En, les refoulements par les autorités grecques des exilés vers la Turquie sont « devenus la norme » et s’accompagnent de « cycles de violences », dénonce l’ONG Médecins sans frontières (MSF) dans un nouveau rapport publié jeudi. Celui-ci se base sur de nombreux témoignages recueillis au fil des soins médicaux délivrés à des milliers d’exilés sur le sol grec ces deux dernières années.
Dans un rapport paru ce jeudi 2 novembre, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) affirme que les refoulements illégaux de migrants « sont devenus la norme », de même que « l’absence criante de protection pour les personnes qui cherchent la sécurité en Grèce ».
Près de 8 000 exilés dont 1 500 enfants ont bénéficié, entre août 2021 et juillet 2023, d’une aide médicale de la part de MSF en Grèce. En se basant sur leurs témoignages, l’organisation souligne que la plupart ont fait l’objet de « plusieurs refoulements », en mer et depuis la terre. Ces refoulements s’accompagnent de violences, également détaillées dans le rapport.
« Dès que nous sommes entrés dans les eaux grecques, un petit bateau gris est venu dans notre direction », raconte par exemple l’une des patientes, Fatima.* « Un homme vêtu de noir et le visage couvert a sauté sur notre bateau. Il avait un bâton à la main et a commencé à frapper la personne devant lui. Puis il a éteint le moteur et l’a laissé tomber à l’eau. Nous nous sommes retrouvés au milieu de la mer, sans moteur. »
« Le bateau s’approchait de nous et faisait des vagues »
Les témoignages de ces refoulements en mer sont nombreux. Après plusieurs heures de navigation, Alika, femme enceinte de six mois au moment de sa première tentative de traversée avec son mari, se souvient de la lumière sur eux et des cris : « »Stop ! Hé! Stop ! » C’était un bateau gris, pas très grand, et sur le pont se tenaient, je pense, cinq hommes.
Je ne pouvais pas les voir bien à cause de la lumière et parce qu’ils portaient des vêtements sombres. Mon corps était raide, figé, je crois que j’ai arrêté de respirer (…). Le bateau s’approchait de nous et faisait des vagues. Ils avaient un long bâton et ont commencé à frapper sur le moteur ».
Puis les hommes se sont rapprochés encore du canot pneumatique pour y attacher une corde, raconte-t-elle. « Ils ont ensuite commencé à aller très vite. Nous sommes tombés les uns sur les autres au milieu du bateau. J’avais tellement peur pour le bébé (…) Et puis ils ont arrêté le moteur, ont détaché la corde de leur côté et rapidement, comme si de rien n’était, ils sont partis. Les gens ont commencé à crier à l’aide. Mais il faisait noir et il n’y avait personne ».
Au fil des années, la rédaction d’InfoMigrants a également reçu des témoignages de violences en mer Égée. Une Congolaise avait raconté en 2021 comment les Grecs avaient refoulé leur canot dans les eaux turcs après avoir jeté à l’eau leurs portables et leurs affaires. Un Guinéen a également raconté en 2020 comment les garde-côtes grecs ont percé son embarcation en mer avant de repousser le canot vers les eaux turques.
Arrêtés à terre, des exilés forcés de dériver en mer
MSF rapporte aussi plusieurs témoignages de refoulements depuis la terre. À savoir, des exilés placés de force sur des radeaux de sauvetage et laissés à la dérive vers les eaux turques. Adele, une autre exilée enceinte, arrivée avec son mari sur le sol grec, raconte être tombée sur un policier habillé en civil.
« Il nous a emmenés dans sa voiture en disant qu’il nous aiderait. Mais au lieu de cela, il nous a conduits vers un autre endroit – cela ressemblait à une base militaire ou quelque chose du genre – où nous avons vu les gens de notre bateau entourés de plusieurs hommes vêtus de noir et portant des armes ».
Forcés de monter sur un canot, puis sur un grand bateau, le groupe a ensuite été mis à l’eau sur des sortes de « paniers gonflables », raconte Adele à MSF.
Les hommes armés « nous ont demandé un à un de déposer nos affaires et de monter dans l’un des paniers », rattachés par des cordes au bateau. « Ils sont partis à grande vitesse plus loin dans la mer. Je pense que nous étions 16 personnes empilées les unes sur les autres », ballotées dans la mer par la traction. « Nous avons compris que nous étions ramenés du côté turc. Puis ils ont coupé les cordes et sont partis ».
Ce type de refoulements est « assez courant depuis quelques années », expliquait Tommy Olsen, directeur de l’ONG d’Aegean boat report, à InfoMigrants il y a quelques mois.
« En Grèce, nous avons des unités de police spéciales qui sont déployées pour garder les frontières. Elles sont notamment présentes sur les îles, elles conduisent des véhicules banalisés, utilisent des technologies de pointe comme des drones, et peuvent donner des ordres à la police locale ».
En mai, le New-York Times avait révélé comment des garde-côtes grecs avaient placé sur un canot à la dérive en mer Égée un groupe de migrants, en majorité des enfants, dont un nourrisson. Le groupe se cachait sur l’île de Lesbos quand il a été intercepté puis placé sur une embarcation en mer. La Commission européenne avait demandé l’ouverture d’une enquête indépendante.
« Cycle de violence »
Pendant ces opérations illégales de refoulements, beaucoup d’exilés reçus par MSF racontent avoir été « pris au piège dans des cycles de violence ». L’organisation a recueilli des témoignages de « violences, agressions physiques, fouilles à nu et fouilles corporelles intrusives », y compris sur des enfants, de la part d' »officiers en uniforme et d’individus masqués non identifiés ».
Parmi les violences revenant régulièrement dans les témoignages : poignets ou chevilles immobilisés avec des câbles en plastique, coups avec des matraques ou des bâtons, insultes verbales, fouilles corporelles intrusives devant des inconnus, liste MSF.
Une exilée, Elisabeth*, témoigne ainsi de violences subies par le groupe avec lequel elle est arrivée sur le sol grec. L’une des femmes a été « traînée par terre », puis tous ont été « attachés comme ça [les poignets devant le corps], ils ont aussi attaché la femme enceinte. Ils ont même marché sur le ventre de l’autre dame et l’ont battue. »
Contacté par l’AFP, le ministère grec des Migrations n’avait pas encore réagi, jeudi, au rapport de MSF.
Les Etats-membres de l’UE « n’ont pas demandé de compte » à la Grèce, regrette MSF
Le 14 juin, au moins 82 personnes ont péri noyées et des centaines d’autres ont disparu dans le naufrage d’un chalutier qui reliait la Libye à l’Italie, au large de Pylos. Ce naufrage a soulevé de nombreuses questions sur les responsabilités des autorités grecques.
Malgré les accusations récurrentes de refoulements et de violences, et « malgré des preuves nombreuses et crédibles, les autorités grecques, l’UE et ses États membres n’ont pas demandé de comptes aux auteurs de ces manquements », commente MSF dans son rapport.
« Nous demandons la fin définitive des refoulements aux frontières, la mise en place d’un système de surveillance indépendant sur les îles de la mer Égée et le renforcement des opérations de recherche et de sauvetage en mer », conclut le Dr Christos Christou, président international de MSF.
Malgré la politique de refoulements une nouvelle fois décrite dans ce rapport d’ONG, plus de 29 700 migrants sont arrivés en Grèce au cours des neuf premiers mois de 2023. Soit plus du double des 11 000 enregistrés au cours de la même période l’année dernière.
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