Pourquoi réformer la Constitution est-il si difficile ?

La Constitution de la Ve République a 65 ans et celle-ci a eu droit à plusieurs révisions depuis sa création. La réforme constitutionnelle, piste de nouveau émise ce mercredi par Emmanuel Macron, possède sa propre procédure. Pour arriver à terme, cette initiative devra affronter les débats politiques et ne sera pas sans se heurter aux ambitions des oppositions. Le référendum sur l’immigration en est une.

Emmanuel Macron a de nouveau entrouvert la porte à une révision de la Constitution, ce mercredi 4 octobre 2023, lors d’un discours prononcé devant les « Sages » du Conseil constitutionnel, à Paris. Sa prise de parole intervenait à l’occasion du 65e anniversaire du texte fondamental, écrit par Michel Debré et promulgué le 4 octobre 1958 par Charles de Gaulle. Depuis, 24 révisions constitutionnelles ont eu lieu. « À tel point que d’aucuns évoquent à ce propos une ’banalisation’ des révisions constitutionnelles », peut-on lire sur le site du Conseil constitutionnel.

Pour autant, cette hypothétique 25e révision devra se plier à une procédure bien particulière et devra affronter les velléités des oppositions d’en tirer profit. D’autant que dans le passé, plusieurs projets n’ont jamais abouti.

Souveraineté populaire ou vote du Congrès
La volonté de modifier la Constitution résulte d’une initiative politique. Soit celle du président de la République en personne (cela a d’ailleurs été toujours le cas), soit celle de n’importe quel parlementaire (député ou sénateur). Pour le premier cas, on parle de projet de révision, pour le second d’une proposition de révision.

Première singularité : à l’inverse d’un projet de loi ou d’une proposition de loi, l’Assemblée nationale n’a pas le dernier mot. En effet, dans le cheminement classique d’une loi et la navette parlementaire, si les deux chambres ne sont pas d’accord, une commission mixte paritaire peut essayer de dégager un consensus. En cas d’échec, une nouvelle lecture est organisée et ce sont les députés qui ont l’avantage. Pas pour une révision constitutionnelle. Le texte doit être voté à l’identique.

Dans la mesure où un texte arriverait à se dégager, vient la dernière étape. Si l’initiative découle du Président, il peut décider de soumettre le projet au Congrès, qui doit être approuvé par 3/5e des suffrages, soit de le soumettre directement aux Français via un référendum. La fameuse « souveraineté populaire » à qui le Président veut « donner plus de forces ». Dans le cas d’une proposition émise par des parlementaires, le référendum est obligatoire.

Convaincre les Républicains du Sénat
Si Emmanuel Macron disposait d’une majorité absolue lors de son premier quinquennat, il ne dispose que d’une majorité dite relative depuis les législatives de juin 2022. Le Sénat, lui, est à majorité de droite depuis 2014. Gérard Larcher a été réélu président lundi dernier lors du renouvellement partiel des sénateurs.

« La réforme constitutionnelle, Gérard Larcher l’attend depuis 2017, et on n’a rien vu venir. Donc… on attend de voir », indique au Parisien l’entourage du président du Sénat. « Dans cette affaire, de quoi a envie Gérard Larcher ? Y a-t-il un pouvoir qu’il veut et qu’Emmanuel Macron est prêt à lui donner ? Je ne le vois pas », estimait en février auprès de Libération l’ancien Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas.

Le référendum, voilà le nerf de la guerre politique qui motive en grande partie les oppositions à être favorable à une révision constitutionnelle. Mais chacun veut jouer sa partition, à droite notamment, surtout sur l’immigration.

Lors des « rencontres de Saint-Denis », organisées en août dernier, Jordan Bardella, président du RN, et Éric Ciotti, président de LR, avaient tous deux déclaré qu’ils défendraient auprès d’Emmanuel Macron l’organisation d’un référendum sur la question migratoire.

Êtes-vous favorable à une rentrée anticipée pour les élèves en difficulté, comme le propose Emmanuel Macron ?
Sur ce sujet, Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel, a mis en garde les « populistes » : « C’est oublier qu’il y a dans la Constitution des principes généraux du droit, tels que la Déclaration des droits de l’homme, qui forment les valeurs de la République et sont au-dessus des lois », rappelle Laurent Fabius. Il faut les respecter, c’est l’état de droit », a-t-il prévenu dans Le Parisien.

La modification de l’article 11 attendue
Pour cela, il faudrait de toute façon élargir le champ du référendum. Actuellement, l’article 11 de la Constitution ne permet de soumettre aux Français que des questions portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent.

Ce mercredi, Emmanuel Macron a aussi appelé à rendre « plus simple » la mise en œuvre du référendum d’initiative partagée (Rip), « aujourd’hui excessivement contrainte ». Il doit en effet recueillir la signature d’un dixième des électeurs. Cela passerait aussi par une modification de l’article 11 de la Constitution. En mars, 250 parlementaires, principalement de gauche, avaient déposé une proposition de loi pour exiger la tenue d’un Rip sur la réforme des retraites.

Le dernier Président à avoir modifié ce fameux article 11 n’est autre que Jacques Chirac, en août 1995, élargissant le champ d’application du référendum à des projets de loi portant sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale. Et la dernière révision constitutionnelle, elle, date de 2008, sous Nicolas Sarkozy. Elle avait introduit (en plus du Rip) la limitation à deux du nombre de mandats successifs pour un président de la République.

Les tentatives ratées dans le passé
Pour autant, d’autres tentatives ont échoué. Emmanuel Macron, qui lorgne un projet de révision de la Constitution depuis le début de son premier quinquennat, s’y est essayé à plusieurs reprises. Le chef de l’État voulait notamment réduire le nombre de parlementaires et l’instauration d’une dose de proportionnelle aux législatives, qui n’a été utilisée qu’une fois, en 1986, sous François Mitterrand. Les Républicains s’étaient notamment opposés à la proportionnelle, avant que l’affaire Benalla ne provoque le report de l’examen du texte. La seconde tentative, un an plus tard, ne sera pas soumise au Parlement.

En 2021, l’exécutif avait également renoncé à inscrire le climat dans la Constitution, dans la lignée des propositions de la convention citoyenne, faute d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

On peut également se rappeler que François Hollande avait promis lors de sa campagne de 2012 d’instaurer le droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Cela nécessitait de modifier l’article 3 de la Constitution. Il avait finalement abandonné, ne pouvant réunir une majorité devant le Congrès. L’ancien Président socialiste voulait également supprimer le droit aux anciens chefs d’État de siéger à vie au Conseil constitutionnel.

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