Il y a quelques jours, le Hamas a proposé d’échanger les 230 otages retenus dans la bande de Gaza contre « tous les prisonniers palestiniens en Israël ». Parmi eux, Marwan Barghouti, condamné à perpétuité en 2004 pour des attentats en Israël et souvent présenté comme l’homme de l’unité politique palestinienne.
« À chaque crise interne ou chaque crise avec Israël, son nom réapparaît », admet Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). Marwan Barghouti, surnommé le « Nelson Mandela palestinien », est aussi le plus célèbre détenu palestinien. Alors que plus de 1 400 Israéliens ont été massacrés et près de 240 hommes, femmes et enfants ont été kidnappés lors des attaques du Hamas le 7 octobre, le porte-parole militaire du Hamas, Abou Obeida, a affirmé dans une vidéo diffusée le 28 octobre que le « prix à payer » pour les otages était de « vider les prisons de tous les détenus » palestiniens.
Parmi eux donc, Marwan Barghouti. Interpellé en 2002, l’ancien chef du Tanzim – la branche armée du Fatah fondée en 1995 par Yasser Arafat – a été condamné par la justice israélienne à cinq peines de prison à perpétuité pour attentats et appartenance à une organisation terroriste. « Il a été arrêté il y a plus de 20 ans, juste au moment de la Seconde Intifada (2000-2005). C’était un des responsables très actifs du Fatah et il n’a pas été assassiné, explique Jean-Paul Chagnollaud. C’est important parce qu’à l’époque, il y avait beaucoup d’assassinats ciblés et lui ne l’a pas été. Il a été arrêté et je crois que ce n’est pas par hasard. »
Depuis le fond de sa cellule, Marwan Barghouti n’a jamais cessé d’exister.
En 2006, il joue un rôle important dans la signature du « document d’entente nationale des prisonniers » entre les dirigeants emprisonnés du Fatah, du Jihad islamique, du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) et du Hamas pour assurer l’unité politique palestinienne. Le texte appelle à la création d’un État palestinien sur les frontières de 1967, à limiter la résistance palestinienne au seul territoire occupé en 1967, à respecter un cessez-le-feu mutuel, et demande aux Palestiniens de résister à l’occupation dans le respect du droit international.
Le but était la formation d’un gouvernement de coalition pour sortir de l’impasse qui a suivi la victoire du Hamas aux élections législatives dans la bande de Gaza. Le mouvement islamiste étant reconnu comme « organisation terroriste » par l’Union européenne, les États-Unis et Israël, sa victoire politique n’a jamais été reconnue et a mené à de violents affrontements avec le Fatah.
Plébiscité par la jeunesse palestinienne
Au fil des ans, Marwan Barghouti s’est imposé comme la seule personne capable de réaliser l’unité des organisations palestiniennes. « Il n’est pas très éloigné du Hamas et l’a accompagné à plusieurs reprises, notamment quand il a fait ce document des prisonniers. Il avait réussi à mettre d’accord Hamas et Fatah. C’est un personnage qui a justement cette capacité de rassembler et c’est pour ça qu’il avait de fortes chances de gagner les élections législatives en 2021 », poursuit le spécialiste du Proche-Orient.
Des élections qui n’ont jamais eu lieu. Depuis le décès de Yasser Arafat en 2004, les Palestiniens n’ont connu que Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne. Bien que son mandat a officiellement expiré en 2009, le chef de l’Autorité palestinienne a annulé le scrutin prévu en 2021 en justifiant cette décision par l’impossibilité pour les Palestiniens de Jérusalem-Est d’y participer. Pour de nombreux observateurs, il s’agissait avant tout pour le leader de 88 ans d’éviter une cuisante défaite.
« Les sondages israélien et palestinien assez fiables donnaient à Barghouti (et son parti Liberté, NDLR) une chance sérieuse de l’emporter contre le président de l’Autorité palestinienne. Il garde un certain prestige auprès de la population. »
Une analyse partagée par Frédéric Encel, docteur en géopolitique et spécialiste du Proche-Orient. « Il a passé de nombreuses années en prison en Israël, ce qui lui donne évidemment un gage à la fois de probité, d’héroïsme, de patriotisme aux yeux des Palestiniens, explique-t-il. Lorsqu’il était à la tête du Fatah, ce conservateur était favorable à une alliance avec le Hamas, ce qui n’est pas le cas de tous les militants de l’Autorité palestinienne. »
Depuis quelques années, les sondages réalisés auprès des Palestiniens le présentent en effet comme la personnalité la plus populaire auprès de la jeunesse, loin devant Mahmoud Abbas et le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh.
En août 2023, son épouse Fadwa Barghouti a lancé une énième campagne internationale demandant sa libération : « Liberté pour Marwan Barghouti, le Mandela de la Palestine ». « Cela fait des années qu’il y a des campagnes avec ce slogan pour le libérer, notamment avec des prix Nobel. Comme Mandela, il a passé plus de 20 ans en prison et cela renforce sa symbolique en termes de capacité de négociation politique, note Jean-Paul Chagnollaud.
C’est assez logique puisqu’au fond, c’est l’idée qu’il a les capacités pour être un chef rassembleur et sortir d’une situation impossible. La légitimité pour un Palestinien a toujours été la prison. Ceux qui en sortent sont auréolés de ce passage qui est une sorte de brevet de résistance. »
Sur la scène politique, peu de personnalités peuvent actuellement lui faire de l’ombre. « Les chefs potentiels n’ont aucun charisme et, en plus, ils sont détestés par la population précisément parce qu’ils font partie de l’appareil sécuritaire palestinien qui collabore avec l’appareil sécuritaire israélien », souligne Jean-Paul Chagnollaud. « Si vous vous posez la question de la notoriété chez les Palestiniens, c’est Barghouti et pas Dahlane par exemple », ajoute Frédéric Encel.
Mohammed Dahlane, ancien homme fort du Fatah à Gaza, est exilé aux Émirats arabes unis depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas en 2006. Dans un rare entretien accordé au journal The Economist le 30 octobre, l’homme d’affaires, condamné par contumace pour corruption en 2016 par un tribunal palestinien, évoque la nécessité d’établir un « gouvernement composé de technocrates de Gaza et de Cisjordanie pendant deux ans » dans la bande de Gaza à l’issue de la guerre avec Israël. Après cette période de transition, des élections pourraient avoir lieu sans exclure le Hamas, « qui ne va pas disparaître ».
Si le nom de Marwan Barghouti n’est pas évoqué par Mohammed Dahlane, c’est parce qu’il estime qu’il n’existe aucun homme providentiel. Personne ne peut résoudre seul la crise palestinienne car « le temps des héros a disparu avec Arafat », affirme-t-il à The Economist, balayant également toute ambition personnelle.
« On ne réussira pas à éradiquer le Hamas »
Marwan Barghouti peut-il être la figure du jour d’après ? Celle qui émergera lorsque la guerre entre le Hamas et Israël aura cessé et que la question de la gouvernance de la bande de Gaza se posera ? Pour Jean-Paul Chagnollaud, cette hypothèse reste peu probable. « Pour l’instant, Israël n’a pas répondu à cette demande du Hamas [de libérer les détenus palestiniens, NDLR]. Un tel échange reste très rare et tout peu changer d’un instant à l’autre.
S’il sortait, effectivement, ce serait un personnage qui pourrait jouer un rôle mais dans le chaos actuel, je ne vois pas comment, à moins qu’il soit coopté par l’appareil qui pour l’instant n’en veut pas [le Fatah, NDLR]. » De plus, pour Frédéric Encel, rien ne garantit aujourd’hui que Marwan Barghouti accepte « de prendre des responsabilités majeures à la tête de l’Autorité palestinienne et plus spécifiquement à Gaza ».
Alors que la guerre entre le Hamas et Israël gagne chaque jour en intensité, l’avenir de la bande de Gaza semble de plus en plus compromis. « Je ne crois pas qu’Israël réussira à éradiquer le Hamas, y compris la branche militaire, conclut Jean-Paul Chagnollaud. Et, même si les Israéliens y parvenaient, une autre branche militaire surgirait tôt ou tard. En revanche, Gaza va être détruite. C’est un désastre absolu dont personne ne connaît les répercussions. »
france24