Les bombes non explosées, une menace à long terme pour la vie à Gaza

Engagée depuis des décennies pour protéger les civils des armes explosives, l’ONG Handicap International n’a de cesse de mettre en garde contre la contamination par les restes d’explosifs de guerre israéliens dans la bande de Gaza. Les conséquences sont très lourdes : pertes humaines, blessures complexes et invalidantes, traumatismes psychologiques, ou encore freins à l’acheminent de l’aide humanitaire et à la reconstruction…

Cela fait plus de cinq mois que l’armée israélienne pilonne la bande de Gaza en représailles à l’attaque du 7 octobre perpétrée sur le sol de l’État hébreu par le Hamas et ses alliés.

Alors que le gouvernement de Benjamin Netanyahu a juré d’annihiler le mouvement islamiste au pouvoir dans le territoire palestinien, les bombardements israéliens ont ravagé la bande de Gaza et fait plus de 30 000 morts selon les chiffres du ministère de la Santé du Hamas.

En plus des pilonnages intensifs quotidiens, et de la famine qui menace de se répandre dans la bande côtière déjà plongée dans une crise humanitaire majeure, un danger tout aussi mortel plane au-dessus de la population gazaouie, celui des munitions non explosées.

On entend par restes explosifs de guerre (REG) les munitions n’ayant pas explosé à l’impact lors d’un conflit, en raison d’un dysfonctionnement technique ou non, ou qui ont été abandonnées sur le champ de bataille ou laissées sciemment pour tuer.

« Missiles, roquettes, obus d’artillerie, armes à sous-munitions…

C’est un ensemble de munitions qui n’ont pas explosé au moment où elles ont été lancées, ou qui sont programmés pour exploser plus tard et piéger des personnes ou des véhicules, comme les mines antipersonnel et les mines antichars, explique Anne Héry, directrice du plaidoyer à Handicap international.

Ces restes explosifs de guerre, extrêmement dangereux pour toute personne qui se trouverait en contact ou à proximité avec elle, continuent de tuer et de mutiler, pendant et longtemps après la fin d’un conflit, et empêche le retour des déplacés chez eux ».

Plus de 2 millions d’habitants piégés
L’ONG est active depuis plusieurs décennies auprès des populations exposées au danger des armes, munitions et engins explosifs dans les conflits armés. Et elle n’a de cesse de mettre en garde contre la contamination explosive dans la bande de Gaza, où le conflit perdure faute d’accord sur une trêve incluant de nouvelles libérations d’otages du Hamas et de prisonniers palestiniens détenus en Israël.

« À Gaza, la population est soumise à l’une des campagnes de bombardement les plus intenses de l’histoire militaire, souligne Anne Héry. Il y a un nombre de frappes, de bombardements et de tirs d’artillerie qui est absolument phénoménal en termes de rythme et de concentration. Selon nos estimations, depuis cinq mois que dure la guerre, nous en sommes à un rythme de 500 bombes par jour ».

Anne Héry rappelle que la bande côtière palestinienne est l’une des zones les plus densément peuplées de la planète et l’une des plus vulnérables en raison de l’étendue des destructions provoquées par les bombardements qui ont détruit des infrastructures vitales pour la population.

« C’est un territoire depuis lequel les 2,2 millions d’habitants ne peuvent pas fuir et dans lequel ils se retrouvent piégés et soumis jour et nuit à des bombardements d’une intensité extrême, ajoute-t-elle. À titre de comparaison, la zone bombardée par l’armée israélienne équivaut à peu près, en surface, à une métropole française comme Toulon, mais avec cinq fois plus d’habitants ».

Un territoire déjà contaminé lors des précédents conflits
L’ONG, qui rappelle que les civils représentent 90 % des victimes des armes explosives quand elles sont utilisées en zones peuplées, indique qu’il très difficile de connaître l’étendue totale du niveau de contamination par les restes de guerre à Gaza, parce que le conflit est encore actif.

« On estime que 45 000 bombes ont été larguées sur la bande de Gaza lors des trois premiers mois du conflit. Or, en se basant sur un taux d’échec se situant entre 9 et 14 %, il est possible que plusieurs milliers de bombes n’aient pas fonctionné comme prévu et qu’elles n’aient pas explosé à l’impact et se retrouvent disséminées dans les ruines et sur toutes les surfaces du territoire », poursuit Anne Héry.

Selon Handicap International, les REG risquent de coûter de nouvelles vies humaines à Gaza, et provoquer des blessures complexes et invalidantes, temporaires ou permanentes, qui nécessitent un accès immédiat à des soins d’urgence, ce qui est souvent impossible dans un contexte de guerre.

« Certaines blessures causées par les restes explosifs de guerre nécessitent un accompagnement à vie, sans oublier les traumatismes psychologiques qui marquent les victimes, parfois des communautés entières, pendant de nombreuses années, développe Anne Héry. Et ce, non seulement lorsque vous avez été victime ou lorsque vous avez perdu des proches, mais aussi quand vous avez vécu pendant des semaines sous la peur des bombes ».

Sans compter que la bande de Gaza était déjà contaminée par les restes explosifs de guerre israéliens des précédents conflits qui ont opposé le Hamas à l’armée israélienne.

« Le territoire palestinien a subi des campagnes de bombardements à maintes reprises ces dernières décennies, il préexistait donc, avant la guerre actuelle, un problème important de contamination de certaines zones, rappelle Anne Héry. Sachant que les Gazaouis n’ont pas les moyens de dépolluer eux-mêmes leur territoire, il va falloir employer des moyens lourds, complexes et coûteux pour faire face à cette augmentation significative de la contamination explosive ».

Et de poursuivre : « Tout conflit génère des restes explosifs de guerre qui peuvent rester sous terre, dans des ruines pendant des décennies. Dans le cas de la Syrie et de l’Ukraine plusieurs décennies seront nécessaires pour dépolluer ».

Une pollution à long terme
Selon l’ONG, le fléau est planétaire puisqu’un pays au monde sur deux est touché par les REG. La Syrie, l’Afghanistan, la Libye, l’Ukraine, l’Irak et le Yémen sont les nations les plus contaminées, les bombardements et pilonnages ayant infesté durablement de vastes parties de leur territoire.

« Aujourd’hui encore en France, on retrouve des bombes qui datent de la Première guerre mondiale, et il y a toujours des actions de déminage au Laos alors que la contamination date de la guerre du Vietnam, signale Anne Héry.

Donc on peut vraiment imaginer qu’à Gaza, une fois qu’un cessez-le-feu aura été conclu, il sera extrêmement long de dépolluer ».

Une pollution à long terme qui risque de peser lourdement et durablement sur le quotidien des Gazaouis, comme l’explique la directrice du plaidoyer à Handicap international. Car dans un contexte urbain qui est le leur, où les bâtiments sont effondrés, en ruines ou endommagés, les restes explosifs sont non seulement un danger permanent, mais ils vont en plus impacter, sur le long terme, leur vie quotidienne et le développement socio-économique de leur territoire.

« Lorsqu’il s’agit de déblayer des couches de gravats jonchées de restes potentiellement mortels, que nos spécialistes du déminage ont décrit, dans certaines villes de Syrie impactées par la guerre, de millefeuilles d’explosifs, ou lorsqu’il s’agit de revenir reconstruire, le danger est extrême, confie Anne Héry.

Ces restes explosifs ont, sur le long terme, un impact extrêmement fort parce qu’ils sont un frein à la reconstruction, à l’acheminent de l’aide humanitaire et à la reprise de la vie économique en contaminant aussi toutes les voies d’accès, en restreignant les possibilités de déplacement et en rendant des terres agricoles et des infrastructures publiques ou publiques inutilisables ».

Une situation dramatique qui provoque son lot de frustrations et de comportements à risque.

« La situation à Gaza est tellement désespérée d’un point de vue humanitaire, avec un très faible accès à l’eau et la famine, que les gens ont parfois envie de retourner vers leurs maisons détruites pour trouver de la nourriture, au risque d’adopter des comportements parfois extrêmement dangereux qui sont exacerbés dans des contextes de pénurie extrême, soutient Anne Héry.

Nos équipes tentent de mettre en garde la population, avec des actions de prévention et d’information sur les dangers des restes de guerre ».

Israël n’étant signataire ni de la Convention d’Ottawa d’interdiction des mines antipersonnel, ni de la convention des bombes à sous munitions, ni de la déclaration politique contre l’utilisation d’armes explosives en zone peuplée, Handicap International estime que le droit international humanitaire l’oblige.

« Le droit international humanitaire commande que les États, les belligérants, prennent toutes les précautions pour protéger les civils, pour ne pas cibler directement les personnes, les bâtiments, les équipements, et les biens et pour qu’il n’y ait pas de dommage disproportionné causé aux personnes ou aux biens en fonction de l’avantage militaire attendu », conclu Anne Héry.

pressafrik

You may like