Alexeï Navalny, le principal opposant politique de Vladimir Poutine, qui purge une peine de 19 ans de prison, a été repéré lundi dans une colonie pénitentiaire située dans l’Arctique russe. Pour plusieurs experts, les centres de détention isolés et aux conditions strictes sont les héritiers directs du système du Goulag de l’époque soviétique.
Ses proches n’avaient pas reçu de signe de vie depuis trois semaines. Lundi 25 décembre, Alexeï Navalny, principal opposant politique de Vladimir Poutine, a pu donner des nouvelles de sa détention, par l’intermédiaire de son avocat, autorisé à lui rendre visite.
Et ces dernières ne sont pas forcément rassurantes pour le militant de 47 ans.
Le fondateur de la Fondation anticorruption (FBK), condamné en août dernier à 19 ans de prison pour « extrémisme », vient d’être transféré dans la colonie pénitentiaire IK-3 de Kharp, située dans la région d’Iamalo-Nénétsie, au-delà du cercle polaire arctique, et à près de 1 900 kilomètres au nord-est de Moscou.
L’opposant avait disparu début décembre de la colonie pénitentiaire de la région de Vladimir, inquiétant jusqu’au secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui s’était fendu d’un message sur X avant Noël.
1/9 I am your new Santa Claus.
Well, I now have a sheepskin coat, an ushanka hat (a fur hat with ear-covering flaps), and soon I will get valenki (a traditional Russian winter footwear). I have grown a beard for the 20 days of my transportation.
— Alexey Navalny (@navalny) December 26, 2023
Dans une série de messages au ton humoristique publiés sur X, Alexeï Navalny s’est exprimé sur ses nouvelles conditions de détention, grâce à des informations transmises à ses avocats : « J’ai maintenant un manteau en peau de mouton, un chapeau ouchanka (un chapeau de fourrure avec des rabats qui couvrent les oreilles) et bientôt j’aurai des valenki (des chaussures d’hiver traditionnelles russes). Je me suis laissé pousser la barbe pendant les 20 jours de mon transport […]. Les 20 jours de transport ont été assez épuisants, mais je suis toujours de bonne humeur, comme il sied à un père Noël. »
« Rompre les liens entre les détenus et leurs proches »
Derrière ces tweets ironiques se cache cependant une réalité beaucoup plus dure. À Kharp, où il se trouve, Alexeï Navalny va devoir affronter des températures pouvant atteindre -40 °C l’hiver, son accès aux courriers électroniques et ses droits de visite seront fortement limités. « Même si Navalny reste toujours dans la provocation, qu’il fait toujours preuve d’humour, il a des problèmes de santé, et fait face à l’isolement, voire à de la torture qui existe dans certaines prisons russes », rappelle Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice de France à Moscou entre 2017 et 2019. « Les conditions météo sont très dures, beaucoup plus dures que dans les colonies précédentes, abonde Marc Élie, historien du Goulag au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (Cercec). Il y a peu de lumière pendant six mois de l’année, et l’été vous êtes attaqué par les moustiques et les moucherons. »
La colonie pénitentiaire de Kharp est l’un des 700 camps de travail actuellement en activité en Russie, où près de 266 000 détenus sont enfermés. Un chiffre historiquement bas, lié à l’envoi de condamnés au front, en Ukraine. Avant le début de la guerre en 2022, on comptait près de 420 000 prisonniers dans le pays.
« En Russie, vous avez quatre types d’enfermement, détaille l’historien Marc Élie : la colonie de type ouvert, dans laquelle les détenus sont très libres ; le régime général, où la majorité des détenus sont enfermés dans des baraquements ; le régime sévère, avec des restrictions plus fortes, notamment sur les droits de visite ; et le régime exceptionnel, dans lequel se trouve Navalny. Ce dernier régime est réservé aux prisonniers les plus dangereux, ceux condamnés à la perpétuité ou ceux dont la peine de mort a été commuée en prison à vie. »
Pour de nombreux observateurs, ces colonies pénitentiaires s’inscrivent dans l’héritage du Goulag, le système concentrationnaire qui a permis la déportation de plus de 20 millions de personnes sous l’ère soviétique.
Si le Goulag a officiellement disparu après la mort de Staline en 1953, certaines de ses caractéristiques perdurent dans le système pénitentiaire actuel. Fondée au début des années 1960 et pouvant accueillir environ un millier de détenus, la colonie pénitentiaire de Kharp est d’ailleurs construite sur l’ancien 501e Goulag.
« Le monde carcéral garde un certain nombre de traits qui remontent à l’époque stalinienne, notamment l’idée du climat comme outil de répression, constate Emilia Koustova, maîtresse de conférences à l’université de Strasbourg et spécialiste du monde russe.
Ce sont aussi des lieux très isolés. Pendant trois semaines, on ne savait plus où Navalny se trouvait. Il y a un usage de l’arbitraire qui perdure depuis l’époque stalinienne avec une volonté de rompre les liens entre les détenus et leurs proches. Cette rupture de liens devient un moyen de répression et de terreur, ou de chantage. »
Avant son transfert à IK-3, Alexeï Navalny a d’ailleurs été confronté à de multiples périodes d’isolement carcéral. « Au total, il y aura passé 236 jours », constatait en octobre dernier sa porte-parole, Kira Iarmych.
« Il y a une volonté de l’ignorer et de s’acharner contre lui »
Considéré par Vladimir Poutine comme son principal ennemi, Alexeï Navalny continue de payer le prix de son acharnement contre la corruption et pour la dénonciation du régime despotique du Kremlin. Le 20 août 2020, l’avocat et militant avait subi une tentative d’empoisonnement au Novitchok qui avait nécessité une hospitalisation en urgence et une longue rééducation en Allemagne.
Lors d’une conférence de presse, le maître du Kremlin avait nié être derrière l’opération : « Si on l’avait voulu, l’affaire aurait été menée à son terme », avait-il déclaré.
Pour Emilia Koustova, également membre du conseil d’administration de l’ONG Mémorial France, « Poutine a clairement une attitude très particulière à l’égard de Navalny, il ne prononce jamais son nom, il y a une volonté de l’ignorer et de s’acharner contre lui. Son transfert dans une colonie qui se caractérise par un régime particulièrement sévère va dans ce sens-là. »
Le transfert d’Alexeï Navalny intervient également à trois mois de la prochaine élection présidentielle russe à laquelle Vladimir Poutine s’est déclaré candidat.
« Sur ce sujet, Alexeï Navalny ne pourra plus faire passer de messages » politiques, affirme Emilia Koustova. La réélection de Vladimir Poutine – débarrassé de son principal détracteur – pour un mandat de six ans, autorisée par le référendum constitutionnel de 2020, apparaît comme une simple formalité, en l’absence d’une opposition solide.
Les derniers adversaires qui ont tenté de bousculer l’homme fort du Kremlin ont été tués ou emprisonnés, à l’instar d’Andreï Pivovarov, ex-directeur du mouvement Russie ouverte, ou d’Ilia Iachine, 38 ans, figure de l’opposition. Selon le décompte de l’ONG de défense des droits humains Mémorial France, dont l’organe central a été dissout par la Cour suprême russe en septembre 2021, il y aurait actuellement plus de 500 prisonniers politiques en Russie.
Samedi dernier, c’est la candidature de la journaliste Ekaterina Dountsova qui a été écartée par la Commission électorale russe pour des « erreurs dans des documents ».
« En réalité, il n’y a aucune opposition crédible, sans compter que beaucoup de gens de sa génération sont très favorables à la réélection de Vladimir Poutine. Il a toutes les chances d’être réélu avec un taux assez élevé », confirme l’ancienne ambassadrice Sylvie Bermann. L’élection présidentielle russe se tiendra le 17 mars 2024.
france24