Une baleine tuée après 30 minutes de souffrance, une femelle pêchée alors qu’elle était enceinte : la société qui a le monopole de la pêche à la baleine en Islande a un peu plus écorné son image lors de la saison 2023, qui s’est achevée fin septembre.
Alors que de nouvelles réglementations encadrant plus strictement les baleiniers sont entrées en vigueur, des activistes anti-chasse comme notre Observateur espèrent que le pays prendra le chemin d’une interdiction complète de cette pratique.
C’est une longue vidéo qui a été publiée par l’autorité alimentaire et sanitaire islandaise (MAST) mi-septembre. Filmée le 7 septembre à bord du Hvalur 8, un bateau de l’entreprise de pêche à la baleine Hvalur, elle montre un rorqual commun – espèce considérée comme vulnérable par l’UICN – se faire harponner une première fois, puis continuer à nager pendant 29 minutes avant qu’un deuxième tir de harpon explosif l’achève.
Entre les deux coups, le cétacé ensanglanté, relié au bateau par la corde attachée au harpon, continue de nager, émergeant très régulièrement à la surface pour respirer.
Cet incident a été jugé contraire à de nouvelles règles édictées cet été, imposant de tuer les baleines sans délai”.
Dans cette vidéo, filmée par un observateur indépendant de la Direction de la pêche à bord du Hvalur 8 et publiée par l’autorité Alimentaire et vétérinaire islandaise (MAST) qui l’a transmise à notre rédaction, on voit la baleine se faire harponner une première fois (à 3’27), puis une deuxième fois (à 32’08), ce qui lui est fatal.
Si cette chasse a été documentée en images, c’est que les bateaux de Hvalur doivent depuis 2022 embarquer des observateurs indépendants, chargés de filmer ce qui se passe à bord. Un rapport de l’Autorité alimentaire et vétérinaire islandaise en 2023 a par ailleurs estimé que la mise à mort des baleines par Hvalur ne respectait pas les recommandations de la Convention islandaise sur le bien-être animal, notamment quant à la durée de l’agonie.
Comme le rapporte The Guardian, en 2022 la chasse de 58 baleines a été filmée et analysée par des experts : 36 baleines ont reçu plus d’un tir, cinq baleines ont été touchées trois fois et quatre baleines quatre fois. Une baleine avec un harpon dans le dos a été poursuivie pendant cinq heures.
Ce constat a entraîné le 20 juin 2023 une suspension de la licence attribuée à Hvalur, et l’édiction de nouvelles règles très strictes par le ministère de l’Alimentation. Elles obligent désormais les pêcheurs à viser les baleines dans une zone cible” très restreinte du corps qui doit permettre à l’animal touché de mourir très rapidement. La suspension de la licence a été levée le 31 août. Sur la vidéo tournée le 7 septembre, l’animal est touché au niveau de la tête, qui n’est pas partie de la zone cible.
Quand une baleine est tuée, cela doit être fait sans délai”
Arne Feuerhahn est membre de l’ONG Hard to Port, qui milite pour la protection de la vie marine en Europe du Nord, et suit en particulier la question de la chasse aux baleines en Islande.
Il n’y a pas de durée spécifiée dans les nouvelles régulations sur le temps maximum qu’il faudrait pour tuer un animal, mais il est dit que quand une baleine est tuée, cela doit être fait sans délai une fois le harpon lancé. Il est possible qu’une baleine replonge après avoir été touchée à un endroit qui n’est pas autorisé. C’est un animal hautement intelligent. L’imaginer sous l’eau avec un harpon dans la tête, nager pendant peut-être 30 minutes, c’est insupportable.
Un de nos photographes était au port le 7 septembre lorsque le bateau est revenu avec la baleine, et il a pu confirmer cet incident de ses propres yeux. Nous avons contacté un avocat, qui a envoyé une requête aux autorités, et le 14 septembre le bateau a été suspendu.
Le PDG de Hvalur, Kristján Loftsson, a invoqué une défaillance technique » pour justifier l’incident. MAST a en retour estimé que celle-ci n’avait duré que 12 minutes après le premier tir. Contacté par notre rédaction, MAST explique que suite à l’incident, le Hvalur 8 a été suspendu puis autorisé à retourner chasser après que la société a prouvé qu’il a formé son personnel, qu’il a montré des performances de tir répétées au marquage, à la fois sur terre et en mer » et que tous les outils et équipements à utiliser pour la chasse ont été vérifiés” par les autorités compétentes. Le fait d’infliger une amende à l’entreprise est toujours en discussion, selon MAST.
J’ai tout de suite vu que la femelle était enceinte, elle était énorme.”
Seuls trois pays autorisent encore la chasse à la baleine : l’Islande, la Norvège et le Japon. Selon Hard to Port, 23 rorquals communs ont été pêchés en Islande durant la saison 2023, interrompue pendant l’été, contre 148 l’an dernier. Notre Observateur a notamment documenté que l’entreprise avait pêché au moins une fois une baleine enceinte, le 22 septembre :
J’étais sur place lorsque le bateau est revenu avec un mâle et une femelle. Avec l’expérience d’années d’observation, j’ai tout de suite vu que la femelle était enceinte, elle était énorme. L’équipage l’a déposée au sol, ils ont fait plusieurs incisions dans le corps et soudain, un énorme bébé est apparu.
J’étais sous le choc, mais j’ai réussi à prendre mon appareil photo et me concentrer sur ce que je devais faire, documenter ce que je voyais. J’avais déjà vu des femelles enceintes être ramenées au port, mais là, le bébé était énorme, on pouvait voir qu’on était à un stade très avancé de la grossesse. Je me suis ensuite hâté d’avertir mes collègues et franchement, je n’ai pas pu retenir mes larmes.
Nous étions très déçus que le ministère lève la suspension de chasse à la fin de l’été, mais cependant les nouvelles régulations sont extrêmement strictes et très difficiles à respecter, la preuve c’est que l’une a été violée dès les premiers jours de pêche.
La licence de cinq ans attribuée à Hvalur a pris fin en 2023. Le gouvernement islandais doit annoncer d’ici à la fin de l’année s’il reconduit une autorisation pour l’entreprise pour les cinq prochaines années.
Le soutien à la chasse à la baleine en Islande a chuté de façon spectaculaire ces dernières années. Un sondage publié en juin indiquait que 51 % des Islandais étaient opposés à la chasse et 29 % y étaient favorables, les plus de 60 ans étant la frange de la population affichant le plus net soutien à cette pratique.
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