Une main-d’oeuvre réduite, des attaques de roquettes incessantes, des craintes liées à l’attaque du Hamas qui perdurent : l’impact de la guerre contre les militants du groupe palestinien sur l’économie israélienne sera sans commune mesure avec les chocs des dernières décennies.
Les grues qui parsèment la ligne d’horizon de Tel Aviv, ville en perpétuelle croissance, sont restées à l’arrêt des jours durant après que la capitale a fermé les chantiers de construction. Ils ont rouvert cette semaine avec des directives de sécurité plus strictes, mais le ralentissement de l’activité dans ce seul secteur coûte à l’économie environ 150 millions de shekels (35 millions d’euros) par jour, selon un rapport du secteur.
« Il ne s’agit pas d’un coup dur seulement pour les entrepreneurs ou les industriels », tempère Raul Sarugo, président de l’Association des constructeurs israéliens. « C’est un coup dur pour tous les foyers israéliens. »
L’économie israélienne, qui pèse près de 500 milliards de dollars et qui est la plus développée du Moyen-Orient grâce à ses atouts dans les secteurs de la technologie et du tourisme, s’est bien comportée pendant la majeure partie de l’année 2023. La croissance était en passe d’atteindre 3% cette année, avec un faible taux de chômage.
Mais l’invasion terrestre imminente de Gaza et la menace d’un conflit régional pèse sur les dépenses de consommation. Les agences de notation ont déjà prévenu qu’elles pourraient revoir à la baisse leur évaluation de la solvabilité du pays.
Des centaines de milliers de réservistes ont été appelés en renfort, laissant un trou béant dans la main-d’oeuvre et perturbant les chaînes d’approvisionnement, des ports maritimes aux supermarchés. Le shekel s’est effondré.
Le conflit a également interrompu les mouvement de milliers de travailleurs palestiniens depuis Gaza vers Israël, et réduit le flux en provenance de Cisjordanie.
Les escalators et les allées du principal centre commercial de Jérusalem sont demeurées vides pendant les deux premières semaines de la guerre, mais les clients reviennent peu à peu.
« Il y a eu une baisse drastique de la fréquentation », résume Netanel Shraga, gérant du magasin de vêtements de sport Columbia.
HAUTE TECHNOLOGIE
Certains des employés de Netanel Shraga ont été appelés sous les drapeaux. D’autres ont trop peur pour venir travailler.
Les hôtels sont à moitié remplis par des Israéliens évacués des zones frontalières, le reste des chambres est pratiquement vide. Les usines continuent de fonctionner, même celles situées près de Gaza, mais il n’y a pas toujours assez de chauffeurs routiers pour effectuer des livraisons régulières.
Les achats par carte de crédit ont diminué de 12% au cours de la semaine dernière par rapport à la même période de l’année précédente, avec des baisses importantes dans presque toutes les catégories de dépenses, à l’exception des achats dans les supermarchés, qui progressent.
L’industrie des hautes technologies, qui a prospéré pendant la pandémie de COVID-19, est également en difficulté, alors qu’elle pèse habituellement 18% du PIB d’Israël et représente la moitié de ses exportations.
« La productivité diminue considérablement, car le travail quotidien s’efface devant des préoccupations existentielles », relève Barak Klein, directeur financier de l’entreprise de technologie financière ThetaRay.
Douze des 80 employés de ThetaRay basés en Israël sont réservistes et ont été appelés sous les drapeaux, d’autres ont des enfants qui ne vont pas à l’école, et la peur des tirs de roquettes demeure omniprésente.
ThetaRay a mis en place une garderie pour ses employés et compte sur ses bureaux à l’étranger pour assumer une partie de la charge de travail.
Erel Margalit, dont le fonds de capital-risque JVP est l’un des plus actifs du pays, a déclaré qu’il sautait d’une réunion du conseil d’administration à l’autre pour évoquer les différents plans de continuité d’activité.
« Les investisseurs ont besoin d’être rassurés », estime-t-il.
Selon Dror Bin, directeur général de l’Autorité israélienne de l’innovation (IIA), financée par l’État, entre 10 à 15% de la main-d’oeuvre dans le secteur de la haute technologie a été appelée à servir.
« Nous avons été en contact avec des centaines d’entreprises technologiques, en particulier des entreprises en phase de démarrage », a déclaré Dror Bin, ajoutant que beaucoup d’entre elles étaient au milieu d’un cycle de levée de fonds et manquaient d’argent.
Pour les aider, l’IIA a mis en place un fonds de 100 millions de shekels pour aider 100 startups technologiques à surmonter la situation.
Le ministère de l’Economie a créé une cellule de crise et lancé un numéro d’aide. Jusqu’à présent, sa base de données a permis de mettre en relation au moins 8.550 personnes avec des entreprises en difficulté. Lorsqu’un centre logistique d’une grande chaîne de supermarchés a été mis à l’épreuve, 38 personnes ont ainsi été envoyées pour assurer une permanence de nuit.
« CRISE ÉMOTIONNELLE »
Le gouvernement a promis de ne pas diminuer les autres postes de dépenses pour financer la guerre et indemniser les ménages et les entreprises touchés, ce qui se traduira par un déficit budgétaire plus important et une augmentation de la dette.
Les conflits passés pourraient ne pas éclairer beaucoup sur l’évolution de l’économie. En 2006, lors d’une guerre de 34 jours contre le Hezbollah, un groupe libanais soutenu par l’Iran, le produit intérieur brut avait chuté de 0,5% en raison de la baisse des exportations et du ralentissement de l’activité manufacturière, mais une reprise s’était rapidement amorcée.
Ce qui se passe aujourd’hui est différent, selon les responsables.
Le public israélien traverse une « crise émotionnelle » dont les effets se font déjà sentir, a déclaré Leo Leiderman, conseiller économique principal de la Bank Hapoalim, l’une des plus grandes banques du pays.
« Les gens vont limiter leurs dépenses de consommation en raison de l’incertitude et du climat », a-t-il déclaré.
Les dépenses de consommation représentant plus de la moitié de l’activité économique, les impacts pourraient être importants.
« Israël s’est toujours remise remarquablement bien de tous les récents combats », souligne un haut fonctionnaire du ministère israélien des Finances. « Il semble que cet événement soit plus dramatique, même s’il est encore très tôt pour le savoir. »
Lundi, la Banque d’Israël a revu à la baisse ses estimations de croissance économique pour 2023, les ramenant de 3% à 2,3%, et de 3% à 2,8% pour 2024, avec comme scénario un conflit limité à la bande de Gaza. Le gouverneur Amir Yaron, qui s’oppose à des réductions de taux pour le moment, s’attend néanmoins à un rebond de l’économie.
« Par le passé, nous avons su nous remettre des périodes difficiles et retrouver la prospérité », se rappelle Amir Yaron. « Je ne doute pas qu’il en sera de même cette fois-ci ».
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