À l’occasion de la journée mondiale de l’eau, ce 22 mars, l’ONU rappelle l’urgence de gérer cette ressource essentielle de façon durable et équitable. 2,2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à une distribution d’eau potable. Et pour ne rien arranger, le changement climatique perturbe gravement le cycle de l’eau sur Terre.
Dans leur Rapport mondial 2024 sur la mise en valeur des ressources en eau , publié ce vendredi 22 mars par l’Unesco, les Nations unies tirent la sonnette d’alarme.
D’abord les chiffres : la demande en eau augmente chaque année de 1% au niveau mondial. Cette augmentation est due à l’industrialisation des pays, à l’installation de plus en plus de populations dans les villes, et à nos régimes alimentaires. La croissance démographique en revanche ne pèse que peu sur la demande en eau.
Les populations qui augmentent le plus rapidement sont en effet celles qui ont la consommation d’eau par habitant la plus faible.
Il y a 2,2 milliards de personnes dans le monde qui n’ont aucun accès à une distribution d’eau potable ; 80 % d’entre elles vivent en milieu rural. L’ONU le reconnaît : « l’objectif de garantir l’accès à l’eau potable à tous d’ici à 2030 est loin d’être atteint. Il est même à craindre que les inégalités continuent de s’accroître dans ce domaine ».
Le changement climatique bouleverse le cycle de l’eau sur la planète.
Alors que certaines régions du monde subissent des inondations dévastatrices, comme celles qui ont frappé le Pakistan en août 2022, d’autres subissent des sécheresses prolongées, d’autres encore sont confrontées à la salinisation de leurs réserves d’eau douce en raison de la hausse du niveau de la mer, comme au Bangladesh.
En 2022, près de la moitié de la population mondiale a été confrontée à de graves pénuries d’eau pendant au moins une partie de l’année, dont un quart a subi un niveau de stress hydrique « extrême ». Aujourd’hui 10% des populations déplacées dans le monde ont été obligées de quitter leurs foyers en raison du manque d’eau.
L’eau : droit humain et facteur de prospérité
Or, l’eau est un droit humain, intrinsèque à la vie, ainsi qu’un facteur essentiel de prospérité, souligne Richard Connor, rédacteur en chef du rapport 2024 sur les ressources en eau, publié par l’Unesco. « Sans accès à une eau propre, les gens sont exposés à toutes sortes de maladies.
Ces maladies les empêchent d’aller à l’école, de travailler, d’être productifs », explique ce bio-géo-chimiste canadien. « Sans eau, on n’a pas d’électricité. Sans eau, il n’y a pas de production agricole, et donc pas de sécurité alimentaire. Sans eau, il n’y a pas d’industrie. Entre 60 et 65 % de tous les emplois sur la planète, et même 80% des emplois dans les pays en voie de développement, dépendent directement de l’eau.
Donc l’eau et la prospérité sont intimement liées ».
Et à mesure que l’eau douce se raréfie, « le risque de conflits locaux ou régionaux augmente », prévient Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco. Si les rédacteurs du rapport n’ont pas encore pu prouver que l’accès à l’eau douce fut le déclencheur d’un conflit entre deux États, il existe en revanche de plus en plus d’exemples de conflits entre différents usagers de cette ressource dans un même pays.
Les « cartels de l’eau » à Nairobi
À Nairobi, par exemple, une bataille se joue autour de l’accès à « l’or bleu ». L’urbanisation de la capitale du Kenya est en pleine croissance, mais la précieuse ressource est disponible en quantité trop faible pour répondre aux besoins de la population. Dans les quartiers informels de Nairobi, où les habitants n’ont pas accès à l’eau courante, elle est devenue une substance trafiquée par des vendeurs qui s’opposent entre eux et défient l’État, rapporte la correspondante de RFI sur place, Albane Thirouard.
À Mathare, quartier informel de Nairobi, les points de vente d’eau pullulent.
Les habitants n’ont pas l’eau courante et la ressource est rationnée. « Où je vis, il n’y a pas d’eau et ceux qui la font venir la vendent trop chère, le jerrican de 20 litres y est à 20 centimes », se plaint Florence, mère au foyer de trois enfants. Samuel, lui, n’a plus d’eau à son point de vente depuis trois semaines.
Il accuse ceux qu’il qualifie de « cartels » d’avoir fermé son robinet. Une hypothèse plausible pour Tobias Omufwoko.
« Certaines personnes dans ces quartiers informels, souvent en connivence avec les agents de la compagnie d’eau, vont par exemple fermer une ligne pour créer une pénurie et ensuite aller vendre leurs bidons », rapporte ce PDG de la Wash Alliance, une organisation de plusieurs acteurs du secteur.
« On les appelle des cartels parce que ces individus travaillent de manière illégale, en collaboration avec des acteurs du secteur formel. Ils veulent battre le système, mais ils appauvrissent les pauvres en leur vendant de l’eau plus chère », poursuit-il.
Le gouvernement kényan estime perdre plus de 70 millions d’euros par an en revenus non collectés, en partie à cause de ce vandalisme.
Pour y faire face, les autorités ont déployé début 2023 une police de l’eau. 400 hommes à travers le pays, estime Samwel Alima, secrétaire d’État chargé de l’eau. Mais à Mathare, beaucoup sont sceptiques. Ils déplorent la corruption et dénoncent la connivence des vendeurs légaux et illégaux, un mauvais état du réseau et surtout, un manque d’eau pour répondre aux besoins des habitants de Nairobi.
Concurrence entre secteurs de l’énergie et de l’agriculture
Un secteur qui est particulièrement gourmand en eau, c’est celui de l’énergie. Dans la province de Rio Negro, en Argentine, l’exploitation de gaz de schiste menace ainsi la production agricole.
Grâce au considérable gisement de Vaca Muerta, les autorités espèrent non seulement atteindre l’autosuffisance énergétique, mais aussi faire de l’Argentine un pays exportateur de gaz liquéfié présenté comme « le combustible de la transition énergétique ».
Mais pour extraire ces hydrocarbures piégés dans les formations rocheuses, les entreprises ont recours à la fracturation hydraulique. Cette méthode consiste à créer des fissures souterraines par injection, à haute tension, de produits chimiques, de sable et d’une quantité phénoménale d’eau douce.
« La fracturation hydraulique a besoin d’une eau de qualité, sans sel, comme celle qui coule dans nos cours d’eau », explique Agustin Gonzalez, professeur en agronomie à l’Université de Neuquén.
Et comme l’exploitation du schiste est en pleine expansion, les quantités d’eau utilisées augmentent de façon exponentielle. « Selon les chiffres officiels, on est passé en trois ans d’une moyenne de 5 000 mètres cubes d’eau par mois à 100 000 mètres cubes au mois d’août dernier. La question est donc de savoir jusqu’à quand nos fleuves et aquifères pourront résister ».
Un mètre cube, c’est l’équivalent d’une tonne d’eau.
L’eau nécessaire à la fracturation hydraulique est directement pompée du Rio Neuquèn et du Rio Negro. Or, cette même eau sert depuis un siècle à l’agriculture. Dans cette région semi-désertique sont en effet produites les pommes et les poires, consommées en Argentine, mais aussi en Europe pendant l’hiver.
« Le changement climatique nous affecte déjà.
Nous avons subi dix ans de sécheresse. La situation est très critique. En dépit de tout ça, nos autorités misent sur une stratégie de court terme et néfaste pour l’environnement plutôt que sur une activité qui devient de plus en plus primordiale : la production alimentaire », dénonce l’agronome.
Placer l’accès à l’eau au cœur des investissements en faveur de l’adaptation au changement climatique
Selon l’ONU, 70% d’eau douce sur la planète est utilisée pour l’agriculture, alors que la production d’énergie représente 15% des prélèvements d’eau au niveau mondial. L’exploitation et la transformation des énergies fossiles sont particulièrement gourmandes en eau alors que les énergies solaire et éolienne n’utilisent qu’une quantité d’eau négligeable.
Par conséquent, les scientifiques insistent sur l’urgence d’investir massivement dans ces énergies renouvelables, notamment dans les régions du monde confrontées de plus en plus à d’intenses périodes de stress hydriques.
« Les investissements à venir en faveur de la transition énergétique et de l’adaptation au changement climatiques doivent systématiquement mettre l’accès à l’eau au cœur de la réflexion », estime aussi Richard Connor.
Le rédacteur en chef du rapport de l’Unesco insiste sur le fait que de nouvelles technologies existent pour rendre la gestion de l’eau, tant dans l’agriculture que dans l’industrie ou encore pour les usages domestiques, plus efficace.
Gouvernance et diplomatie de l’eau comme garantes de la paix
Mais si la préservation de la ressource est plus que jamais primordiale, elle seule pourrait ne plus suffire pour garantir la paix, s’inquiètent les experts de l’ONU. « Le rapport 2024 sur la mise en valeur des ressources en eau » met l’accent sur l’urgence de renforcer la coopération régionale et mondiale dans ce domaine.
Il faut une véritable « gouvernance de l’eau », réclament les rapporteurs, une gouvernance qui doit prioritairement inclure les communautés les plus défavorisées, comme les peuples autochtones, les femmes et les petits exploitants agricoles, ainsi qu’une véritable « diplomatie de l’eau » pour prévenir les conflits entre pays qui se partagent des ressources en eau transfrontalières.
Selon le rapport, l’Afrique est le continent le plus exposé aux tensions interétatiques liées à l’eau. « 19 États sur 22 étudiés souffrent d’une pénurie d’eau, alors que deux tiers des ressources en eau douce » traversent les frontières, soulignent les chercheurs.
Or, « sur les 106 aquifères transfrontaliers cartographiés en Afrique, seuls sept font aujourd’hui l’objet d’une coopération formalisée entre pays ».
rfi