Interview Lamia Tazi, PDG des laboratoires pharmaceutiques Sothema : « Notre mission est de rendre les médicaments de qualité accessibles à un prix abordable »

Mme Lamia Tazi, PDG des laboratoires pharmaceutiques Sothema au Maroc, était Invitée à prendre part à une discussion sur l’entrepreneuriat en Afrique, lors des assemblées annuelle du FMI et de la Banque Mondiale qui se tiennent dans son pays. Elle est revenue sur l’importance du domaine pharmaceutique en Afrique et sur les questions d’autonomie sanitaire au Maroc sur le reste du continent,

Surtout depuis la crise sanitaire de Covid 19. Parmi les nombreuses questions qu’elle a abordé, figure en bonne place la souveraineté pharmaceutique. Elle souligne en effet, que malgré les défis de la crise du Covid, Sothema a su les relever car dit-elle, « Nous avons désormais 50 entreprises qui fabriquent des produits pharmaceutiques localement au Maroc et de plus de 70% de la demande est fabriquée au Maroc.

Néanmoins , elle constate, pour s’en désoler, que ce n’est pas le cas de tous les pays du continent » . Dans cet entretien exclusif au journal de l’économie sénégalaise LEJECOS , elle revient sur son parcours et sur les objectifs de Sothema .

Pouvez-vous nous retracer votre parcours jusqu’à votre nomination en tant que PDG de Sothema ?

Je suis pharmacienne de formation et mère de trois enfants. J’ai rejoint l’entreprise familiale en 1997, fondée par mon père dans les années 70. J’ai commencé en tant que pharmacienne au sein du laboratoire pharmaceutique, puis j’ai progressé pour atteindre mon poste actuel. J’ai débuté dans la production, au cœur de l’entreprise, et j’ai ensuite pris en charge diverses fonctions. Après le décès de mon père, j’ai été nommée au poste de présidente directrice générale.

Être la fille du fondateur n’a-t-il pas entravé votre ascension professionnelle ?

Le fait d’être la fille du fondateur n’a pas été un obstacle, mais plutôt un défi. Il a fallu effacer l’image d’une privilégiée associée à mon père, bien que cela ne soit pas péjoratif. Il était important de montrer que ma réussite n’était pas due à un privilège, mais à mon expertise et à mes compétences en gestion. J’ai réussi à faire cette transition, grâce au soutien de mon père et de mon équipe. Je suis fière de cette réussite.

Avez-vous toujours voulu exercer cette profession, ou avez-vous été influencée par votre père ?

Je me suis souvent posée cette question, mais la réalité est que je n’ai pas eu vraiment le choix. A ma naissance, mon père avait déjà créé l’entreprise, et il en parlait constamment. En tant qu’aînée, j’avais également le rôle de soutenir mon père en raison de sa maladie chronique. J’ai toujours eu le rêve de l’aider en m’assurant qu’il se sente à l’aise vis-à-vis de son entreprise malgré sa maladie. J’ai suivi les mêmes études que lui, et dès l’obtention de mon diplôme de pharmacienne, je suis entrée directement dans l’entreprise pour répondre à ses besoins.

Après la crise sanitaire, quels défis avez-vous dû relever et comment les avez-vous surmontés ?

La crise a été un énorme défi, mettant l’industrie pharmaceutique à l’épreuve du jour au lendemain. L’importation de matières premières a été interrompue, et la sécurité des employés était une priorité. Nous ne pouvions pas arrêter la production, car les gens en avaient besoin. C’était un véritable test pour l’industrie. Sothema et d’autres laboratoires pharmaceutiques au Maroc ont fait preuve d’agilité et de résilience remarquables.

Nous avons réussi à gérer la situation en réorganisant le transport de nos équipes, en réduisant le nombre de personnes par bus, et en réduisant le nombre de personnes par shift. En ce qui concerne l’approvisionnement, le Maroc fabrique ses médicaments, mais importe ses matières premières. Nous avons dû constituer des stocks pour garantir un approvisionnement continu.

Lors du panel, vous avez mentionné la création d’un médicament contre le cancer du sein. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette initiative ?

Ce projet a débuté en 2013 et a duré dix ans. Il s’agissait de développer de nouvelles technologies pour lutter contre le cancer du sein. Malheureusement, la recherche et le développement en matière de médicaments sont encore limités sur le continent africain. Nous avons réussi à établir des partenariats pour produire un médicament anticancéreux à un prix abordable tout en maintenant une qualité élevée.

Comment est née l’idée de ce produit ?

La particularité de Sothema, c’est que depuis le début, on a choisi des formes difficiles. Dans le domaine du médicament, les produits simples sont les comprimés, les gélules, les sirops mais tout ce qui est injecté dans le sang est plus compliqué à fabriquer. Depuis le début, Sothema a investi dans les formes injectables. La deuxième difficulté ce sont les produits biologiques. Nous avons une expertise sur les produits chimiques mais les produits biologiques sont plus difficiles à manipuler. Dans les années 80, Sothema, a eu la chance de fabriquer de l’insuline pour les personnes diabétiques. On a cette expertise d’insuline et puis fatalement, on surveille ce qui se passe dans le monde.

Malheureusement, le fléau aujourd’hui c’est le cancer, et on se dit comment aider notre pays ?

Au Maroc nous sommes chanceux car le cancer a été pris en charge par la fondation de la reine Lalla Salma, qui a tout fait dans le domaine du dépistage du cancer. La seule difficulté aujourd’hui, c’est le prix excessif à l’importation . Par conséquent , c’était naturellement qu’on s’est dit qu’il fallait se battre pour pouvoir trouver ce genre de produits à des prix abordables.

Le diabète est un problème de santé important au Maroc. Quelles stratégies Sothema a-t-elle mis en place pour faire face à ce défi ?

Le Maroc a mis en place des initiatives de dépistage et de suivi des personnes atteintes de diabète depuis de nombreuses années. Cependant, il y a des défis, notamment en termes de sensibilisation et d’observance du traitement, même s’il faut souligner que le pays prend en charge les traitements des personnes diabétiques, et distribue gratuitement de l’insuline. De plus, des médicaments génériques abordables sont disponibles, et l’État achète un grand nombre de produits pour le traitement du diabète.

Quels sont les projets futurs de Sothema ?

Nous continuons à investir dans l’oncologie et à développer des produits à forte valeur ajoutée pour les patients du Maroc et du reste du continent. Nous poursuivons notre expansion en Afrique, avec une usine au Sénégal et des bureaux en Côte d’Ivoire et au Cameroun. Notre prochain défi est de s’étendre en Afrique de l’Est, notamment en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya, ainsi qu’au Moyen-Orient, en Arabie Saoudite et aux Émirats.

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