Malgré la création d’un point fixe d’eau courante et le passage remarqué d’un camion-douche cet hiver, les dispositifs d’hygiène manquent cruellement aux 600 hommes, femmes et enfants qui survivent dans des camps de fortune à Loon-Plage (Nord), sans douches ni toilettes. Reportage.
« Quand le camion-douche va-t-il revenir ? »
C’est la question soulevée par de nombreux migrants ces derniers jours à Loon-Plage (Nord), dans une zone écartée des habitations où 600 personnes en moyenne s’éparpillent chaque semaine sous des tentes et abris de fortune avec l’espoir d’une traversée sans vague vers l’Angleterre.
Leurs campements au sol boueux, voire inondé suite à un hiver très humide, se trouvent coincé en pleine friche industrielle, à plusieurs kilomètres d’un accès à des douches ou à de véritables toilettes.
Aucun point d’eau courante ne s’y trouvait depuis deux ans, jusqu’à l’implantation d’un robinet fixe sorti de terre le 20 décembre dernier.
Dans ce contexte de précarité extrême, l’arrivée à la mi-février d’un camion-douche construit par l’association Help4Dunkerque a marqué les esprits – et les corps – des migrants.
Il n’a fonctionné que six jours en deux semaines, mais a permis d’offrir « environ 75 douches quotidiennes » à autant de personnes, compte Jessica, co-responsable de ce programme au sein du collectif, qui agit chaque hiver. « En retour, il y a toujours d’immenses sourires et de grands mercis », souffle-t-elle.
Pas d’eau courante durant deux ans
Son retour engendre donc beaucoup d’impatience. Croisé sur une lande déserte entre deux camps sauvages, Azad*, originaire du Moyen-Orient, garde son sourire, même s’il ne s’est pas douché depuis « huit jours ».
L’équipe d’Help4Dunkerque est repartie le 29 février, emportant avec elle les bénévoles qui assuraient le fonctionnement du camion. Le véhicule, lui, est resté. « D’autres associations souhaitent le reprendre, mais toutes manquent de bras.
Or, il faut trois personnes au minimum pour le faire tourner », détaille Jessica.
« La mise en pause forcée de ce dispositif montre les limites des associations, qui sont obligées de se substituer à des instances étatiques pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes exilées », résume Diane Leon, coordinatrice de l’antenne de Médecins du monde sur le littoral, qui rappelle l’existence de lois engageant l’État et les collectivités à octroyer à toute personne un accès à l’eau proche et suffisant pour ses besoins fondamentaux.
Après l’évacuation, le 16 novembre 2021, d’un important camp installé dans la commune voisine de Grande-Synthe, « plus aucun point d’eau n’a été assuré par les pouvoirs publics » durant deux ans sur les terrains occupés par les migrants, remémore Diane Leon.
Ces derniers n’ont dû leur salut qu’à l’association Roots, qui remplit encore aujourd’hui d’eau potable cinq grands réservoirs disséminés sur les camps à raison de « 7 000 litres l’hiver et de quinze mille l’été, chaque jour », expose Tom, l’un de ses bénévoles.
Couches et toilettes sèches
La Croix-Rouge française et l’association Refugee Women’s Centre proposent des navettes trois fois par semaine vers quelques douches ouvertes par les communes de Mardyck et de Grande-Synthe. Une offre « largement insuffisante », informe Bérangère Lucotte, de la Croix-Rouge. Pour pallier l’absence de tout dispositif d’hygiène sur place, Help4Dunkerque a construit lors de son passage « deux toilettes sèches composées d’un trou, de palettes et d’une bâche » afin d’offrir « un minimum d’intimité » aux exilés, note Jessica.
Des couches sont aussi distribuées « aux femmes et aux enfants » pour éviter à ce public vulnérable de « sortir la nuit », confie Louise, du Refugee Women’s Centre.
Quant au point d’eau obtenu des collectivités locales le 20 décembre – en pleine grève de la faim d’un bénévole, Pierre Lascoux -, il représente une « garantie très utile » mais reste excentré des camps, gèle par grand froid et se perd au milieu d’une grande flaque en l’absence « d’évacuation des eaux usées », constate Claire Millot, vice-présidente de l’association Salam.
Redonner de la « dignité »
Boisson, cuisine, hygiène de base… L’eau sert à tout et continue de manquer aux migrants. « Les pathologies que l’on observe durant nos permanences sont liées à ces conditions de vie », observe Diane Leon, évoquant des cas de « gale, des problèmes dermatologiques et des plaies surinfectées ».
« L’absence de douches et de toilettes a un impact sur leur santé physique, mais aussi mentale », poursuit-elle.
« Offrir des douches à ces gens jouait le rôle d’une prévention médicale, tout en leur redonnant de la dignité », estime Olivier Schitteck, un citoyen qui a délivré « 2 500 douches » sur le camp entre 2021 et 2023 grâce à son camping-car, avant de jeter l’éponge, éreinté.
« Ce n’est pas à nous de faire cela, mais à un opérateur comme l’État, capable de mettre en place une offre régulière qui répondrait aux besoins de tous », milite Diane Leon.
C’est le cas à Calais, où l’État a été contraint par la justice en 2017 de rendre accessibles points d’eau et sanitaires pour ne plus exposer les exilés à un traitement dégradant.
« Sur le Dunkerquois, la volonté de non-accueil de l’État agit à rebours du devoir d’humanité », fustige Claire Millot, pour qui les mises à l’abri temporaires et parfois lointaines proposées par la préfecture du Nord ne correspondent pas aux besoins « inconditionnels » des migrants sur le littoral.
D’où la question de ces derniers, charriant l’espoir fou de se laver à l’eau chaude sur leurs camps : « Quand le camion-douche va-t-il revenir ? »
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