Découverte : comment nos papilles gustatives dictent notre appétit

Une étude montre qu’à peine nos papilles gustatives perçoivent le goût d’un aliment, elles envoient des signaux à notre cerveau pour réguler notre appétit. Une grande première dans le domaine.

C’est enfin l’heure de manger ! Après de longues heures d’attente, votre assiette est enfin pleine. Vous n’avez qu’une envie, c’est de la vider le plus vite possible. Mais après quelques bouchées, le calme revient. Vous pouvez profiter sereinement de votre assiette.

Ce rôle de régulation n’est pas, comme on l’a longtemps cru, uniquement joué par les signaux envoyés de l’estomac au cerveau.

Ce sont nos papilles gustatives qu’il faut remercier. Dès la perception du goût, les premières bouchées, les papilles communiquent directement avec notre cerveau pour moduler notre appétit, selon de récents travaux publiés dans la revue Nature.

« L’activité de ces neurones n’avait jamais été observée chez un animal en train de se nourrir »
Le Dr Zachary Knight, de l’Université de Californie à San Francisco, a voulu s’attaquer à une question toute simple mais restée sans réponse. « Comment la prise alimentaire entraîne-t-elle la satiété et la décision de terminer un repas ? C’est l’une des questions les plus basiques de la physiologie. Et sa réponse pourrait, en plus, nous faire avancer grandement dans le traitement de l’obésité », confie-t-il à Sciences et Avenir.

Pour la première fois, une équipe de recherche a pu observer et enregistrer les signaux présents dans une structure du tronc cérébral, une zone appelée le noyau du tractus solitaire, essentielle au sentiment de satiété. En observant des souris actives et éveillées, les chercheurs ont pu analyser l’activité de deux types de neurones connus pour leur rôle dans la prise alimentaire.

« On sait qu’il existe des neurones dans le tronc cérébral qui s’activent au moment de l’ingestion de nourriture dans l’estomac et qui déclenchent la décision de s’arrêter de manger, explique Zachary Knight. Bien que cela soit connu depuis des décennies, l’activité de ces neurones n’avait jamais été observée chez un animal en train de se nourrir, en raison des défis techniques associés à l’imagerie du tronc cérébral. Notre étude est la première à observer ces neurones pendant qu’un animal mange. Et nous avons fait plusieurs découvertes surprenantes. »

Deux voies de signalisation qui fonctionnent en parallèle
Première nouveauté : il existe en fait deux voies de signalisation qui fonctionnent en parallèle dans le tronc cérébral. L’une limite la vitesse à laquelle nous mangeons (elle est contrôlée par les neurones PRLH) et l’autre limite notre quantité de nourriture ingérée (celle-ci est contrôlée par les neurones GCG).

A leur grande surprise, les chercheurs ont découvert que la première voie, qui passe par les neurones PRLH, est activée par le goût des aliments. « On sait tous qu’un bon plat nous donne envie de manger encore plus. Mais nos résultats montrent que le goût des aliments limite la vitesse à laquelle nous mangeons, via une voie de signalisation qui fonctionne de manière inconsciente », commente le Dr Knight.

L’autre grand apport de cette étude porte sur la régulation de ces cellules.

Pour mieux comprendre comment cette voie de signalisation fonctionne dans la bouche, l’équipe a tenté un deuxième volet d’expériences : en laissant la souris manger normalement et, dans un deuxième temps, en lui faisant directement ingérer la nourriture dans l’estomac.

Dans le deuxième cas de figure, les neurones PRLH étaient activés par des signaux de l’appareil digestif. Mais quand la souris pouvait manger normalement, ces signaux venant de l’intestin n’étaient pas pris en compte. A la place, les cellules PRLH passaient sur un tout autre mode de fonctionnement, basé uniquement sur les signaux du goût dans la bouche.

« C’est un peu comme lors d’une fête avec beaucoup de brouhaha.

Vous n’identifiez rien dans le bruit de fond, sauf quand on vous appelle par votre prénom, illustre le Dr Knight. Nos résultats révèlent que le système sensoriel qui surveille l’intérieur de notre corps est capable de faire la même chose.

Surtout, si nous parvenons à comprendre comment fonctionne ce filtrage sensoriel et à le bloquer – afin que les neurones PRLH répondent aux signaux intestinaux lors d’une ingestion normale – cela créerait potentiellement une puissante inhibition de la prise alimentaire et pourrait constituer une nouvelle stratégie pour traiter l’obésité. Nous y travaillons actuellement. »

Salade et tartiflette n’envoient pas les mêmes signaux
Alors, tous les aliments envoient-ils le même signal, que l’on mange une salade ou une tartiflette ? Pas vraiment. Tandis que les neurones répondaient aux aliments sucrés et salés, ils ne s’activaient pas avec d’autres goûts. A peine le goût détecté par les papilles gustatives, il faut seulement quelques secondes pour que le message soit envoyé au tronc cérébral.

Alors qu’en comparaison, il faut plusieurs dizaines minutes aux neurones GCG pour répondre aux signaux envoyés depuis l’estomac et les intestins.

La sensation de faim persiste donc alors que nous sommes déjà en train de manger.

« Cela montre que l’appétit repose sur différents facteurs, et pas seulement sur le fait que notre estomac soit rempli », souligne le Dr Knight. Le goût d’un aliment peut donc à la fois nous ordonner d’avoir envie de manger plus et signaler au cerveau qu’il est temps de s’arrêter de manger. Deux ordres opposés, ce qui peut sembler contre-intuitif.

Tout dépend, en fait, de la vitesse à laquelle nous mangeons. Comme on le dit souvent, il faut prendre son temps lorsque l’on mange, afin de laisser le sentiment de satiété s’installer. Tandis que de nombreux travaux avaient décrit un axe intestin-cerveau, régulateur de notre appétit, on assiste, avec cette nouvelle étude, à la naissance d’un nouveau canal de signalisation : l’axe bouche-cerveau.

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