« Je vais pouvoir quitter le froid » : plusieurs centaines de jeunes migrants évacués d’un square parisien

Après avoir passé quatre mois dans le parc de Belleville, dans le nord de Paris, plusieurs centaines de jeunes migrants – qui se déclarent mineurs – ont été pris en charge jeudi matin, à l’aube, pour être mis à abri en Ile-de-France. Un soulagement pour ces jeunes étrangers qui ne supportaient plus l’errance dans la capitale et la vie dans ce square sans eau, sans électricité et sans sanitaires.

Amadou n’a pas grand-chose dans son petit sac à dos noir. Un pantalon, un t-shirt, quelques documents et son portable. « C’est tout ce que j’ai », résume-t-il, en souriant, sous sa capuche noire. Le jeune Guinéen de 15 ans – « et 10 mois », tient-il à préciser -, se tient prêt à partir du parc de Belleville, dans le nord de Paris, où il dort chaque nuit depuis trois semaines.

Jeudi 19 octobre, à 6h30, les grilles d’entrées du square sont encore fermées, verrouillées par des cadenas pour la nuit. Comme les centaines de jeunes à ses côtes, Amadou attend que les forces de l’ordre ouvrent les portes pour commencer l’opération de « mise à l’abri ».

Malgré le réveil matinal, le jeune Guinéen semble apaisé. « La semaine dernière, des gens de la préfecture sont venus ici, dans le parc. Ils nous ont promis qu’ils allaient nous trouver des hébergements. C’est l’heure. Alors je suis prêt maintenant, j’en peux plus d’être ici », confie encore Amadou qui ne quitte pas sa place dans la longue file d’attente qui se déroule devant lui.

Ce matin-là, entre 300 et 500 jeunes, selon les chiffres des associations, attendent, impatients, de monter dans les bus affrétés par la région Île-de-France pour « quitter le froid ». Personne ne veut affronter une nuit de plus dans les buissons du parc et dans la fraîcheur de la nuit, sans matelas et sans tentes parfois. Tous voient cette « mise à l’abri » comme une bénédiction, après des mois de galères à la rue.

Ces jeunes considérés comme des majeurs, leur minorité n’ayant pas été reconnue, n’ont le droit à aucune assistance de l’État. En attendant leur recours auprès d’un juge, ils ne sont pas pris en charge par les autorités et trainent donc sur les trottoirs de la capitale.

« Il y a un peu de panique, ils ont peur de ne pas partir »
Depuis le mois de juillet, certains jeunes dormaient dans le parc de Belleville, à l’abri des regards, sans pouvoir se nourrir correctement, ni dormir « sans se briser le dos », ou encore se laver. Aujourd’hui, Amadou est ravi de laisser son matelas derrière lui.

D’autres montrent de grands signes de nervosité. Ils sont inquiets à l’idée de ne pas « avoir de place » dans les bus affrétés par la région. « Il y a un peu de panique, ils ont peur de pas partir », explique Nikolaï Posner, de l’association Utopia 56, qui répond aux questions des jeunes alignés devant les grilles du parc depuis plusieurs heures.

Vers 8h, l’évacuation commence avec l’ouverture par les forces de l’ordre d’une seule grille. Rapidement, c’est la cohue. Des dizaines de jeunes se ruent vers la petite entrée, soigneusement surveillée par les forces de l’ordre. « Ne poussez pas ! », soufflent les haut-parleurs des policiers devant le goulot d’étranglement formé par des dizaines de jeunes coincés dans l’ouverture de la porte. « On vous fait sortir cinq par cinq, mais tout le monde montera dans les cars ».

De l’autre côté du grillage, les associations guettent. « On espère que tout le monde sera pris en charge, on sera vigilants », déclare Yann Manzi, membre et fondateur d’Utopia 56, l’oreille vissé à son portable pour suivre les trajets de chaque bus qui démarre.

Une situation « qui a trop duré »
Les jeunes devraient être accueillis dans des CAES (centres d’accueil et d’examen des situations) dans le 18e, le 19e arrondissement de Paris, à Sarcelles, à Clichy, entre autres lieux. « Normalement, il y aura assez de places pour tout le monde, selon les informations que j’ai reçues de la région », assure Léa Filoche, adjointe à la Mairie de Paris, en charge des Solidarités, qui a fait le déplacement pour assister au dénouement d’une situation « qui a trop duré ».

Ancien adjoint d’Anne Hidalgo en charge du logement et aujourd’hui sénateur, Ian Brossat a également salué l’évacuation du campement. « Cette situation était indigne », assure-t-il sur son compte X (anciennement Twitter).

L’immense majorité de ces jeunes, originaires d’Afrique de l’Ouest, était en errance depuis de nombreux mois. Beaucoup ont vécu sur les trottoirs de la capitale, puis dans l’école désaffectée du 16e arrondissement pendant plusieurs semaines au printemps. Mais le lieu a fermé en juin à cause de sa surpopulation.

Une fermeture qui a contraint des centaines de jeunes à retrouver la rue. Après un sit-in éclair sur le parvis du Conseil d’État, les jeunes étrangers ont une nouvelle fois dû trouver un nouvel endroit où dormir : le parc de Belleville, pendant quatre « longs » mois.

« Ils sont à bout »
« J’espère que tout ça, c’est fini, on veut juste dormir avec dignité et faire reconnaître notre minorité », confie Amadou, le jeune guinéen – perdu de vue dans la cohue de 8h.

Vers 9h, devant l’un des bus qui stationnent à l’entrée du parc, Christopher, un jeune congolais, qui est sorti du parc dans les derniers, ne cache pas sa joie. « Je vais quitter le froid », sourit-il en tenant, dans sa main gauche, un grand sac de courses Franprix duquel dépasse une couette blanche et, dans sa main droite, une valise à roulettes.

« C’était un peu difficile », souligne-t-il pudiquement après avoir passé trois mois dans le parc. À ses côtés, d’autres jeunes cachent leurs visages. Ils refusent d’être filmés ou pris en photos par les journalistes. « Je ne veux pas que ma famille me voit comme ça », lâche l’un d’eux en baissant sa tête.

« Il faut comprendre que ces jeunes sont à bout », continue Yann Manzi. « Ils ont été chassés dans toutes les rues de Paris. Cette mise à l’abri est saluée, bien sûr. Mais on espère que cette opération ne sera pas suivie d’une remise à la rue comme on a pu le voir toutes ces années. Ce jeu incessant de ‘mise à l’abri’-‘mise à la rue’, on espère que c’est fini ».

Selon Utopia 56, à la fin de l’opération, jeudi matin, une quarantaine de jeunes n’ont pas pu monter dans les bus et ont été dispersés par la police.

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