La Russie multiplie les offensives tout au long de la ligne de front et semble sur le point de percer à plusieurs endroits. Si les difficultés ukrainiennes sont réelles en ce début d’hiver, l’armée russe ne dispose elle aussi que de moyens limités.
À Avdiïvka, les Russes avancent. Idem dans la région de Zaporijjia. L’Ukraine y avait pourtant concentré ses efforts pour mener sa contre-offensive. Et de l’autre côté du Dniepr, les perspectives des soldats ukrainiens ayant réussi à franchir le fleuve « semblent minces », a assuré CNN, dimanche 17 décembre.
La chaîne américaine n’est pas la seule à peindre un tableau noir pour l’Ukraine. « Nous avons un important manque de munitions et nous avons été obligés de passer à la défensive dans certaines régions », a reconnu le brigadier-général ukrainien Oleksandr Tarnavsky, interrogé par l’agence de presse Reuters lundi 18 décembre.
La force du nombre
Parmi les plus hauts gradés de l’armée ukrainienne, l’humeur n’est pas à la fête. Tout début novembre déjà, Valeri Zaloujny, le chef d’état-major, avait assuré dans un entretien à The Economist que la guerre contre la Russie était « dans une impasse ».
Une déclaration qui avait été contestée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a cependant reconnu par la suite que le succès des opérations militaires dépendait aussi beaucoup du soutien logistique occidental. Un soutien en perte de vitesse, que ce soit à Washington ou à Bruxelles, souligne le New York Times.
Sur le terrain, « c’est actuellement très difficile car la Russie envoie une vague de soldats après l’autre pour submerger les forces ukrainiennes », résume Glen Grant, analyste sénior à la Baltic Security Foundation et spécialiste des questions militaires russes.
Conséquence : « Les Ukrainiens ont beaucoup de mal à tenir Avdiïvka, une ville importante car elle se trouve à la périphérie de Donetsk. Ils vont probablement perdre Mariïnka, qui se trouve un peu plus au sud.
Ils subissent une offensive importante dans les alentours de la ville de Robotyne, qui constitue l’une des principales zones reprises par les Ukrainiens dans la région de Zaporijjia depuis le début de la contre-offensive », détaille Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow, en Écosse.
Et c’est sans compter les combats violents qui continuent pour le contrôle de Bakhmout et les offensives russes lancées encore plus au nord de la ligne de front, vers Koupiansk, dans la région de Louhansk.
Certes, il faut « faire attention à la désinformation russe qui cherche à noircir encore plus le tableau pour l’Ukraine », avertit Glen Grant. En effet, les propagandistes pro-Kremlin multiplient actuellement les messages triomphalistes sur Telegram, et créent même des faux comptes de soldats ukrainiens qui se « plaignent » des difficultés à se battre contre un ennemi présenté comme bien plus fort.
Même les dires des autorités ukrainiennes doivent être pris avec précaution.
Celles-ci peuvent être tentées de forcer le trait « afin de convaincre l’Occident de l’importance de continuer à leur apporter un soutien logistique », souligne Sim Tack, un analyste militaire pour Force Analysis, une société de surveillance des conflits.
Au-delà des exagérations des uns et des autres, « la dynamique générale des combats se trouve assurément du côté des Russes en ce moment », assure Huseyn Aliyev.
En attendant l’Occident
Mais à quel point ? La bataille pour Avdiïvka illustre bien les différences d’interprétation. Pour les uns, l’avancée russe représente un sérieux revers pour Kiev. « C’était un avant-poste précieux pour l’artillerie ukrainienne afin de bombarder Donetsk et mettre les défenses russes sous pression constante », explique Huseyn Aliyev. Si les forces ukrainiennes sont obligées de se retirer, cela va libérer des troupes russes qui pourront être redéployées ailleurs sur le front.
Pour d’autres, le prix en hommes et matériels que les Russes paient pour percer à Avdiïvka est très – voire trop – élevé.
« Selon les estimations américaines, la Russie a déjà perdu l’équivalent d’une division entière, c’est-à-dire environ 10 000 hommes et leurs équipements », note Sim Tack. « Qu’est-ce qui est le plus important : reculer un peu ou infliger de très lourdes pertes à l’ennemi ? », s’interroge Glen Grant.
Si l’analyse sur l’ampleur des difficultés ukrainiennes peut varier, tous s’accordent sur les raisons.
Il y a tout d’abord « la question cruciale de l’envoi d’équipements et munitions à l’Ukraine par les pays occidentaux », souligne Sim Tack. La lenteur des Européens à boucler l’accord sur l’aide de 51 milliards d’euros à l’Ukraine malgré le veto de la Hongrie et le blocage politique aux États-Unis complique la tâche de l’état-major ukrainien.
Pour autant, celui-ci ne se retrouve pas démuni du jour au lendemain.
« Il y a toujours du matériel qui arrive, notamment en raison des engagements antérieurs, mais l’avenir est beaucoup plus incertain », explique Sim Tack. Les chefs militaires ukrainiens se retrouvent à devoir faire des choix sans vraiment savoir de quoi demain sera fait, ce qui les pousse à rationner les munitions.
Alors qu’en face, il n’en est rien. « La Russie réussit actuellement à soutenir très convenablement son effort de guerre », constate Huseyn Aliyev. D’un côté, elle a été capable d’augmenter sa production de munitions d’artillerie, et de l’autre « elle a pu acheter des drones et des munitions en grande quantité à des pays comme l’Iran ou la Corée du Nord », résume cet expert.
Faire plaisir au « tsar Poutine » avant l’élection présidentielle
Il n’y a pas que les munitions qui manquent à Kiev. « L’Ukraine a aussi un sérieux manque d’effectifs. L’armée a de plus en plus de mal à faire tourner ses troupes afin de leur permettre de se reposer », souligne Sim Tack. Ce problème de réserves est en partie dû à « un projet de loi prévoyant de faciliter la mobilisation des jeunes, qui a du mal à passer le cap du Parlement actuellement », souligne Glen Grant.
Une autre raison de la multiplication des offensives russes tient… à l’élection présidentielle censée permettre à Vladimir Poutine de décrocher un nouveau mandat en mars prochain. « Tous les petits généraux veulent actuellement faire plaisir au tsar en lui apportant des raisons de vanter les ‘succès’ de sa guerre pendant la campagne électorale », affirme Glen Grant.
Pour les experts interrogés par France 24, l’armée russe pourrait ainsi réussir une percée sur le front.
Mais à quoi bon ? « Elle n’a pas suffisamment de véhicules blindés et de troupes expérimentées pour pousser son avantage très loin », veut croire Glen Grant. Une conviction partagée par Huseyn Aliyev : « Moscou a des ressources trop limitées pour soutenir une offensive prolongée au-delà d’un mois ou deux ».
L’avantage russe ressemblerait ainsi au cuirassé Potemkine : impressionnant, mais seulement en surface. Surtout si les vannes de l’aide occidentale s’ouvrent à nouveau en grand pour Kiev.
france24