Haro sur le Qatar ! Depuis quelques jours, le gouvernement israélien concentre ses attaques verbales sur l’émirat gazier, un ministre influent accusant même Doha d’être « responsable » des attaques du 7 octobre menées par le Hamas palestinien sur le sol de l’État hébreu. Et ce, alors que les Qataris jouent les médiateurs pour arracher une trêve. Décryptage.
Le Qatar « est le parrain du Hamas et est largement responsable des massacres commis par le Hamas sur les citoyens israéliens ». Connu pour ses déclarations fracassantes et incendiaires, le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich a jeté de l’huile sur le feu, mercredi 24 janvier sur son compte X, sur une polémique naissante entre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et l’émirat gazier.
La figure de la droite nationaliste religieuse a lancé son attaque en répondant directement à un post du porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères qui jugeait « irresponsables » des critiques acerbes prononcées par le Premier ministre israélien contre Doha.
Mercredi, la chaîne israélienne 12 a en effet rendu public un document sonore enregistré lors d’une réunion à huis clos entre Benjamin Netanyahu et des familles d’otages retenus depuis le 7 octobre à Gaza, dans lequel le Premier ministre juge « problématique » le rôle joué par les Qataris.
« Je n’ai aucune illusion à leur égard », a-t-il confié. Ils « ont des moyens de faire pression [sur le Hamas, NDLR]. Et pourquoi ? Parce qu’ils les financent. »
Soulignant qu’il ne remerciait jamais publiquement le Qatar pour le rôle qu’il joue dans les négociations, dont celles qui ont abouti fin novembre à la libération de 105 otages, Benjamin Netanyahu s’en est également pris à la décision de Washington de renouveler un accord sur le maintien d’une présence militaire américaine dans l’émirat.
« Je leur ai dit [aux Américains, NDLR] que pour s’assurer que le Qatar fasse pression sur le Hamas, il fallait commencer par exercer des pressions sur le Qatar [en ne renouvelant pas ce type d’accord] », a-t-il notamment déclaré.
Le petit émirat gazier, qui accueille sur son sol la direction politique du Hamas, dont son chef Ismaïl Haniyeh, depuis 2012, abrite, depuis 2002, le commandement avancé de l’armée américaine au Moyen-Orient (Centcom) sur la base militaire d’Al-Udeid, dans le désert, au sud-ouest de Doha.
Des « atouts » qui ont fait de lui un acteur diplomatique régional et un médiateur tout désigné dans la guerre entre Israël et le Hamas.
We are appalled by the alleged remarks attributed to the Israeli Prime Minister in various media reports about Qatar’s mediation role. These remarks if validated, are irresponsible and destructive to the efforts to save innocent lives, but are not surprising.
For months, and…— د. ماجد محمد الأنصاري Dr. Majed Al Ansari (@majedalansari) January 24, 2024
« Si ces déclarations sont vraies, elles sont irresponsables et elles nuisent aux efforts visant à sauver des vies innocentes, mais elles ne sont pas surprenantes », a donc répliqué le porte-parole de la diplomatie qatarie sur X. Majed al-Ansari a ajouté que les déclarations de Benjamin Netanyahu « ne font que saper les négociations et servir ses intérêts politiques, au lieu de donner la priorité à sauver des vies innocentes, incluant les otages israéliens ».
« Des agendas qui s’entrechoquent »
Cette polémique intervient dans un contexte de combats acharnés et de bombardements intensifs à Khan Younès, épicentre de la guerre dans le sud de Gaza, et d’efforts soutenus de médiation impliquant le Qatar, l’Égypte et les États-Unis.
Selon des informations révélées jeudi par le Washington Post, le président américain Joe Biden a demandé au directeur de la CIA William Burns de se rendre dans les prochains jours en Europe pour rencontrer les chefs des services de renseignement israélien et égyptien, David Barnea et Abbas Kamel, et le Premier ministre du Qatar, Mohammed ben Abdulrahman al-Thani.
Ils devraient discuter d’un « accord majeur » qui impliquerait la libération de tous les otages encore détenus à Gaza et d’une longue trêve entre Israël et le Hamas, en guerre depuis les attaques du mouvement islamiste palestinien sur le sol israélien le 7 octobre.
« On ne peut que constater que les agendas des uns et des autres s’entrechoquent en ce moment, entre un Benjamin Netanyahu qui apparaît comme voulant poursuivre la guerre coûte que coûte, un Hamas qui se dit prêt à accepter une trêve et des Qataris qui cherchent à décrocher un accord qui, tel un trophée, viendrait couronner leur diplomatie, observe Karim Sader, politologue et consultant spécialiste des pays du Golfe.
Le Premier ministre israélien, peut-être frustré par les résultats de son offensive à Gaza, en a assez de voir le Qatar jouer un double jeu, accueillant d’un côté les responsables du Hamas et de l’autre une importante présence militaire américaine. »
Et d’ajouter : « Netanyahu semble s’être engagé dans une fuite en avant qui lui sert politiquement à gagner du temps alors qu’il devra rendre des comptes à un moment ou à un autre, sur les attaques du 7 octobre, la faillite sécuritaire et la question des otages.
Or, du point de vue du Qatar, son jusqu’au-boutisme, ainsi que celui de ses alliés radicaux comme Bezalel Smotrich, compromettent les négociations et risquent de lui faire perdre la main sur un dossier sur lequel le monde entier a les yeux rivés et qui permet à Doha d’apparaître comme l’entremetteur idéal. »
Qui a fait fuiter l’enregistrement ?
Dans un premier temps, des sources au sein du gouvernement israélien ont laissé entendre dans les médias locaux que ce sont les familles des otages qui ont fait fuiter l’enregistrement dans lequel Benjamin Netanyahu s’en prend au Qatar.
En réaction, les familles en question ont publié un communiqué rejetant la responsabilité des fuites sur l’équipe de Benjamin Netanyahu.
« Toutes les conversations lors des entretiens avec le Premier ministre sont enregistrées par son bureau et ses collaborateurs présents à la réunion, et les téléphones des familles participant à la réunion ont été confisqués à l’entrée. »
« La décision concernant la fuite d’informations relatives à l’accord et à ses intermédiaires incombe au bureau du Premier ministre », est-il encore écrit dans le communiqué.
« Pointer du doigt aujourd’hui ce qu’il qualifie de ‘duplicité du Qatar’ montre qu’il s’agit d’une manœuvre politicienne bien réfléchie de Netanyahu consistant à décrédibiliser et à saper les efforts de médiation du Qatar, des États-Unis et de l’Égypte, estime Karim Sader.
Jusqu’ici, il semble que le double jeu du Qatar ne le dérangeait pas, alors que Doha était un médiateur bien utile, pour lui et pour les Occidentaux en général, pour échanger indirectement avec le Hamas, ou encore lorsque l’argent qatari a servi à payer les salaires des fonctionnaires de Gaza… avec le feu vert d’Israël. »
Le Qatar a octroyé à partir de 2018, et avec l’accord de Tel-Aviv, des centaines de millions de dollars d’aide à destination de la bande de Gaza, un territoire dirigé de facto par le Hamas et soumis à un blocus israélien depuis 2007. En 2021, cette aide à la population palestinienne s’élevait selon Doha à 331 millions d’euros.
Le Qatar, un coupable idéal en cas d’échec des négociations ?
« En coulisses, les deux pays ont été régulièrement en contact ces dernières années, souligne Karim Sader. Notamment au niveau des services de renseignements, bien que leurs relations diplomatiques sont, officiellement, en froid depuis 2009. »
Depuis les attaques du 7 octobre, la presse israélienne a fréquemment fait état de visites de hauts responsables du renseignement à Doha pour faire avancer les négociations sur le dossier des otages.
Bien avant les accords d’Abraham de 2020, qui ont permis de normaliser des rapports diplomatiques entre Israël et certains pays arabes comme les Émirats arabes unis, le Qatar a accueilli pendant plus d’une décennie un bureau de représentation commerciale d’Israël sur son sol.
Un bureau qui a ouvert en 1996, et dont Doha a fermé les portes en 2009… pour protester contre une offensive israélienne à Gaza.
En provoquant, sciemment ou non, une polémique avec le Qatar, le Premier ministre israélien, de nouveau sous la pression de la rue avec des manifestations réclamant son départ et de nouvelles élections, désigne à l’avance un coupable en cas d’échec éventuel des négociations.
« S’il refuse l’accord, parce que les conditions ne lui conviennent pas ou parce qu’il risque de briser l’élan militaire qui lui permet de rester au pouvoir, Benjamin Netanyahu pourra faire porter la responsabilité de l’échec des tractations au Hamas, et au Qatar et à son double jeu », conclut Karim Sader.
france24