Des roquettes sont tirées vers Israël depuis la bande de Gaza, au matin du samedi 7 octobre 2023. Les roquettes ont été tirées alors que le Hamas annonçait une nouvelle opération contre Israël.
Une infiltration de plusieurs combattants palestiniens de la Bande de Gaza en Israël, une pluie de milliers de roquettes, des soldats et des civils israéliens otages…
Au matin du samedi 7 octobre, tous les Israéliens et en particulier l’armée sont sous le choc. « Les militaires sont absolument sidérés de ce qui vient de se passer. Aucun d’entre eux ne s’attendaient à ça », explique Sylvain Cypel, journaliste, spécialiste d’Israël, auteur du livre « L’Etat d’Israël contre les Juifs » (2020).
« Cela avait été un petit peu vrai en 2021, avec le Hamas qui avait pour la première fois utilisé des missiles qui étaient tombés sur Tel Aviv et Jérusalem. Il y a eu un jour ou deux d’effarement de la part de l’armée israélienne qui ne s’y attendait pas du tout. Aujourd’hui, la surprise est surmultipliée », continue le journaliste.
La « capacité opérationnelle » du Hamas
Ce que démontre l’attaque du 7 octobre 2023, selon Sylvain Cypel, c’est une évolution sur le plan de la capacité opérationnelle des Palestiniens du Hamas, face à des services de sécurité israéliens pourtant d’une grande efficacité et qui exercent un contrôle sur toute la bande de Gaza, fief du Hamas.
Créé en 2007, le mouvement islamiste issu des Frères Musulmans est considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne et par les États-Unis.
Si le rapport de force entre les forces armées israéliennes et celles du Hamas reste sans commune mesure – l’armée israélienne compte 173 000 soldats en activité et 465 000 réservistes selon GlobalFirePower et dispose de l’arme nucléaire – il enregistre quand même une évolution.
« Le constat à chaque fois est que le niveau de la capacité miliaire palestinienne à Gaza a fortement augmenté. Cela reste certes infinitésimal par rapport à la capacité israélienne. Mais il n’empêche qu’ils ont des armes à chaque fois plus sophistiquées qu’ils n’avaient précédemment », continue le spécialiste d’Israël, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et ex-rédacteur en chef au Monde.
Le nombre des combattants du Hamas avoisine les 20 000 pour l’ISS, l’Institut international d’études stratégiques. Pour Dominique Vidal, historien spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, journaliste au Monde Diplomatique et auteur avec Bertrand Badie de la publication annuelle de L’État du monde, ils seraient probablement encore plus nombreux.
Le Hamas dispose de grandes capacités de production d’armes et pour le reste il est vraisemblable qu’il y ait des armes qui viennent d’Iran ou du Hezbollah libanais.
Dominique Vidal, historien et journaliste, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient
« Ils ont plusieurs dizaines de milliers de combattants. Il y a quand même plus de deux millions d’habitants dans la bande de Gaza, dont 80% sont des réfugiés qui vivent dans des camps. C’est évidemment un terreau fertile pour les organisations palestiniennes y compris les organisations armées », abonde Dominique Vidal, journaliste et essayiste, spécialiste du Proche-Orient.
Le déroulement de l’offensive(source AFP)
L’offensive du Hamas a été lancée samedi à l’aube en plein Shabbat, le repos hebdomadaire juif, 50 ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973.
Le mouvement palestinien a tiré des milliers de roquettes sur Israël pendant que ses combattants utilisaient des explosifs et des bulldozers pour franchir la barrière qui sépare la bande de Gaza du territoire israélien, attaquant des positions militaires et des civils en pleine rue.
A bord de véhicules, de bateaux et même de parapentes motorisés, les combattants se sont infiltrés dans des zones urbaines d’Israël comme Ashkelon, Sderot et Ofakim, situé à environ 22 kilomètres de la frontière avec l’enclave côtière.
Le Hamas s’est emparé d’équipements militaires israéliens et a pris des otages civils. « Plus de 100 prisonniers » sont entre ses mains, selon le gouvernement israélien dimanche.
Ses combattants ont envahi notamment un poste de police à Sderot où ils ont échangé des tirs avec les forces israéliennes. Ils ont attaqué une rave party à laquelle participaient plusieurs centaines de jeunes Israéliens près du kibboutz Reim, proche de Gaza, selon les médias.
Une capacité à produire des armes
Des combattants par milliers et des armes en nombre, voir une ligne de production de roquettes au sein même de la bande de Gaza. Voilà, selon les observateurs, certains des moyens dont disposerait le Hamas aujourd’hui, en contournant le blocus israélien.
« Ils ont de grandes capacités de production d’armes et pour le reste il est vraisemblable qu’il y ait des armes qui viennent d’Iran ou du Hezbollah libanais », explique Dominique Vidal.
Des armes, transitées à l’aide de tunnels, notamment au niveau de la frontière égyptienne, qui auraient pourtant été en grande majorité détruits. « Visiblement, si plusieurs combattants du Hamas sont entrés en Israël, cela prouve qu’il reste des tunnels et que ces derniers restent une arme importante pour le Hamas. »
« Il y a des tunnels mais ce qu’il se disait c’est qu’ils servaient plus à faire passer de la nourriture et des biens de consommation plutôt que des armes. Il y a peut-être une amélioration du « Know how » (savoir-faire), c’est-à-dire de la capacité à fabriquer des armes », explique de son côté Sylvain Cypel, pour qui l’aide iranienne en armement n’est « plus du tout évidente » depuis quelques années.
« Le Hamas a peut-être été capable de développer des compétences. C’est tout à fait possible. Les Israéliens ont un contrôle extraordinaire de Gaza mais cela aurait pu leur échapper.»
Quelle volonté derrière l’attaque du Hamas ?
Pour les deux spécialistes interrogés, le déclenchement d’une attaque du Hamas était une probabilité qui se faisait de plus en plus forte.
Selon Dominique Vidal – qui condamne le « crime de guerre » perpétré par le Hamas -, cette attaque s’inscrit dans un contexte particulier en Israël, avec le gouvernement « le plus anti-palestinien de l’histoire d’Israël » composé de trois ministres qualifiés par le journaliste « d’extrême-droite ou de néo-fascistes ».
« Évidemment que les 250 Palestiniens qui ont été assassinés depuis le 1er janvier, les pogroms et les massacres qui ont eu lieu à Jénine, à Naplouse (villes palestiniennes en Cisjordanie occupée, ndlr) la violation permanente du statut quo avec la montée de centaines de colons israéliens sur l’esplanade des Mosquées (lieu saint des musulmans à Jérusalem, ndlr), tout cela ne pouvait pas rester sans réponse du Hamas. »
Selon Dominique Vidal, le Hamas a cherché à montrer aux dirigeants aussi bien palestiniens qu’israéliens les moyens militaires qu’il n’avait pas auparavant, mais aussi à « redorer son blason » auprès des Palestiniens et des Israéliens, en jouant sur la concurrence entre le Hamas à Gaza et le Fatah ou l’autorité palestinienne en Cisjordanie.
Les Palestiniens veulent envoyer un signal très clair, que rien ne se fera sans eux.
« J’ajoute une chose, c’est que l’on a une crise en Israël, très forte, des centaines d’Israéliens sont dans les rues, et l’on sait très bien qu’une partie importante de l’appareil sécuritaire de l’armée et des services de renseignement israéliens sont plutôt du côté de l’opposition que du côté de Netanyahou.
C’est évidemment une situation qui fragilise la sécurité israélienne. Je me souviens que le ministre de la Défense israélien Yoav Galat avait dit il y a quelques semaines « si l’ennemi attaquait maintenant, nous serions en difficulté ». Il semble que le Hamas ait entendu Yoav Galat », conclut Dominique Vidal, spécialiste d’Israël.
Même son de cloche pour le journaliste Sylvain Cypel, qui parle de « l’inquiétude » des militaires qui s’était exprimée dans quelques articles de la presse israélienne récemment, face au conflit qui les opposait à Benjamin Netanyahou.
« L’État major s’est rangé de facto du côté de ceux qui se battent contre le gouvernement sur la question de la réforme de la Justice. »
Pour l’ancien directeur de la rédaction de Courrier international, les motivations du Hamas dans cette attaque meurtrière sont à chercher du côté du dialogue qui a eu lieu ces dix derniers jours à Washington entre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), le président américain Joe Biden et le Premier ministre Benjamin Netanyahou. La discussion visait la normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël. Mais elle est conditionnée par MBS et Joe Biden à la question palestinienne et au conflit qui devra être résolu.
« Depuis, tous les jours, Benjamin Netanyahou dit qu’Israël est sur le point d’avoir un accord de normalisation avec l’Arabie Saoudite et que la question palestinienne est terminée. Le problème c’est que l’on négocie entre nous l’avenir des Palestiniens. Jusqu’à présent, cela ne leur a pas été très favorable. »
Sylvain Cypel conclut : « Et surtout personne ne croit qu’une alliance entre MBS et Netanyahou puisse leur être favorable. Les Palestiniens n’ont pas été invités à la table des négociations. Voilà une explication de ce qui est en train de se passer en ce moment. Les Palestiniens veulent envoyer un signal très clair, que rien ne se fera sans eux et que sinon ils l’empêcheront. »
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