La cinéaste Zoljargal Purevdash: «En Mongolie, les femmes sont plus éduquées que les hommes»

Elle proclame l’« empowerment » des jeunes hommes pour améliorer la situation (aussi des femmes) en Mongolie et affiche sa « confiance dans le pouvoir du cinéma ». Ce mercredi 10 janvier sort dans les salles en France Si seulement je pouvais hiberner, de Zoljargal Purevdash. Avec ce premier film, elle est entrée dans l’histoire du cinéma en tant que première réalisatrice mongole en sélection officielle du Festival de Cannes. Entretien.

RFI Si seulement je pouvais hiberner se déroule en hiver. C’est un film sur la jeunesse et aussi sur l’avenir. Pour vous, cet hiver très froid posant la question de survie, est-ce une métaphore de l’avenir de la jeune génération ?

Zoljargal Purevdash : Oui, c’est vrai. À travers ce film, je demande une bonne éducation pour tous les enfants, en particulier pour ceux qui vivent dans une situation vulnérable. Parce que l’éducation est la meilleure solution pour lutter contre la pauvreté. Et la pauvreté est à l’origine de tous les problèmes : la pollution de l’air, le chômage, la maltraitance des enfants, l’alcoolisme…

Ce sont tous des symptômes de la pauvreté.

Je dis cela parce que j’ai eu la chance d’aller dans une très bonne école quand j’étais adolescent. J’ai grandi dans le quartier des yourtes, cette zone des défavorisés que vous voyez dans le film. Je voulais vraiment sortir de là. J’avais tellement peur de rester pour toujours dans ce bain de pauvreté. J’ai donc demandé à ma mère de me laisser aller dans le meilleur lycée. Et j’y suis allée et j’ai obtenu une bourse pour étudier le cinéma au Japon. Puis je suis revenue en Mongolie et je suis devenue quelqu’un qui pouvait tout s’offrir par lui-même. Dans ma propre vie, j’ai ressenti la magie d’une bonne éducation.

Vous parlez d’un cycle de pauvreté

En regardant mes amis et mes voisins dans le quartier, je vois qu’ils n’ont pas eu cette chance d’accéder à une bonne éducation. Ils sont toujours dans ce cycle de pauvreté. Cela me brise le cœur. Je ne veux pas que leurs enfants restent dans ce cycle de pauvreté. À travers ce film, je demande de bonnes écoles et des enseignants passionnés qui pourraient aider les enfants à devenir des personnes capables de prendre soin d’elles-mêmes.

 

« Si seulement je pouvais hiberner », de la cinéaste mongole Zoljargal Purevdash.
« Si seulement je pouvais hiberner », de la cinéaste mongole Zoljargal Purevdash. 

 

Le film commence par un son guttural très profond et sombre. Plus tard, on entend une sorte de musique techno rap mongole. Comment décririez-vous le son de votre film ?

Vous savez, la moitié des Mongols vivent dans une seule ville, la capitale Oulan-Bator, alors que nous avons ces vastes steppes, toutes ces terres… Mais au cours des vingt dernières années, à cause de la numérisation et du réchauffement climatique, être nomade n’est plus aussi sexy. Les nomades migrent donc vers la ville et les villes s’étendent.

Les nomades étaient si riches à la campagne, mais lorsqu’ils arrivent en ville, ils ne sont pas éduqués.

Ils ne peuvent pas obtenir les meilleurs emplois et tombent dans la pauvreté. Ma ville est devenue une sorte de ville de nomades migrateurs. Leur musique, ce chant guttural, vient de tous les sons de la nature. La musique des nomades, c’est lorsque le corps lui-même devient l’instrument de musique et produit du son. Dans les villes, les nomades conservent leur propre musique, à laquelle s’ajoutent le hip hop et le rap. Je voulais mélanger tout cela dans le film. J’ai demandé à mon compositeur de conserver la musique des nomades et de la mélanger en même temps avec la modernité.

Le film traite également de la relation très difficile entre la mère, devenue alcoolique après la mort de son mari, ancien nomade, et son fils. Ce dernier, Ulzii, veut sortir de la pauvreté par l’éducation. C’est depuis longtemps un des très rares films où c’est un jeune homme, et non une fille ou une jeune femme, qui incarne l’émancipation. Après #MeToo et la vague du mouvement féministe, pourquoi avez-vous choisi un jeune garçon qui aspire à gagner un concours en sciences physiques comme symbole de l’émancipation ?

En Mongolie, les femmes sont plus éduquées que les hommes. Cela peut paraître bizarre, mais après la chute de l’Union soviétique, la plupart des familles ont laissé les filles s’instruire parce qu’elles pensaient que les garçons trouveraient de toute façon un moyen de manger. C’est un peu l’état d’esprit des Mongols. Aujourd’hui, notre société compte beaucoup de femmes instruites et beaucoup d’hommes moins instruits ou non instruits.

En tant que femme, je constate que toutes les souffrances des femmes sont causées par des hommes sans éducation.

Dans mon pays, nous avons besoin de plus d’« empowerment », d’une plus grande responsabilisation des hommes. C’est pourquoi je ne veux plus que nos frères abandonnent l’éducation. Car il s’agit toujours de la question de l’égalité des sexes que je soutiens. Et aujourd’hui, nous avons besoin de plus d’« empowerment », d’une plus grande autonomie des garçons. C’est pourquoi je veux que davantage de garçons soient encouragés.

Je veux que plus de garçons se battent pour l’éducation dans mon pays.

« Si seulement je pouvais hiberner », de la cinéaste mongole Zoljargal Purevdash.
« Si seulement je pouvais hiberner », de la cinéaste mongole Zoljargal Purevdash. 

 

 

Votre film traite de la pauvreté, de la maltraitance des enfants, de l’alcoolisme, de l’éducation et de bien d’autres choses encore. Pensez-vous que le cinéma peut changer la situation en Mongolie ?

Oui, j’ai vraiment confiance dans le pouvoir du cinéma. C’est pourquoi je voulais faire du cinéma depuis longtemps et j’ai consacré sept ans de ma vie à la réalisation de ce film. Parce que j’avais confiance dans le fait que ce film pouvait changer quelque chose.

Un film peut devenir un pont entre deux mentalités différentes.

Ce film peut aider les gens à comprendre la douleur et la gloire, la joie et la lutte de l’autre. C’est vraiment utile. Nous avons les mêmes problèmes, comme la pollution de l’air, mais nous ne pouvons pas nous contenter de nous blâmer ou de nous haïr les uns les autres. Cela n’aboutira pas à une solution. Alors, qu’est-ce qui pourrait permettre à chacun de comprendre l’autre ?

Qu’est-ce qui peut nous aider à nous comprendre ?

L’art ! Le cinéma ! Par exemple, chaque hiver, les gens militaient beaucoup contre la pollution de l’air à Oulan-Bator, une pollution atmosphérique causée par la combustion de charbon dans les foyers pauvres. J’ai été très attristée de voir qu’une telle quantité d’énergie était gaspillée dans le seul but de résoudre un symptôme de pauvreté. Je veux que les gens comprennent : « Hello, mes frères et sœurs, ce que vous respirez n’est pas de la fumée, c’est la pauvreté de nos frères et sœurs ! »

Je veux vivre en Mongolie et je veux respirer de l’air pur. Je veux que mes enfants respirent de l’air pur à Oulan-Bator. J’ai donc fait confiance à ce projet, je ne pouvais vraiment pas l’abandonner. Je suis si heureuse de l’avoir terminé et qu’il soit maintenant diffusé dans le monde entier.

La Mongolie est située entre la Russie et la Chine. Combien y a-t-il de cinémas dans votre pays ? Les spectateurs, regardent-ils plutôt des films russes, chinois, hollywoodiens, bollywoodiens ?

Comme dans tous les pays, nous regardons beaucoup de films hollywoodiens au cinéma. Nous avons plus de 40 écrans à Oulan-Bator et plusieurs autres dans d’autres villes. Les Mongols adorent regarder des films, et nous produisons chaque année entre 40 et 60 films pour l’industrie locale.

« Si seulement je pouvais hiberner », de la cinéaste mongole Zoljargal Purevdash.

RFI

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