La mesure se veut aussi dissuasive qu’épuratrice dans la lutte que mène le pays contre les rebelles du M23. Elle intervient néanmoins à contre-courant de la tendance en Afrique ou plusieurs pays ont aboli la peine de mort, soit officiellement, soit par contournement.
Le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi a rétabli l’application effective de la peine capitale dans le pays, en suspendant un moratoire sur les exécutions légales établi en 2003 sous la présidence de son prédécesseur Joseph Kabila. Une circulaire confirmant la mesure et signée du garde des Sceaux Rose Mutombo a été envoyée aux administrations et organes de l’État concernés.
La décision vise selon la note à « débarrasser l’armée de notre pays des traîtres […] et à endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’homme ».
Elle intervient dans un contexte de soupçons croissants d’infiltration de l’armée (FARDC) et des institutions politiques congolaises par des éléments qui pactiseraient avec la rébellion du M23 et le Rwanda, responsables selon Kinshasa des troubles dans l’Est du pays.
Dans le viseur, des officiers et sous-officiers militaires, des hommes d’affaires, des députés, etc., qui seraient de mèche avec « l’ennemi », un certain nombre d’entre eux ayant été arrêtés ces dernières semaines. « Les actes de traîtrise ou d’espionnage ont fait payer un lourd tribut tant à la population qu’à la République au regard de l’immensité des préjudices subis » lit-on dans la circulaire.
La ministre de la Justice précise que la peine capitale sera exécutée en cas de « condamnation judiciaire irrévocable intervenue en temps de guerre, sous l’état de siège ou d’urgence, à l’occasion d’une opération de police, et pendant toute autre circonstance exceptionnelle ».
Un durcissement faisant écho aux critiques du président Tshisekedi qui traitait récemment le système judiciaire congolais de « malade dans le traitement des dossiers ».
Pour rappel, la peine de mort a été prononcée un nombre notable de fois par des tribunaux civils comme militaires en RDC, pour des affaires de haute trahison et association de malfaiteurs notamment. On se souvient encore du cas Eddy Kapend, aide de camp accusé du meurtre de Laurent-Désiré Kabila (aujourd’hui libre), ou encore des 49 condamnés pour l’assassinat des experts de l’ONU Zaida Catalán (Suède) et Michael Sharp (USA).
Comme dans plusieurs autres pays n’ayant pas encore officialisé son abolition, les sentences étaient de facto commuées en prison à perpétuité depuis l’entrée en vigueur dudit moratoire.
« Ce moratoire était aux yeux de tous ces infracteurs comme un gage d’impunité, car même lorsqu’ils ont été condamnés de manière irrévocable à la peine capitale, ils étaient assurés que cette peine ne serait jamais exécutée à leur endroit ».
Si le rétablissement des exécutions est applaudi par certaines organisations, dont le mouvement national de la nouvelle société civile congolaise qui lui trouve un effet dissuasif, il est condamné par plusieurs autres opinions.
Amnesty International parle d’« une grave régression et un nouveau signe du recul alarmant de l’administration Tshisekedi en matière de droits humains » dans un communiqué où elle souhaite l’annulation de cette décision qu’elle qualifie de “consternante”, pointant du doigt le “risque d’exécution de nombreux innocents à cause d’une justice inefficace et inefficiente”.
Même son de cloche chez le président de l’organisation de défense des droits de l’homme ASADHO, Jean-Claude Katende, qui affirme que « dans un pays où la justice est qualifiée de malade, on livre les éventuels prévenus à la mort certaine ».
Pour le mouvement Lucha (Lutte pour le changement), le rétablissement des exécutions « ouvre un couloir à des exécutions sommaires dans ce pays où le fonctionnement défectueux de la justice est reconnu par tous, y compris le magistrat suprême lui-même ».
ecofin