Qatar, Iran, Turquie… la galaxie des soutiens du Hamas

Le Hamas a établi des liens solides avec plusieurs puissances régionales et organisations au Moyen-Orient depuis sa création, en 1987. Financement, aide militaire ou encore soutien idéologique : le mouvement islamiste palestinien peut compter sur plusieurs alliés après son attaque meurtrière du 7 octobre.

Après l’attaque meurtrière du Hamas, le 7 octobre, se pose la question des organisations et des États étrangers qui soutiennent ce mouvement islamiste palestinien. Iran, Algérie, Tunisie : plusieurs nations lui ont apporté un soutien direct ces derniers jours. Depuis sa création en 1987, le Hamas – classé comme organisation terroriste par les États-Unis, l’Union européenne ou encore Israël – a aussi établi de solides liens avec plusieurs puissances régionales.

Que ce soit de Doha, de Téhéran ou d’Ankara, ce soutien au mouvement islamiste palestinien revêt divers visages : économique, militaire ou encore idéologique. France 24 fait le point sur les liens du Hamas avec plusieurs États étrangers.

Les liens financiers et politiques du Qatar avec le Hamas
Doha apparaît comme le grand argentier du Hamas. “C’est un soutien financier avéré, public et assumé, de l’ordre de 30 millions de dollars par mois”, explique Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). “Ces versements sont justifiés pour payer les fonctionnaires de Gaza, et on sait parfaitement bien que ces derniers sont des membres du Hamas. (L’argent de Doha) est donc l’équivalent d’un soutien direct à cette organisation qui tient d’une main de fer l’enclave palestinienne depuis de nombreuses années.”

Ce soutien financier a commencé il y a cinq ans pour éviter “une crise humanitaire majeure à Gaza”, comme l’expliquait Libération en 2018. Le premier versement – 15 millions de dollars – avait été effectué en cash dans trois bagages transportés jusqu’au poste-frontière israélien d’Erez, au nord de Gaza, par Mohammed al-Emadi. Ce diplomate qatari, chargé des questions palestiniennes, est un intermédiaire officieux entre la bande de Gaza, Doha et Israël.

Ces transferts de fonds se sont fait avec l’aval des Israéliens et de la communauté internationale, comme l’a rappelé le 8 octobre The Times of Israël. Le site d’informations explique que la politique du Premier ministre, Benjamin Netanyahu, a “consisté à traiter avec le groupe terroriste, au détriment de “(Mahmoud) Abbas et de la création d’un État palestinien.” Et d’ajouter : “La plupart du temps, la politique israélienne consistait à considérer l’Autorité palestinienne comme un fardeau et le Hamas comme un atout.”

Les liens du Qatar avec le Hamas sont financiers mais aussi politiques : Doha accueille depuis 2012 le chef du bureau politique du mouvement islamiste, Ismail Haniyeh. Un “jeu trouble” du petit émirat qui ne s’arrête pas là, comme l’explique Myriam Benraad, politologue, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et autrice de  »L’État islamique est-il défait ? » (éd. CNRS) : “En plus d’héberger la branche politique du Hamas – certains dirigeants de premier plan – Doha s’est aussi posé immédiatement en négociateur sur la question des otages israéliens ces derniers jours. Cela soulève indirectement le rôle que joue cette petite monarchie du Golfe.”

Un rôle dont a d’ailleurs bien conscience la communauté internationale, à l’image de l’Allemagne qui a appelé, le 12 octobre, le Qatar à jouer “un rôle important” pour la libération de ces otages, “car ils disposent de canaux de communication que nous n’avons pas.”

L’Iran, l’“axe de la résistance” et les soutiens financier et militaire
L’Iran, une des grandes puissances du Moyen-Orient, entretient aussi des liens étroits avec le Hamas. Didier Billion distingue “deux niveaux” de relation entre Téhéran et le mouvement islamiste : “Au niveau public, l’Iran soutient la cause nationale palestinienne, avec un appui marqué au Hamas, une relation assumée par les dirigeants iraniens et palestiniens.”

En effet, Téhéran incarne – avec le Hamas, l’organisation palestinienne Jihad islamique ou encore le Hezbollah libanais – “l’axe de la résistance” contre Israël. Il s’agit de l’une des composantes fondamentales de la politique étrangère iranienne au Moyen-Orient.

“Le second niveau n’est pas public : c’est une aide soit financière soit logistique de la part des Gardiens de la révolution”, poursuit le spécialiste. Le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, a reconnu dans une interview accordée à Al-Jazira, début 2022, que le mouvement islamiste “avait reçu 70 millions de dollars d’aide militaire” de la part de l’Iran. Téhéran financerait plus généralement tous les groupes armés palestiniens à hauteur de 100 millions de dollars par an, selon un rapport du département d’État américain publié en 2020.

“Le soutien militaire a lieu au niveau du transfert de technologie iranienne”, explique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements jihadistes à France 24. “Cela consiste à enseigner comment fabriquer un drone, comment modifier un drone civil pour qu’il devienne militaire… Mais aussi parfois à livrer des munitions et des armements qui passent par la péninsule égyptienne du Sinaï.”

Les liens entre le Hamas et l’Iran sont tels qu’après l’attaque du 7 octobre, la responsabilité de Téhéran a été pointée du doigt par plusieurs médias internationaux – dont le Wall Street Journal, qui a affirmé que “l’Iran a participé à la préparation d’un attentat contre Israël pendant plusieurs semaines”. Le régime iranien a démenti toute implication et parlé de “rumeurs fausses” à son sujet.

“Il est trop tôt pour établir toutes les responsabilités de cette attaque”, estime Myriam Benraad, qui ajoute que l’opération “Déluge d’Al-Aqsa” pourrait augmenter les tensions dans la région : “L’Iran est en confrontation indirecte avec Israël depuis de nombreuses années, et (l’attaque du Hamas) va conforter ce schéma.”

La Turquie, “soutien rhétorique” du Hamas qui tente aussi d’être médiateur du conflit
« Quelques ONG assurent une aide humanitaire » à Gaza, mais Ankara apporte “surtout un soutien rhétorique” au Hamas, explique Wassim Nasr. La Turquie a, en effet, une tradition de longue date de soutien de la cause palestinienne. Son président, Recep Tayyip Erdogan, s’en était encore fait l’écho en juillet dernier, réaffirmant que “l’établissement d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale dans les frontières de 1967, sur la base des principes de l’ONU, est essentiel pour la paix et la stabilité de l’ensemble de notre région.”

Contrairement au Qatar et à l’Iran, le soutien d’Ankara est plus “d’ordre politique” que financier ou militaire, explique Didier Billion. Par ailleurs, le pouvoir turc n’entretient pas que des liens avec le Hamas, mais aussi avec l’Autorité palestinienne. Il avait d’ailleurs accueilli à Ankara ses deux chefs, en juillet dernier.

Toujours est-il que “la Turquie a déroulé, à de multiples reprises, le tapis rouge au Hamas ces dernières années”, selon le directeur adjoint de l’Iris. À cela s’ajoute les venues occasionnelles à Ankara du chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, qui vit son exil volontaire entre le Qatar et la Turquie.

Après l’attaque du 7 octobre, Ankara a tenté de se poser en médiateur du conflit israélo-palestinien. Recep Tayyip Erdogan a d’abord appelé Israël et le Hamas à “soutenir la paix”, puis a condamné les “méthodes honteuses” de l’État hébreu dans le cadre de sa riposte militaire contre la bande de Gaza. Le 11 octobre, une source officielle a déclaré à l’AFP et Reuters que le président turc a lancé un processus de négociations avec le Hamas en vue d’obtenir la libération des otages enlevés lors de l’opération “déluge d’Al-Aqsa”.

Les soutiens anciens et parfois brouillés : l’Égypte et le Hezbollah
Les liens entre l’Égypte et le Hamas sont anciens – le mouvement palestinien est, en effet, une émanation des Frères musulmans, dont la première confrérie est née sur le sol égyptien en 1928. Mais ces relations se sont distendues en 2013 avec l’arrivée au pouvoir du maréchal Abdel Fattah al-Sissi lors d’un coup d’État contre Mohamed Morsi (Frères musulmans).

Avant que l’ambiance ne se tende, le Hamas pouvait profiter de tunnels contournant la frontière égyptienne vers Gaza pour importer illégalement des produits de première nécessité, des matériaux de construction ou encore des armes. Le pouvoir égyptien a, ensuite, fermé la plupart des tunnels.

Mais Le Caire a légèrement changé de position à partir de 2018, laissant entrer certains biens commerciaux à Gaza. Des biens sur lesquels le Hamas a collecté plus de 12 millions de dollars de taxes par mois en 2021, selon le think tank américain Council on foreign relations.

Après l’attaque du Hamas, Le Caire se positionne en médiateur du conflit comme Ankara. L’Égypte – premier pays arabe à avoir reconnu l’existence d’Israël, en 1979 – est aussi la seule ouverture sur le monde de Gaza, via le poste-frontière de Rafah, au sud de l’enclave palestinienne.

Le Hezbollah libanais ne compte, quant à lui, pas occuper ce rôle d’entre-deux après l’opération “déluge d’Al-Aqsa”. Le mouvement islamiste chiite s’est dit, vendredi 13 octobre, « entièrement préparé » à intervenir contre Israël en temps voulu, lors d’une manifestation en soutien aux Palestiniens à Beyrouth. “Leurs premiers liens avec le Hamas datent des années 1990, quand des dirigeants du mouvement islamiste palestinien ont été expulsés dans une zone du Sud-Liban où le Hezbollah était présent”, rappelle Wassim Nasr.

Depuis cette période, le Hezbollah garde des liens forts avec le Hamas, même si les deux organisations ont pu connaître des divergences de point de vue – notamment au moment de la guerre civile en Syrie, en 2011. Ces derniers mois, les mouvements islamistes chiite et palestinien se seraient réunis – avec des représentants du Jihad islamique et de la Force iranienne Al-Qods, “l’axe de la résistance” en somme – à de multiples reprises à Beyrouth pour “planifier minutieusement l’offensive en Israël”, selon L’Orient Le Jour.

Didier Billion se montre plus prudent : “Je ne sais rien de ce qui a été discuté, mais il est important de comprendre que ces différents groupes ont une proximité idéologico-politique, une convergence de la nécessaire lutte contre l’État hébreu.”

france24

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