de s’y installer, ouvrant ainsi la porte à une séparation de facto du nord du Kosovo », analyse Aidan Hehir.

« La Serbie avait déjà demandé en décembre dernier à la Force pour le Kosovo [la KFor, un détachement international sous l’égide de l’Otan] de pouvoir assurer la sécurité des Serbes au Kosovo, ce qui leur avait été refusé car c’est justement une des missions de la KFor », souligne Engjellushe Morina. Si l’opération du 24 septembre avait réussi, cela aurait permis de démontrer que les militaires de l’Otan n’arrivent pas à assurer cette tâche.

Sauf que « cela a été un échec retentissant », note Aidan Hehir. À tel point que les États-Unis ont affirmé que cette opération faisait partie d’un « plan pour déstabiliser la région ». Sans aller aussi loin dans les accusations que le Kosovo, Washington n’a pas non plus écarté l’hypothèse d’une implication d’Aleksandar Vucic.

Si le président serbe était effectivement au courant de cette attaque, tout ce qu’il a gagné est un changement de ton des États-Unis. « Les prises de position américaines indiquent clairement que Washington reconnaît que ces tensions sont une menace pour la sécurité de l’Europe », résume Engjellushe Morina.

C’est peut-être un tournant, veut croire Aidan Hehir. « Jusqu’à présent, les États-Unis et l’Europe ont cherché l’apaisement avec Belgrade dans l’espoir d’éloigner le spectre de l’influence russe. Mais ils se rendent maintenant peut-être compte que c’était une erreur », juge ce spécialiste.

Pour les experts interrogés, la prochaine étape sera de savoir si Washington ou l’Europe imposeront des sanctions à la Serbie si l’enquête réussit à prouver que l’attaque du 24 septembre a bien été organisée avec le soutien de Belgrade.

france24

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