Des dizaines de lits bloqués, pour « ne pas mettre des bébés à la rue »: des maternités de la région parisienne font face à un afflux de mères sans-abri coincées à l’hôpital après leur accouchement faute d’hébergement d’urgence, une situation « ingérable » pour les soignants.
L’alerte est partie des sages-femmes « en détresse » de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, dans le département de Seine-Saint-Denis, un des plus pauvres du pays, situé au nord-est de Paris.
Cette maternité qui accueille les grossesses à risque, déjà en « flux tendu » du fait d’un sous-effectif croissant, « s’est transformée cet été, au fil des semaines, en centre d’hébergement d’urgence », dénonce l’équipe des sages-femmes, dans un courrier adressé début novembre au gouvernement.
Jusqu’à une vingtaine de femmes SDF et leurs nourrissons se trouvaient en septembre, sans raison médicale, dans les services de suite de couches et grossesses pathologiques –sur une soixantaine de lits–, hébergés parfois « jusqu’à 70 jours », écrivent-elles.
« Dans les chambres, elles restent des heures en attente, pour rien », soupire Véronique Gounot, sage-femme de 45 ans. Dans ce département, la situation « s’aggrave depuis quatre ou cinq ans », avec « des seuils très hauts » depuis l’été, assure-t-elle auprès de l’AFP. « C’est essentiellement des femmes migrantes, extrêmement isolées ».
– « Augmentation forte » –
Depuis 2019, l’Agence régionale de santé (ARS) mesure chaque mardi le nombre de femmes sans-abri concernées dans 27 des 45 maternités publiques de la région parisienne. Le nombre total s’établit généralement « autour de 20 ou 30, mais, depuis quelques semaines, on observe une augmentation forte, récemment jusqu’à 50 femmes », indique l’ARS.
En comparant « des périodes similaires de l’automne », ce chiffre était de 15 femmes en 2021, 30 en 2022, et 50 en 2023.
Le noeud du problème est la crise de l’hébergement d’urgence.
Elle sévit partout. Toutefois « ici, beaucoup d’hôtels conventionnés avec l’Etat renoncent aujourd’hui à l’accueil 115 (hébergement d’urgence), pour faire des travaux en vue des Jeux Olympiques », relève auprès de l’AFP le député communiste de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu, co-auteur d’un rapport sur le sujet.
– « Prises en étau » –
Parallèlement, un centre d’hébergement où ces jeunes mamans étaient prioritaires à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) a « fermé en juin pour raisons budgétaires », déplore le député.
Selon le rapport parlementaire de M. Peu, l’Etat disposait fin 2022 de 118.000 places d’hébergement d’urgence, dont 50.000 en hôtels. Le nombre de chambres d’hôtel a augmenté de 25% depuis fin 2017, essentiellement pendant l’épidémie de Covid-19, mais a commencé à décroître en 2022 (-2.500 chambres).
Interrogée, la préfecture d’Ile-de-France réfute tout lien avec les Jeux Olympiques. Les hôtels, très « mobilisés pendant la crise sanitaire dans un contexte d’arrêt de leurs activités commerciales », ont vu revenir les touristes, ce qui « était attendu », explique-t-elle à l’AFP.
Les services « sont mobilisés pour anticiper cette contraction » avec des solutions plus « durables », poursuit-elle, assurant avoir déjà créé 750 places en centres d’hébergement en 2022-2023. Le volume total était « quasiment le même » en 2023 qu’en 2022, et « des moyens complémentaires » sont alloués pour l’hiver.
Malgré tout « la tension reste très forte », et les demandes non pourvues peuvent « dépasser 1.000 par jour à Paris », reconnaît-elle.
Parmi les « publics prioritaires », les femmes enceintes ou sortant de maternité disposent en région parisienne de 2.000 places dédiées (30 millions d’euros de budget), ajoute la préfecture, et « un travail spécifique est en cours pour trouver des places supplémentaires ».
– « Misère » –
En attendant, les soignants sont « pris en étau », s’emporte Edith Rain, sage-femme de 53 ans de l’hôpital Delafontaine. « Il serait inconcevable de les mettre dehors avec le froid, le risque d’infections, de dénutrition », mais le travail est dégradé et « il faut gérer la souffrance, l’incompréhension des autres » patientes, dit-elle. « Même financièrement c’est absurde, vu le prix d’une nuitée d’hôpital ».
A l’hôpital Lariboisière à Paris « on les garde un mois maximum » et quelques-unes « ressortent sans solution », s’émeut Stéphanie (prénom modifié), sage-femme qui souhaite rester anonyme. « Il y a quelques semaines », ces mères sans-abri occupaient « la moitié du service de suites de couches ».
Des « centres d’hébergement post-partum » en lien avec l’Etat ont toutefois été mis en place.
« A Robert Debré, on ne les met jamais dehors. Mais les assistantes sociales sont dépassées », lâche Dalila Kermas, infirmière et déléguée syndicale Sud Santé.
« Le plus long séjour, c’était près de quatre mois. On a aussi eu une mineure victime de viol, une autre qu’on gardait avec tous ses enfants. C’est déchirant », se désole-t-elle. « L’hôpital est le reflet de la société. L’explosion de la misère, on la voit et on la subit ».
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