Virginie Efira est la vedette de « Benedetta », le nouveau film de Paul Verhoeven présenté ce vendredi soir en compétition à Cannes. La comédienne, qui incarne une nonne lesbienne dans l’Italie ultra-conservatrice du XVIIe siècle, nous a accordé un entretien sans tabou.
Virginie Efira : Vous savez j’ai l’impression que cette interview est un peu fausse. Je vous préviens, il ne va pas sortir le film, hein ? (Rires). Je m’étais presque habituée à l’idée d’un film dont le tournage avait été tout à fait extraordinaire et qui ne sortirait jamais. Qu’on retrouverait un jour (elle mime l’ouverture d’un coffre) en se disant « mais qu’est-ce que c’est que ça ?« . Après je me disais toujours « je l’ai fait ce film« . Pour un acteur, le moment le plus passionnant est celui du tournage. D’autant plus que lorsqu’on voit le résultat, on ne peut jamais avoir une perception de spectateur. Là, la mise en scène de Verhoeven est tellement extraordinaire que j’espère juste ne pas l’avoir gâchée. Après pour ce qui est de la réception du film, je n’ai pas de prise là-dessus. C’est excitant mais il faut juste accepter ce qui arrive. Ce qui est déjà magique, c’est d’être là, de revoir Paul avec qui on s’est échangé plein de messages pendant les élections américaines. Je me rappelle que durant le tournage il était obsédé par Trump !
Ça c’est de son côté, parce que lorsque j’ai joué dans Elle, j’avais 8 jours de tournage. C’était un petit personnage. J’avais fait les essais pour le film parce que je voulais rencontrer Paul Verhoeven dont j’étais dingue. Et puis j’ai été prise, c’était super de le voir travailler avec Isabelle Huppert. Mais je n’ai pas remarqué qu’il s’était crée un lien spécial entre nous et qu’il allait penser à moi pour un film après. Ça a été une surprise totale de recevoir cette proposition.
D’autant plus qu’il vous voulait vous et personne d’autre…
Je l’ai appris en lisant une interview où il disait que pendant Elle, il s’était dit que ce serait bien de faire un film avec moi. Je me suis dit « Ah bon ?« . Et puis peu de temps après le tournage, j’avais un rendez-vous dans un hôtel, il était là aussi et je me suis dit que j’allais aller le saluer. Je fais : « Paul, bonjour, c’est Virginie« . Et là il me regarde avec l’air de ne pas me reconnaître. Alors que je lui explique que je suis Virginie, que j’ai joué dans son film et là il fait : « Ah oui, Virginie !« . Ce qui me fait penser que je ne l’ai pas du tout marqué. Plus tard, je reçois un livre d’entretiens dans lequel il y a tout un chapitre sur Elle et il y a un passage où il explique qu’il m’a rencontré dans un hôtel et qu’il ne m’a pas reconnu parce que dans son film, j’étais habillée de manière très élégante ! (Rires). Bref tout ça ne l’a pas empêché de me proposer un rôle. Et un rôle comme ça, on n’en croise pas tous les jours…
VIDEO LCI PLAY – Avec « Benedetta », Paul Verhoeven n’a pas peur de choquer
Oui parce que c’est un film à part, tout simplement. Parce que c’est un film de Paul Verhoeven et qu’on y retrouve tous les éléments de son cinéma. Parce que c’est un film qui ne ressemble à aucun autre, en soi. Verhoeven, c’est un génie – je le pensais avant de travailler avec lui – et un génie qui n’en a plus rien à faire. Il est donc extrêmement libre dans ce qu’il veut raconter. Quand j’ai lu le scénario, j’ai trouvé que c’était un chef d’œuvre parce qu’il pouvait être lu à des niveaux de lecture tellement différents. Il est très politique, mais avec toujours quelque chose du divertissement, une hauteur de vue et une générosité, une inventivité. Je pense que les gens pourront être étonnés que le film soit drôle. Le sujet, la période ne s’y prêtent pas forcément sur le papier. Sauf que Paul a été toujours eu un goût du baroque. Il y a presque du second degré par moments. C’est très riche.
Malgré l’humour noir, ce côté baroque dont vous parlez, est-ce qu’on joue ce genre de film au premier degré ?
Complètement au premier degré ! On sait dans quel film on est. Mais soi-même on le joue totalement premier degré. Avec la croyance – qui est un mot qui va bien avec le film – dans tout ce qui se passe. Quand elle voit Jésus et qu’elle lui dit « Attends-moi !« , c’est sans cynisme, ni second degré. Alors bien sûr on peut dire qu’elle instrumentalise sa foi, consciemment ou inconsciemment pour asseoir un pouvoir, alors qu’elle accuse les autres de le faire. Il y a une scène où Benedetta explique à une sœur que « non, Jésus ne m’a pas parlé de vous« . Un peu comme si je disais « non, Bertrand ne t’invite pas ce soir« . Moi je le joue vraiment comme si effectivement elle avait vu Jésus et qu’il ne m’avait pas parlé d’elle. C’est con, hein ! (Sourire). Après on sait qu’on est dans un film de Verhoeven et quand on regarde l’image on se dit : « est-ce que j’y crois, est-ce que je n’y crois pas ?« . Et ça ne passe pas que par la psychologie. Verhoeven travaille beaucoup sur le corps et il vous demande d’être plus tonique à un endroit, plus rapide à un autre…
Peut-être que ça m’amusera lorsque je serai une très vieille grand-mère. (Elle imite la voix d’une dame âgée) « Alors, ces scènes de sexe ?« . Mais moi tout me va. Avec ce film il y a tellement de choses à dire, à tous les endroits, qu’on peut parler de tout ce qu’on veut.
Paul Verhoeven dit que tout était dans le story-board et qu’il n’y a pas eu de grandes discussions autour de ces scènes.
Ah si quand même. C’est vrai qu’il y avait le story-board et que parfois on n’allait pas plus loin. Mais en inventant aussi des choses avec tout ce qui se passait autour. Le cinéma de Verhoeven est conçu de manière à laisser l’air rentrer. Par rapport aux scènes de sexe, il y avait des dessins, on connaissait évidemment le trajet. Avec Verhoeven, on n’est jamais mal à l’aise. Il ne va pas dire : « Allez-y, faites un peu ce que vous voulez« . Pas du tout ! C’est comme une chorégraphie, avec oui de l’érotisme, mais quelque chose aussi d’un peu métaphorique, il y a aussi de la légèreté à plein d’endroits. J’avais une partenaire, Daphne Patakia, avec qui je m’entendais très bien, que je n’avais pas peur de brusquer parfois, et elle aussi je crois. Je me rappelle d’un technicien qui après nous avoir vu filmer une scène d’amour pendant deux jours, nous a dit : « C’est fou que vous soyez parties en disant merci à Paul !« .
Vraiment ?
Mais c’est normal parce que ce n’est pas une représentation naturaliste, mais au contraire un peu exagérée. Pardonnez-moi cet aveu mais jouer une vierge à 40 ans, c’était très amusant ! Jouer la découverte, et l’espèce de pouvoir, ce monde nouveau qui s’ouvre à elle… c’est assez rigolo, même si là encore je le joue au premier degré. Après je ne dis pas que tout se fait avec aisance et que la pudeur, une fois qu’elle est partie, elle ne revient plus. Non. On a ses complexes à soi, on s’interroge, on se demande si ça ne va pas être trop. Tout à coup on croit qu’on n’a plus de pudeur et puis on manque de s’évanouir. Parfois on s’amuse. Quand on doit jouer l’orgasme, et qu’il vous demande « est-ce que tu peux aller plus loin, plus crier ?« , on se dit « mais c’est un accouchement de sextuplés, là !« . Le truc, c’est qu’il y a une confiance qui s’installe. Et puis c’est quelqu’un qui sait filmer ces choses-là. Dans Basic Instinct la scène de sexe dure très longtemps. Pas parce que c’est intéressant de voir deux corps qui s’emboitent. Mais c’est parce qu’on se demande à quel moment elle va sortir le pic à glace ! (Rires).
Ah non, je pense qu’on peut faire avec ses pudeurs. La question, c’est de savoir comment on les utilise, presque. Évidemment il y a l’acceptation du regard. C’est comme si on donnait à voir des choses de son inconscient, mais ce n’est pas vraiment soi. Les pudeurs ne sont pas mises au même endroit quand on joue ou quand on ne joue pas, d’ailleurs.
L’autre grand sujet du film avec le sexe, c’est la religion. Verhoeven lui se revendique clairement athée. Vous, où vous situez-vous ?
Moi j’ai clairement eu une éducation athée. Mais il y a quelque chose dans la foi qui me plaît terriblement, c’est l’idée qu’il existe quelque chose de plus grand que nous. Ce qui peut être vu presque à un niveau philosophique. Vous savez moi je suis du genre à parler de Spinoza sans l’avoir jamais lu. Cette idée qu’il y a quelque chose d’autre que la chaise et moi en train de vous parler. J’aime cette idée de la croyance en un truc au-dessus de nous et qu’on peut appeler Dieu, oui. Après je ne suis pas baptisée, je n’ai pas fait de catéchisme. J’ai des parents d’origine juive mais je n’ai pas d’éducation religieuse.
Benedetta est un film qui risque de choquer certains catholiques. Si vous croisez par exemple Christine Boutin et qu’elle vous dit « comment avez-vous osé ? », vous lui répondez quoi ?
Êtes-vous une pécheresse, Virginie Efira ?
Que celui qui n’a jamais pêché me jette la première pierre ! Je trouve que tout personne qui ne ferait que l’apologie d’elle-même en disant « je suis quelqu’un de bon » est un peu douteuse. Je crois que j’aurais plus confiance en quelqu’un qui dirait « oui, j’ai pêché« . Parce que je me dirais que il ou elle a des chances de changer.
Source: lci