Au Nigeria, les réformes économiques du président Bola Tinubu peinent à porter leurs fruits, cinq mois après son investiture. La dévaluation du naira, en juin, n’a pas permis de mettre de l’ordre dans un système de change complexe et constitué de régimes multiples. Pire encore : la monnaie nationale a continué de dégringoler sur le marché parallèle des changes, jusqu’à passer le cap de mille nairas pour un dollar.
Pendant des années, la Banque centrale du Nigeria (CBN) est intervenue massivement pour maintenir la monnaie locale à un taux oscillant aux alentours de 400 nairas pour 1 dollar. En principe, cette politique monétaire controversée visait à encourager la production locale en proposant des dollars à un taux compétitif aux industriels locaux. Le tout en restreignant fortement l’accès aux devises étrangères.
Mais ce système a été rapidement dévoyé. Des gens bien introduits se sont fournis en dollars bon marché auprès de la Banque centrale pour les revendre ensuite au marché noir.
Dès son arrivée au pouvoir, Bola Tinubu a entrepris de mettre de l’ordre dans ce système. Au cœur du mois de juin, la CBN a procédé à des ajustements qui ont conduit à la dépréciation du Naira. Le but ? Refléter la réalité du jeu de l’offre et de la demande sur le marché officiel.
Le retour du marché parallèle
Une réforme nécessaire, mais qui a été « trop précipitée », de l’avis d’Ayorinde Akinloye, conseiller en investissement à Lagos, la capitale économique du Nigeria. Il pointe notamment le difficile accès aux devises étrangères, ce qui entrave les réformes de la CBN.
« Actuellement, notre principale source de revenus provient de la vente de notre pétrole brut, mais une partie de cette production est siphonnée par les voleurs de pétrole [dans le Delta du Niger] ce qui nous prive de devises, alors que ces liquidités pourraient être injectées dans le marché, assure Ayorinde Akinloye. La capacité de la Banque centrale à soutenir le Naira est entamée. »
Quelques jours après ce réajustement, la devise nigériane a recommencé à dévisser sur le marché parallèle des changes, creusant de nouveau l’écart avec le taux officiel. « Cette réforme n’a eu qu’un seul effet : la dévaluation du naira », soupire Ayorinde Akinloye. L’écart a recommencé à se creuser… alors que le taux est d’environ 750 au guichet officiel, il est de plus de 1 000 nairas pour un dollar au marché noir. »
Conséquences pour les entreprises
La conséquence immédiate est une forte augmentation des coûts de production et une accélération de l’inflation, déjà vertigineuse. Les petites et moyennes entreprises sont les premières touchées, même si « la dévaluation du naira affecte absolument tout le monde » rappelle Ahmed Tijani Ahmed.
Cet ingénieur de profession possède aussi une entreprise de conditionnement et de mise en bouteille d’eau potable dans le centre du Nigeria.
Le plastique de ses emballages vient de Chine, mais il est de plus en plus difficile et coûteux de trouver des dollars pour importer ce genre de matériaux. Ahmed Tijani a donc été forcé de rogner sur la production : « Avant, on produisait pas moins de 3 000 eaux en sachet par jour. Mais aujourd’hui, on peut à peine en produire plus de 1 200. Avant, un sachet d’eau, ça se vendait quelque chose comme 80 nairas, ou même 70. Maintenant, on vend ça 200 nairas ! », peste-t-il. Le plastique, les autocollants, l’entretien des machines… rien n’échappe à l’inflation.
Pourtant, impossible de continuer à faire augmenter les prix selon lui. « Les consommateurs préfèreront trouver des alternatives. Ils préfèreront retourner à des pratiques qui avaient disparu. Certains vont de nouveau boire de l’eau non potable, par exemple. »
La dégringolade du naira impacte encore une fois les plus pauvres, alors que près de la moitié des quelque 220 millions d’habitants du Nigeria vivent déjà dans l’extrême pauvreté.
Levée des restrictions d’importation
Pour tenter de redresser la barre et de sortir de la crise des devises, la Banque centrale du Nigeria a décidé de lever les restrictions qui visaient les importations de 43 produits essentiels tels que le riz, le poulet ou le ciment, entre autres. L’accès aux devises sur le marché des changes officiel était interdit pour ces produits en question. Une mesure prise par l’ex-président Muhammadu Buhari, pour relancer la production nationale.
Sauf qu’en barrant l’accès au guichet officiel, les restrictions n’ont fait que gonfler la demande sur le marché parallèle des changes, où les commerçants ont continué à s’approvisionner en dollars pour poursuivre les importations de ces produits « interdits ».
« L’abandon de cette mesure est un premier pas essentiel vers l’unification des systèmes de change, salue l’analyste Tunde Ajileye du cabinet SBM Intelligence, à Lagos. Mais il va maintenant falloir faire en sorte qu’il y ait assez de liquidités disponibles pour répondre à la demande de change. »
Le gouvernement nigérian a fait savoir en début de semaine qu’il cherche à contracter un nouveau prêt de 1,5 milliard de dollars auprès de la Banque Mondiale. « Cela permettra au moins d’injecter quelques liquidités dans le marché des devises pour tenter de réduire cette marge entre taux au guichet et taux sur le marché noir », résume Tunde Ajileye, qui peine à voir dans ce type d’emprunt une solution miracle.
Il y a pourtant urgence : mardi 17 octobre, le naira a atteint son plus bas historique sur le marché parallèle. Un dollar s’y échangeait contre 1 050 nairas.
RFI