Les Market Days de l’AIF ont réuni au Maroc investisseurs, dirigeants et responsables d’institutions de financement. Au cours de cet événement, la nouvelle Alliance pour les Zones spéciales de transformation agro-industrielle s’est engagée à investir 3 milliards de dollars pour stimuler l’agriculture et la production alimentaire en Afrique.
En marge de la rencontre, Agence Ecofin s’est entretenue avec la Vice-Présidente du Groupe de la BAD pour l’Agriculture, le Développement humain et social, Dr Beth Dunford. Les échanges ont porté entre autres sur le programme Zones Spéciales de l’institution, les défis du secteur agricole et le chômage des jeunes.
Agence Ecofin : La BAD a mis en place il y a quelques années, un programme de « Zones spéciales » pour soutenir le développement agro-industriel sur le continent. Quel bilan peut-on faire de cette initiative phare de l’organisation en termes de déploiement dans les pays africains ?
Beth Dunford : Depuis 2017, la Banque a lancé les Zones Spéciales de Transformation Agro-industrielle (SAPZ), car l’Afrique a besoin de chaînes d’approvisionnement agricole plus résilientes face à la hausse des prix des engrais et des aliments. L’initiative vise à réduire la dépendance de l’Afrique vis-à-vis des importations alimentaires.
Les SAPZ regroupent la production, la transformation, le stockage, le transport et la commercialisation de produits tels que le coton, le cacao et la noix de cajou, dans des zones à fort potentiel agricole pour la valorisation et la croissance.
L’évaluation que nous faisons des progrès réalisés est que nos pays membres régionaux africains et la communauté internationale adhèrent à ce qui fonctionne pour le développement agro-industriel de l’Afrique. Cette semaine, lors de l’Africa Investment Forum, notre nouvelle Alliance pour les Zones de transformation agro-industrielle Spéciales s’est engagée à investir 3 milliards de dollars pour stimuler l’agriculture et la production alimentaire en Afrique.
Les membres fondateurs de l’Alliance axée sur le secteur privé se sont engagés respectivement à hauteur de 1,1 milliard de dollars provenant du Groupe de la BAD, 1 milliard de dollars d’Afreximbank, 300 millions de dollars du Groupe de la Banque Islamique de Développement et 600 millions de dollars d’Arise Integrated Industrial Platforms (Arise IIP) et ses partenaires.
L’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) soutient l’Alliance sous la forme d’assistance technique, de connaissances, d’expérience pratique, d’outils et de méthodologies.
La beauté de cette Alliance réside dans le regroupement de nombreux acteurs différents et divers. C’est seulement un début, et d’autres nous rejoindront.
Le nouvel afflux de financements promis fait suite au développement significatif des SAPZ à travers le continent. La BAD a déjà engagé 853 millions de dollars pour développer plus de deux douzaines de SAPZ dans 11 pays. Cet investissement a attiré 661 millions de dollars de co-financement de la part des partenaires de la banque.
Sous la nouvelle Alliance, l’atteinte de cet objectif financier de 3 milliards de dollars permettra la réalisation de 15 à 20 projets supplémentaires de SAPZ dans les pays africains et améliorera les incitations administratives, politiques et d’investissement.
AE : Comment la BAD évalue la performance sur le terrain des investissements consentis jusque-là ?
BD : Comme nous venons de le mentionner, la banque s’est déjà engagée à hauteur de 853 millions de dollars pour développer plus de deux douzaines de SAPZ dans 11 pays. Les Zones de Transformation Agro-Industrielle Spéciales sont en cours de mise en œuvre dans les pays que sont la Côte d’Ivoire, la RDC, l’Éthiopie, la Guinée, le Mali, Madagascar, le Libéria, le Mozambique, le Nigeria, le Sénégal et le Togo.
« Les Zones de Transformation Agro-Industrielle Spéciales sont en cours de mise en œuvre dans les pays que sont la Côte d’Ivoire, la RDC, l’Éthiopie, la Guinée, le Mali, Madagascar, le Libéria, le Mozambique, le Nigeria, le Sénégal et le Togo ».
Il est à noter qu’un de nos deux projets de SAPZ au Sénégal, qui a débuté en novembre 2019 avec un investissement de 48,4 millions de dollars et un co-financement de 30 millions de dollars de la Banque Islamique de Développement, a récemment attiré un investissement du secteur privé.
En mars 2023, un accord a été signé entre ARISE Integrated Industrial Platforms et le gouvernement du Sénégal pour un investissement en actions dans le projet de SAPZ Sénégal-Sud. Il s’agit du premier investissement en actions dans les projets de SAPZ soutenus par la Banque.
L’équipe des SAPZ de la Banque travaille actuellement sur deux projets supplémentaires (Sénégal Nord et région de Kara au Togo), qui devraient être présentés au Conseil d’administration de la Banque d’ici la fin de 2023 ou le début de 2024.
Plusieurs études de faisabilité sont en cours pour accroître les futures SAPZ en Éthiopie, au Ghana, au Nigéria, en Côte d’Ivoire, à Maurice, au Mozambique, en Zambie et en Afrique du Sud, qui seront rendues investissables en 2024-2025.
AE : Le thème « Libérer les chaînes de valeur » dans le cadre de ce sommet met en exergue la nécessité d’accélérer l’intégration économique régionale. Quels sont, selon-vous, les principaux défis à cette intégration dans le secteur agricole ?
BD : Les défis sont nombreux pour un continent aussi vaste et un secteur aussi important. J’aimerais attirer votre attention sur l’un d’entre eux et sur la manière dont le Groupe de la BAD travaille sur des solutions visant à aider les gouvernements et ceux qui œuvrent, tout au long de la chaîne de valeur agricole, à nourrir l’Afrique et à améliorer la qualité de vie des populations africaines.
L’un des objectifs du programme phare de la Banque, Technologies pour la Transformation Agricole en Afrique, est la distribution de semences intelligentes, c’est à dire résilientes au climat pour aider les petits agriculteurs à cultiver davantage de nourriture dans des endroits où les semences ordinaires avaient du mal à prospérer. En fait, nous avons distribué des semences intelligentes à 12 millions d’agriculteurs dans 27 pays en seulement deux ans.
« En fait, nous avons distribué des semences intelligentes à 12 millions d’agriculteurs dans 27 pays en seulement deux ans. »
Nous pouvons faire davantage en continuant à renforcer les systèmes nationaux et régionaux de production de semences des pays africains pour fournir aux agriculteurs des semences résilientes au climat en quantité suffisante. Cependant, il existe souvent des barrières au commerce. Les engrais ou les semences certifiées disponibles dans un pays peuvent ne pas l’être dans un autre.
Le programme Technologies pour la Transformation Agricole en Afrique travaille avec les pays membres régionaux de la BAD, avec l’AGRA – l’institution africaine axée sur la promotion de l’innovation agricole – et avec l’Union africaine, pour plaider en faveur de la domestication des réglementations régionales sur les semences et pour éliminer les obstacles au commerce transfrontalier des semences.
« La Banque contribue également au développement de chaînes d’approvisionnement efficaces en semences qui augmentent la productivité au niveau des exploitations agricoles et accroissent les rendements pour les agriculteurs. »
La Banque contribue également au développement de chaînes d’approvisionnement efficaces en semences qui augmentent la productivité au niveau des exploitations agricoles et accroissent les rendements pour les agriculteurs, tout en garantissant des résultats constants et de qualité aux investisseurs en amont dans la capacité de traitement et la valeur ajoutée.
Ayant soutenu l’harmonisation et l’application régionales, notre programme Technologies pour la Transformation Agricole en Afrique renforcera davantage les opérations régionales, assurant la qualité dans le portefeuille agricole croissant de la Banque.
AE : Dans son discours d’ouverture de l’événement, le président de la BAD a relevé plusieurs atouts qui font de l’Afrique un terrain où investir dont la forte démographie de la couche juvénile. Pourtant le taux de chômage des jeunes reste préoccupant. Quelles raisons expliquent cela ? Et comment les partenaires de l’AIF collaborent-ils avec les gouvernements sur le plan de la formation d’une main d’œuvre qualifiée et préparée aux enjeux du monde de demain ?
BD : L’instabilité, la pauvreté et les limitations des ressources continuent d’affecter la capacité de l’Afrique en matière d’éducation et de développement des compétences. Les investissements des pays africains dans le développement des compétences sont trop faibles pour construire les compétences qui pourraient contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies en matière d’éducation de qualité et de développement durable.
À la Banque africaine de développement, nous avons une stratégie visant à aider à réduire le déficit de compétences et à envisager une Afrique future dotée d’une main-d’œuvre qualifiée en croissance, prête pour les emplois, les postes de direction et les innovations qui peuvent améliorer la qualité de vie des Africains et favoriser l’investissement sur le continent.
Les conflits, les guerres civiles, la pauvreté et l’inégalité continuent de compromettre les efforts déployés pour constituer une main-d’œuvre qualifiée et productive. Ainsi, le manque de compétences a entraîné un taux élevé de chômage des jeunes et contribué à l’instabilité en Afrique.
Nous croyons que la population jeune de l’Afrique est un pilier pour la prospérité économique future continue. Les jeunes représentent 34% de la population totale de l’Afrique, et cela devrait passer de 455 millions à plus de 845 millions d’ici 2050. La jeunesse africaine a le potentiel de devenir un catalyseur pour le progrès économique et d’attirer des investissements internationaux. La main-d’œuvre africaine représentera la moitié des 2 milliards de personnes en âge de travailler dans le monde d’ici 2063.
« La main-d’œuvre africaine représentera la moitié des 2 milliards de personnes en âge de travailler dans le monde d’ici 2063 ».
Le développement des compétences fait partie intégrante du soutien de la Banque aux pays membres régionaux. Le programme de la Banque, « Skills for Employability and Productivity in Africa » (SEPA), vise à contribuer à la constitution d’une masse critique de main-d’œuvre innovante, productive et qualifiée pour stimuler la transformation économique et la création d’emplois.
Le développement des compétences chez les jeunes est un outil essentiel pour promouvoir la paix et l’inclusion, en particulier dans des contextes fragiles, et pour soutenir les moyens de subsistance dans les économies rurales.
Notre programme SEPA présente une approche structurée pour opérationnaliser l’engagement de la Banque à relever le niveau de compétences de la main-d’œuvre africaine. En juillet 2023, le Conseil d’administration de la Banque a approuvé plus de 227 millions de dollars pour des projets dans le cadre du plan d’action SEPA.
L’une des dernières initiatives de la Banque est l’approbation d’un prêt de 23,6 millions de dollars pour la construction et l’équipement d’une nouvelle installation de formation à l’aviation à Kigali.
Le Centre d’excellence pour les compétences en aviation, comprenant un hangar à avions, collaborera avec des établissements d’enseignement supérieur pour former une main-d’œuvre qualifiée conforme aux normes mondiales de formation à l’aviation et aux exigences de l’industrie. Le projet renforcera l’ambition du Rwanda de devenir une plateforme régionale de l’aviation et attirera des investissements internationaux de l’industrie de l’aviation.
Le Centre devrait accueillir jusqu’à 500 étudiants à partir de 2025, lorsqu’il deviendra partiellement opérationnel. Il proposera une formation pour les pilotes, la maintenance et l’équipage de cabine, ainsi que des cours auxiliaires, notamment sur les opérations d’urgence aéroportuaire.
Le soutien financier de la Banque à ce Centre d’excellence témoigne de notre engagement à investir dans le capital humain pour répondre aux demandes des emplois d’aujourd’hui et de demain dans l’aviation et les industries connexes en Afrique. De plus, environ 386 millions de dollars de projets sont en attente d’examen par le Conseil d’administration de la Banque d’ici la fin de cette année.
Le programme SEPA de la BAD présente une approche structurée pour opérationnaliser l’engagement de la banque à relever le niveau de compétences de la main-d’œuvre africaine. Il est ancré dans la stratégie « Jobs for Youth in Africa » de la Banque pour la période 2016-2025 et contribuera à l’objectif de créer vingt-cinq millions d’emplois et de doter cinquante millions de jeunes de compétences pour un emploi productif et l’auto-emploi.
« La stratégie « Jobs for Youth in Africa » de la Banque pour la période 2016-2025, contribuera à l’objectif de créer vingt-cinq millions d’emplois et de doter cinquante millions de jeunes de compétences pour un emploi productif et l’auto-emploi. »
Ce programme vise à combler le fossé des compétences en Afrique, en traitant notamment du déséquilibre des compétences, du changement climatique, du programme de l’économie verte, ainsi que de la transformation numérique sur le marché du travail.
Nous invitons les partenaires de l’AIF à contacter la BAD pour explorer des moyens de collaboration visant à fournir des solutions pour une main-d’œuvre plus qualifiée et autonome pour l’avenir.
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