Sénégal: Senghor pleure

Léopold Sedar Senghor, ancien président du Sénégal, académicien et poète pose le 11 mai 1989 dans son jardin à Verson. (FILM) AFP PHOTO MYCHELE DANIAU

Le pays de Léopold Sédar Senghor était jusqu’ici considéré comme le chantre de la démocratie en Afrique. Mais l’image lisse du Sénégal n’est plus d’actualité depuis que le président Macky Sall a annoncé, contre toute attente, le report de l’élection présidentielle, initialement prévue à la fin du mois, pour décembre 2024.

Certes, ce n’est pas un coup d’État, comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, notamment au Niger, au Mali ou au Gabon, mais c’est une dérive autoritaire qui a pris plusieurs de court.

Macky Sall passe de héros à zéro.

L’an dernier, en juillet dernier, quand il avait annoncé son intention de ne pas briguer de troisième mandat, il avait été largement salué, tant au Sénégal qu’au niveau international. Précisément parce que les dirigeants africains ne veulent pas quitter le pouvoir quitte à instaurer des états d’urgence ou à renvoyer les élections.

Le président Sall est fait, comme tous les humains, d’ombre et lumière.

Aujourd’hui le côté obscur du personnage se dévoile, au grand dam des Sénégalais. Dans une nouvelle biographie qui lui est consacrée, l’auteur, Yérim Seck, écrit d’emblée, au premier chapitre : «Chacun a ses calculs. Macky Sall aussi. Ses calculs à lui doivent consister à vouloir graver son nom en lettres d’or dans le marbre de l’histoire du Sénégal et de l’Afrique, à même transcender l’Histoire pour entrer dans la légende.»

Celui qu’on saluait à l’époque comme le «président qu’on n’a pas vu venir» est fils du gardien des locaux du service de l’agriculture de Fatick, une petite commune, et d’une vendeuse de cacahuètes.

Son accession était donc un événement majeur pour l’homme de la rue, une révolution sociologique, un progrès culturel, «un bel exemple de ce que peut produire l’élitisme républicain secrété par l’école», comme l’écrivaient les éditorialistes de la presse indépendante.

Selon Seck, «un extraordinaire alignement des planètes l’a propulsé au sommet», suite à l’humiliation que lui avait infligée son prédécesseur, Abdoulaye Wade, qui aspirait à une 3e candidature impopulaire et à une succession dynastique d’Abdoulaye à Karim Wade, à l’éclatement de la vraie opposition de l’époque…

Par rapport au bilan économique, on ne peut pas dire que Sall a chômé.

Depuis son accession au pouvoir en 2012, le Sénégal a connu des développements importants, en particulier sur le plan des infrastructures et de l’énergie, même si la création d’emplois n’a pas suivi.

En attendant qu’il libère la place, Macky Sall n’aura pas la vie facile.

La rue est remontée et l’opposition va tout faire pour augmenter la pression contre lui. La communauté internationale aussi sera désormais de la partie. Parce que le Sénégal incarnait jusqu’ici une démocratie salutaire dans cette région de l’Afrique où les armes à feu tendent à remplacer les urnes.

Les dirigeants qui tentent de repousser la fin de leur pouvoir absolu compromettent la constitution et déclenchent une instabilité et des conflits locaux et régionaux.

Mugabe a toujours soutenu que les limites de mandats ne sont pas compatibles avec les complexités africaines. Ce raisonnement à la Mugabe est en contradiction flagrante avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2002, qui appelle les États membres à «enraciner une culture politique de changement de pouvoir».

La Charte identifie également les «moyens illégaux d’accéder ou de se maintenir au pouvoir», y compris «tout refus de céder le pouvoir après des élections libres, justes et transparentes», et «tout amendement constitutionnel qui viole les principes de changements démocratiques de pouvoir».

De nombreux universitaires africains pensent qu’il existe un lien direct entre l’adhésion aux cadres constitutionnels/ démocratiques et la stabilité/le développement économique. Feu Mwangi Kimenyi, ancien directeur de l’Africa Growth Initiative à l’Institution Brookings (Washington, DC), déclarait à l’express, il y a quelques années, que prolonger les mandats «enracine les réseaux de corruption et l’inégalité. (…)

Les dirigeants de longue date se trompent eux-mêmes s’ils croient qu’ils font du bien à la subsistance de leurs citoyens».

Une douzaine de dirigeants africains ont tenté de contourner les réalités des limites de mandat. La moitié d’entre eux, y compris Paul Biya au Cameroun, Idriss Déby au Tchad et Ismail Guelleh à Djibouti, ont réussi à exploiter les failles institutionnelles. Avec des majorités parlementaires fortes et inébranlables, les dirigeants peuvent facilement modifier les dispositions constitutionnelles et manipuler les élections.

En 2005, Yoweri Museveni de l’Ouganda a proposé un «adoucisseur politique» : il a combiné la suppression des limites de mandat avec la promesse d’un retour à la démocratie multipartite. Ses opposants se trouvaient dans une position délicate, puisque s’opposer à la suppression des limites de mandat aurait également entraîné un refus de la réintroduction de la politique multipartite.

Au Burundi, nous avons assisté aux manoeuvres politiques du président Pierre Nkurunziza, mort peu avant la fin de son mandat.

Après environ 10 ans comme président, il était désireux de se maintenir au pouvoir et d’obtenir un troisième mandat consécutif de cinq ans, ce qui est contraire à la constitution de son pays. Le désir de Nkurunziza de rester au pouvoir avait mis le pays à genoux et au bord d’une autre guerre civile…

L’Express.mu

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