Pologne – Biélorussie : un migrant retrouvé mort à la frontière, un deuxième blessé par balle dans le dos

Nouveau drame en Pologne. Un homme d’origine syrienne a été touché d’une balle dans le dos par un soldat polonais, alors qu’il traversait la frontière avec la Biélorussie. Il a été hospitalisé après l’incident le vendredi 3 novembre à l’hôpital de Hajnówka, « la balle étant restée coincée dans sa colonne vertébrale », a révélé Piotr Czaban, humanitaire qui couvre les incidents dans la zone.

L’ONG polonaise Grupa Granica, en contact avec le blessé, a relayé sa version des faits.

Ce jour-là, cet exilé de 22 ans traverse la frontière avec d’autres Syriens. À environ 9 km de celle-ci, « il a entendu un cri, et juste après, un coup de feu ». Il reçoit alors une balle dans le dos, puis entend « trois autres coups de feu ».

Les autres personnes du groupe s’enfuient. Laissé seul dans la forêt, le Syrien blessé est rejoint au bout de plusieurs minutes par des soldats polonais qui appellent une ambulance. Il est ensuite conduit à l’hôpital dans état grave, mais stable.

De leur côté, les autorités polonaises confirment l’information.

« Il s’agit d’un malheureux accident » provoqué par le « trébuchement » du soldat, a expliqué Radosław Wiszenko du parquet régional de Bialystok, à l’agence de presse polonaise (PAP).

Une enquête est en cours pour déterminer les causes de l’incident. Le soldat soupçonné d’avoir tiré le coup de feu risque une peine de trois à huit ans de prison, selon la gravité des blessures.

En septembre, les garde-frontières biélorusses – régulièrement accusés de violences envers les exilés – ont accusé leurs homologues polonais de tirer à balles réelles sur les migrants. « Pour faire peur aux gens, les militaires polonais ont dirigé leurs armes sur les réfugiés et tiré au-dessus de leurs têtes », ont-ils affirmé sur Telegram.

« L’usage par des militaires étrangers d’armes à la frontière constitue les prémices extrêmement dangereuses d’un conflit frontalier ».

La forêt de Bialowieza, site classé au patrimoine mondial de l'Unesco, est traversée par les migrants après le passage de la frontière biélorusse. Crédit : Reuters
La forêt de Bialowieza, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est traversée par les migrants après le passage de la frontière biélorusse. Crédit : Reuters

 

Le jour même de la fusillade en forêt, le cadavre d’un autre homme, également syrien, a été retrouvé à proximité dans la forêt de Białowieza, près de la rivière Narewka.

Selon l’ONG Urgence humanitaire volontaire de Podlaski (POPH), il était âgé de 23 ans. Il portait « deux pantalons de survêtement, plusieurs t-shirts, deux polaires et des chaussures de sport », indique PAP. Sa famille avait perdu le contact avec lui depuis une semaine quand le corps a été retrouvé. D’après le média Notes from Poland, « rien n’indique que les deux décès soient liés ».

Dimanche 22 octobre, un énième exilé est mort dans la même zone. Il faisait partie d’un petit groupe ayant traversé la frontière via un trou dans la clôture.

« Dès que les patrouilles polonaises les ont vu, elles ont commencé à leur courir après, raconte Grupa Granica. Un des hommes est resté coincé dans un marécage. Les garde-frontières ont réussi à l’en sortir, mais il était très épuisé. Il est mort avant l’arrivée de l’ambulance ».

« Jeté par-dessus la clôture en sous-vêtement »

D’après les associations polonaises, 52 personnes sont mortes à la frontière depuis l’été 2021, lorsque les premiers groupes de migrants ont traversé la zone. En deux ans, des milliers d’exilés originaires d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie et d’Afrique sont arrivés en Pologne via la Biélorussie voisine.

Refoulés par les garde-frontières polonais d’un côté, et empêchés par les autorités biélorusses de rebrousser chemin, beaucoup de ces migrants, dont des familles avec enfants, se retrouvent régulièrement coincés dans la forêt, au milieu des marécages.

Depuis le début de l’année 2023, les autorités polonaises ont comptabilisé 24 000 tentatives de passage à la frontière.

De chaque côté de ce territoire, séparé depuis l’été 2022 par un mur de fer surmonté de barbelés, les migrants subissent coups et humiliations des garde-frontières. Sur sa page Facebook, Grupa Granica évoque le cas récent d’Amir, un Syrien, qui a tenté six fois de traverser la frontière.

Lors de sa dernière tentative, avant d’être renvoyés en Biélorussie, « les gardes polonais l’ont tabassé, dépouillé et jeté par-dessus la clôture en sous-vêtement ». « Tous vos officiers ne sont pas mauvais – parfois ils nous donnent même de la nourriture et de l’eau, témoigne-t-il auprès de l’association. Mais d’autres nous pulvérisent au gaz lacrymogène.

Il n’y a pas longtemps, j’ai dû jeter ma veste parce que tout mon corps brûlait à cause de ce gaz. Et je n’avais aucun moyen de me laver ».

 

Fin octobre, Grupa Granica a également rencontré un petit groupe de migrants originaires de Damas, coincé depuis un mois dans la forêt.

« Les soldats [polonais] vous attrapent, crient, vous giflent, vous frappent au sol, vous serrent les mains dans le dos, écrasent votre visage au sol avec leurs chaussures.

Et puis ils vous jettent par-dessus la clôture. Mais ce n’est rien comparé à la façon dont les Biélorusses nous traitent, témoigne l’un d’eux, Ahmed. Ils utilisent des armes, mais nous gardent le plus souvent avec des chiens. Un ami a été si gravement mordu par l’un d’eux qu’il est maintenant dans un hôpital de Minsk ».

Une victoire synonyme « d’espoir »

Le 15 octobre, les résultats des élections législatives ont pourtant suscité de « l’espoir » auprès des membres associatifs. La victoire dans les urnes d’une coalition d’opposition, libérale et pro européenne, a mis fin à huit ans de règne du parti conservateur et anti-migrants Droit et Justice (PiS).

« Mais il faut rester prudent, avait alors confié à InfoMigrants Aleksandra Chrzanowska, membre de l’ONG polonaise Association for legal intervention.

La formation du nouveau gouvernement va prendre du temps, et je suis sceptique quant à un changement radical de la politique migratoire : les autorités vont très certainement conserver le mur, et je ne suis pas sûre qu’elles mettent un terme aux refoulements illégaux ». 

En attendant d’en savoir plus sur la politique migratoire du gouvernement, sur le terrain, les associations restent actives. Le 26 octobre, des funérailles ont été organisées pour un Yéménite de 26 ans et un Syrien de 21 ans, au cimetière de Narewka, retrouvés morts à la frontière en février dernier.

Outre les employés des organisations humanitaires, plusieurs habitants du village ont assisté à la cérémonie. Après le dépôt des corps dans les cercueils, pour leur rendre hommage, des chants funéraires traditionnels ont été entonnés. 

infomigrants

You may like