Effets sur la santé, alternatives… Face au glyphosate, l’impossible consensus

Les États membres de l’Union européenne devront décider vendredi de reconduire ou non l’homologation du glyphosate pour une période de dix ans. L’herbicide, qui a fait le succès du Roundup de Monsanto, reste massivement utilisé mais est aussi sujet à de nombreuses controverses, notamment sur ses conséquences pour la santé humaine. Avec une question en suspens : est-il possible de s’en passer ?

Il est l’herbicide le plus connu, le plus répandu, mais aussi le plus controversé. Vendredi 13 octobre, l’Union européenne devra se prononcer sur la reconduction ou non de l’autorisation du glyphosate pour dix ans. Un dossier particulièrement épineux alors que de nombreux agriculteurs martèlent « ne pas pouvoir s’en passer ». Mais les conséquences de son utilisation, notamment sanitaires, restent soumises à débat.

« Efficace, peu cher et facile d’emploi »
« Le glyphosate est un herbicide unique et redoutablement efficace. Il est le seul à agir sur toutes les plantes, même les plus tenaces », explique Xavier Reboud, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), auteur de plusieurs rapports sur les pesticides.

« Il est aussi facile d’emploi. Il suffit de le diffuser sur une parcelle pour se débarrasser des mauvaises herbes et, dès le lendemain, on peut y semer de nouvelles plantes. » Autre avantage : son coût. « Son brevet est passé dans le domaine public en 2000, le rendant très bon marché. »

Pas étonnant, avec ces caractéristiques, que le glyphosate se soit progressivement imposé comme un produit indispensable dans l’agriculture, avec 800 000 tonnes répandues chaque année dans le monde. Selon une vaste étude effectuée dans 25 pays d’Europe, il a été diffusé sur un tiers des surfaces de blé et la moitié des surfaces de colza entre 2011 et 2017. Et la France fait partie des principaux acheteurs : d’après le ministère de la Transition écologique, 7 900 tonnes de glyphosate ont été vendues en 2021 dans le pays.

Absence de consensus scientifique
Pourtant, le glyphosate a aussi ses contempteurs. Selon un récent sondage Ipsos, 70 % de la population française dit vouloir s’en débarrasser. En cause, une image rattachée à celle de son créateur, le groupe américain Monsanto, à l’histoire émaillée de scandales – les Monsanto Papers dévoilent notamment en 2017 un « système de manipulation de données scientifiques, dissimulation d’informations aux autorités, opérations de propagande ou encore menaces et intimidations de scientifiques » –, mais surtout des incertitudes sur la dangerosité de cette substance.

Cette dernière question divise les agences réglementaires et scientifiques depuis près d’une décennie. Le glyphosate est considéré comme un cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), dépendant de l’OMS, depuis 2015. À l’inverse, les agences sanitaires européennes – l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne de produits chimiques (Echa) – estiment que le désherbant n’est ni cancérogène, ni mutagène.

Comment expliquer cette absence de consensus scientifique ? « Cela tient majoritairement à une différence de méthodologie entre les institutions », répond Xavier Coumoul, professeur de toxicologie à Université Paris Cité et coauteur d’une vaste étude de l’Inserm en 2021 intitulée « Pesticides et santé ». « C’est comme mettre un fin gourmet ou un nutritionniste devant un kouign-amann [gâteau breton à base de beurre, NDLR]. L’un dira que c’est très bon, l’autre que c’est trop gras et sucré. Ils analysent le même dessert, avec une grille de lecture différente. »

Le spécialiste met en avant deux différences notables. « Déjà, l’Echa et l’Efsa n’évaluent que la molécule du glyphosate et pas les produits qui l’utilisent », détaille-t-il. « Ensuite, elles s’appuient majoritairement sur les études des industriels, et éliminent un certain nombre d’expertises scientifiques pourtant solides. »

Les deux agences ont ainsi mis de côté l’expertise de l’Inserm qui visait à faire un bilan des connaissances sur les pesticides à travers une lecture de toute la littérature scientifique internationale publiée depuis 2013. « L’équipe, composée d’épidémiologistes, de toxicologues, d’experts en sciences sociales a écumé des milliers de documents avec une approche scientifique, et sans contraintes », insiste Xavier Coumoul.

Lien entre glyphosate et cancer
Rejoignant les inquiétudes de l’OMS, l’équipe de l’Inserm avait mis en lumière une présomption « faible » de lien entre le glyphosate et le myélome multiple (un cancer de la moelle osseuse), des leucémies ou encore des troubles respiratoires.

« Mais nous avons surtout conclu à une présomption moyenne de lien entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien, un cancer lymphatique, rehaussant ainsi le niveau de doute par rapport à notre première étude en 2013 », poursuit Xavier Coumoul.

Outre le risque de cancer, le toxicologue alerte aussi sur d’autres sources d’inquiétude. « Une exposition prénatale au glyphosate pourrait entraîner des malformations. On s’interroge aussi sur ses effets sur le microbiote ou sur nos systèmes hormonaux », continue-t-il. « Mais nous manquons encore d’études sur ces questions, qui mériteraient d’être approfondies et prises davantage en considération dans les discussions en cours. »

Comme pour en apporter une preuve, lundi 9 octobre, le Fonds français d’indemnisation des victimes de pesticides a, pour la première fois, reconnu un lien possible entre le glyphosate et les malformations prénatales. En 2006, Sabine Grataloup avait désherbé pendant plusieurs jours une carrière d’équitation avec un produit proche du Roundup de Monsanto.

Elle était alors enceinte – sans le savoir – d’un mois, moment où l’œsophage et la trachée se forment chez le fœtus. Son fils, Théo, est né avec de graves malformations à ces deux endroits. En 2018, Sabine et son mari ont assigné Monsanto, depuis racheté par l’Allemand Bayer, devant la justice.

« Des solutions existent et on les maîtrise »
Devant ces incertitudes, une autre question se pose : une alternative au glyphosate est-elle envisageable ? « Si, par alternative, on entend une autre substance chimique qui aurait les mêmes propriétés que le glyphosate, alors, pour le moment, rien de tel n’existe », répond Xavier Reboud, de l’Inrae, qui a coordonné une étude sur le sujet en France. « Et il y a fort à parier qu’un produit similaire aurait aussi les mêmes défauts et entraînerait les mêmes inquiétudes. »

« Pour autant, des solutions existent et on les maîtrise. Mais elles nécessitent souvent plus d’argent, plus de temps et plus de personnel », poursuit-il.

Agriculteur d’une exploitation de 90 hectares dans l’Eure, en Normandie, Jean-Bernard Lozier applique ces solutions depuis plusieurs années. Pour désherber, il n’utilise aucun produit chimique mais des outils mécaniques. En parallèle, il use différentes astuces pour éviter les mauvaises herbes. « Mon principal levier est de diversifier mes cultures : je fais pousser du colza, du blé, de l’orge, du tournesol ou encore des légumineuses.

Cela permet de casser les cycles des mauvaises herbes et des maladies », témoigne-t-il. « J’utilise aussi des couverts végétaux pour protéger mes sols. »

Malgré tout, l’agriculteur, membre de la Confédération paysanne, un syndicat qui prône un retour à l’agriculture raisonnée, avoue une « faiblesse ». « J’utilise uniquement un peu de glyphosate dans mes champs de lin textile. Mon contrat nécessite des rendements minimaux et après deux années difficiles, je ne pouvais pas me permettre les pertes qu’aurait entraîné un désherbage manuel. »

« Mais je considère qu’il faut voir les choses dans l’autre sens. Il ne faut pas trouver d’alternatives au glyphosate, c’est cet herbicide qui doit être perçu comme une alternative », insiste-t-il. « Nous avons plein de leviers pour avoir des champs propres sans produits chimiques. »

Sans aller jusqu’à prôner une interdiction complète à l’échelle européenne, l’agriculteur appelle ainsi à taxer très fortement l’herbicide. « S’il n’était plus aussi bon marché, cela forcerait à l’utiliser avec parcimonie quand cela se justifie réellement et pas, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, par simple facilité. »

Questionnements sur les évolutions des pratiques agricoles
Un avis sur lequel le rejoint Xavier Coumoul. « Il existe des cas où se passer du glyphosate se révélerait très difficile », admet-il. « Là où le travail du sol avec des outils mécaniques est difficile – s’il y a une pente ou des cailloux –, mais aussi pour l’agriculture de conservation des sols. » Cette dernière prévoit en effet de ne pas du tout travailler la terre pour stocker davantage de carbone et est donc incompatible avec un labour mécanique du sol.

« En revanche, sous des vignes, dans des petites parcelles, ou pour du maraîchage, cela est tout à fait envisageable », estime-t-il. « Mais pour cela, il faut accompagner les exploitants pour gérer les surcoûts engendrés. »

Selon l’agriculteur Jean-Bernard Lozier et les deux experts interrogés, au-delà de la question de l’interdiction du glyphosate, le débat actuel fait écho aux questionnements sur les évolutions des pratiques agricoles. « Aujourd’hui, le glyphosate nous permet d’assurer des rendements avec des prix alimentaires bas. La question de s’en passer implique donc d’accepter de sortir de cette logique de productivité », estime Xavier Reboud. « Des questions qui se posent aussi avec le dérèglement climatique et la gestion des ressources qui nous poussent déjà à revoir nos façons de faire. »

« Finalement, le glyphosate, c’est un peu comme la voiture. On connaît ses effets néfastes, on sait qu’il faudrait s’en passer, mais tout s’est tellement organisé autour pendant des années que nous n’y arrivons pas », conclut le spécialiste.

france24

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