Dans un champ d’orangers à Nabeul, le silence est brisé par le vrombissement d’un drone. En Tunisie et ailleurs dans le Maghreb, les agriculteurs se tournent vers la high-tech pour lutter contre les effets du réchauffement climatique.
Tunisie, Maroc, Algérie et Libye figurent dans le top 33 mondial des pays confrontés à un stress hydrique qui s’aggrave d’année en année, selon l’institut américain World Resources Institute.
« Recourir aux technologies modernes dans l’agriculture est devenu inévitable » pour réduire les coûts et les pertes de cultures, explique à l’AFP Imen Hbiri, 35 ans, fondatrice de RoboCare, qui emploie une dizaine de personnes.
L’engin noir en forme de V effectue des zigzags au-dessus des plants d’agrumes — spécialité de la région de Nabeul (est) — en scannant les 15 hectares avec des caméras et des capteurs.
Les données collectées permettent à RoboCare d’analyser le niveau d’hydratation de telle ou telle parcelle, la qualité du sol et même l’état des cultures pour détecter des maladies.
Ensuite, l’agriculteur peut intervenir avec une pulvérisation de pesticides ou un arrosage ciblé sur les plantations en souffrance.
– Vert, bleu et rouge –
En quelques clics, Imen Hbiri accède aux indicateurs d’irrigation, de végétalisation de chaque zone, et à leur état de santé, selon une gamme de couleurs (rouge, vert, bleu) plus ou moins prononcées.
« L’agriculteur peut obtenir jusqu’à 30% d’économies en eau, augmenter ses rendements de 30% et réduire ses dépenses de 20% grâce à cette technologie », souligne la Pdg de RoboCare, elle-même fille d’agriculteurs.
La Tunisie traverse sa quatrième année consécutive de sécheresse, selon le ministère de l’Agriculture. Les barrages, principale source d’approvisionnement en eau potable et pour l’irrigation, sont remplis à seulement 22% de leur capacité et 20 réservoirs sont hors d’usage faute de pluie.
Yassine Gargouri a fait appel aux services de RoboCare dans le but de réduire ses coûts, alors qu’il consacre 80% de ses dépenses à l’achat d’engrais et fertilisants.
« Nous n’avons plus les saisons d’avant où on savait exactement ce qu’il fallait faire », explique M. Gargouri en notant qu’en mai les températures sont désormais élevées et qu’en août, il peut pleuvoir favorisant les maladies, quand autrefois le temps était sec et chaud.
« Il faut s’adapter à ces bouleversements, c’est vraiment le défi de demain », ajoute-t-il.
Les drones et la high-tech sont pour lui « une étape supplémentaire », après l’arrivée de l’irrigation goutte-à-goutte il y a une vingtaine d’années face à la raréfaction des pluies. Et les nouvelles technologies permettent d' »optimiser ce qu’on met sur les feuilles comme produits phytosanitaires et donc leur coût ».
Dans les pays voisins, la situation est similaire. Au Maroc, l’agriculture est un secteur clé, représentant 13% du PIB, 14% des exportations et 33% des emplois.
Mais seulement 3% des deux millions d’agriculteurs utilisent les technologies, selon Loubna El Mansouri, directrice du pôle numérique au ministère de l’Agriculture, dans un pays qui a pourtant subi en 2022 sa pire sécheresse depuis 40 ans.
– « Une grande économie d’eau » –
« Avec un drone d’irrigation, on consomme moins de 20 litres d’eau pour irriguer un hectare contre près de 300 litres » avec les techniques conventionnelles, détaille Mme El Mansouri. « Donc, il y a une grande économie d’eau ».
Mû par des objectifs similaires, le ministère de l’Agriculture en Algérie entend développer l’utilisation des drones et des images satellitaires.
Les autorités préparent, selon des déclarations officielles, « une carte nationale des sites et des capacités de production » afin d' »optimiser l’utilisation des terres agricoles ».
La généralisation des nouvelles technologies dans l’agriculture en Afrique du nord nécessite toutefois d’adapter le cadre juridique de ces pays et de sensibiliser les agriculteurs tout comme les administrations.
En Tunisie, Mme Hbiri espère que les autorités vont faciliter leur usage alors que « seulement 10% des agriculteurs y ont recours actuellement ».
Il faudrait, selon elle, que « le côté administratif soit plus fluide », notamment pour l’octroi d’autorisations de survol par des drones qui prend souvent des mois.
En Tunisie, tout comme en Algérie et au Maroc, l’utilisation des drones est très surveillée et interdite sur certaines portions de territoire pour des raisons de sécurité.
« Nous voulons nous concentrer sur la technologie plutôt qu’investir du temps et des efforts en allées et venues dans les bureaux et les banques, ce qui freine notre développement », souligne Mme Hbiri.
sciencesetavenir