Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont décidé, fin janvier, de se retirer de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), compromettant possiblement les traités de libre circulation pour des millions de citoyens ouest-africains. Le Burkina Faso a par ailleurs voté une loi portant notamment sur les conditions d’entrée des étrangers sur son territoire, donnant lieu à une rumeur sur l’exigence de visa pour les ressortissants des pays membres de la Cedeao.
Mais pour le moment, aucun document officiel ne limite l’entrée au Burkina pour les ressortissants des pays membres de cette organisation.
L’auteur du message qui circule est péremptoire : « le gouvernement burkinabé décide d’instaurer le visa entre le Burkina Faso et les États de la CEDEAO », affirme-t-il dans une publication sur X (ex-Twitter).
Le même message est repris sur Facebook (post archivé ici). « Visa désormais obligatoire pour rentrer au Burkina même si vous avez un passeport Cedeao« , publie un autre internaute, enjoignant les ressortissants ouest-africains à y « penser » avant de se « retrouver en clandestinité sur le territoire burkinabé« .
Cette rumeur a couru un mois après l’annonce du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de l’organisation régionale ouest-africaine (qui compte 15 pays membres). Les trois pays du Sahel ont annoncé fin janvier qu’ils quittaient la Cedeao sans être tenus par un délai d’un an comme le prévoient les textes de l’organisation.
L’annonce du retrait a suscité l’inquiétude de centaines de milliers de ressortissants de ces pays, particuliers ou commerçants.
La Cedeao garantit en effet aux citoyens des 15 pays membres de pouvoir voyager sans visa et de s’établir dans les pays membres pour y travailler ou y résider.
D’autre part, le 22 février, le Burkina Faso a voté une loi portant condition d’entrée, de séjour et de sortie des nationaux et étrangers du territoire national.
Un nouveau dispositif juridique et institutionnel permettant « désormais au gouvernement de contrôler les flux migratoires et de renforcer la sécurité intérieur« , selon un reportage de la télévision publique RTB .
Cette loi, une nouvelle version de l’ordonnance de 1984, vise notamment à doter le pays de « plus d’outils juridiques pour lutter efficacement contre le terrorisme », selon le ministre délégué en charge de la Sécurité Mahamadou Sana, interrogé dans ce journal télévisé.
Ce dernier précise que les conditions d’entrée sur le territoire pour les étrangers « restent les mêmes« .
Le ministre, lors d’un point presse organisé après le vote de la loi et relayé par plusieurs médias burkinabè, a rappelé que les étrangers pour entrer sur le territoire doivent faire une demande de visa, « sauf si il y a exemption », car, précise le ministre, « il y a des traités communautaires qui font l’exemption de visa avec certains pays« .
Nous avons alors cherché à vérifier si les ressortissants de pays encore membres de la Cedeao ont désormais besoin d’un visa pour entrer au Burkina Faso.
Un « passeport Cedeao » suffit
Rendu à l’ambassade du Burkina Faso à Abidjan, en Côte d’Ivoire (membre de la Cedeao) un journaliste de l’AFP a constaté qu’il n’y a pour le moment, aucune exigence de visa pour les ressortissants de l’espace Cedeao. « Toute personne possédant un passeport Cedeao ou sa carte d’identité [d’un pays membre de la Cedeao ] peut se rendre au Burkina Faso sans aucune procédure particulière ou de demande de visa » lui a-t-on répondu au service “passeport et visa” de l’ambassade.
Notre collègue leur a par ailleurs présenté un cas pratique mettant en scène un groupe d’étrangers souhaitant se rendre au Burkina Faso : un Ivoirien, un Togolais, un Béninois, un Camerounais et un Sud-africain. « L’Ivoirien, le Togolais et le Béninois, tous des ressortissants de la cedeao, n’ont pour l’instant pas besoin de visa, en revanche le Camerounais et le Sud-africain doivent faire une demande de visa en ligne » lui a-t-on expliqué.
Nous nous sommes ensuite rendus à l’ambassade du Burkina Faso à Dakar, au Sénégal.
Sur place, deux employées du secrétariat de l’ambassade se disent surprises des allégations actuelles. « Rien n’a changé« , répondent-elles à l’AFP, l’une après l’autre. « Les ressortissants de la Cedeao peuvent toujours se rendre au Burkina Faso sans problème que ce soit avec leur passeport ou avec leur carte nationale d’identité (Cni) », insistent-elles.
Sur le site du consulat général du Burkina Faso à Paris, il est également indiqué que les ressortissants des pays de la Cedeao n’ont pas besoin de visa.
« les ressortissants des 15 pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont exemptés du visa d’entrée au Burkina Faso à la condition qu’ils voyagent avec le passeport de leur pays d’origine« .
Contactée à plusieurs reprises par l’AFP, la Cedeao n’a pas réagi.
Par ailleurs, même si les dispositions concernant les ressortissants de la Cedeao venaient à changer, le Burkina Faso reste par exemple membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui garantit comme la Cedeao, le principe de libre circulation et de résidence. Les trois pays ont certes décidé de se retirer de la Cedeao mais restent membres de l’Uemoa tout comme leurs principaux partenaires économiques comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire.
Huit pays sur les quinze membres de la Cedeao sont membres de l’Uemoa.
Il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo.
Aminata Mbodj, la porte-parole de cette organisation énumère à l’AFP, les articles 91, 92 et 93 du traité de l’Uemoa qui garantissent la libre circulation des personnes et des biens au sein de l’espace communautaire. Elle dit constater que pour le moment, « il n’y a pas de restrictions d’entrée et de sortie, même pour les ressortissants de la Cedeao ».
Sanctions économiques
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé qu’ils quittaient la Cedeao sans être tenus par un délai d’un an comme le prévoient les textes de l’organisation.
Ce retrait marque le point d’orgue de la dégradation des relations avec la Cedeao, qui a essayé en vain d’imposer le retour des civils à la tête des trois pays.
Leurs dirigeants, le général Abdourahamane Tiani (Niger), le colonel Assimi Goïta (Mali) et le capitaine Ibrahim Traoré (Burkina) ont accusé à plusieurs reprises cette organisation d’être inféodée à la France.
Ils lui ont également reproché un manque de soutien dans la lutte qu’ils mènent contre les groupes jihadistes affiliés à Al Qaïda et à l’Etat islamique qui les frappent régulièrement, provoquant des milliers de morts et des millions de déplacés.
La Cedeao, organisation économique régionale de 15 pays, s’est opposée aux coups d’État ayant successivement porté au pouvoir les militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, imposant de lourdes sanctions économiques au Niger et au Mali.
Après avoir menacé en août d’intervenir militairement au Niger, la Cedeao a récemment tendu la main aux trois régimes militaires, appelant début février à la « réconciliation ».
Le 24 février, elle a levé les lourdes sanctions qu’elle avait imposées au Niger pour obtenir la libération du président renversé Mohamed Bazoum et son rétablissement dans ses fonctions après avoir renoncé à le faire par la force.
Les trois régimes ont fait savoir que leur décision de retrait de la Cedeao est « irréversible », et ils se sont regroupés au sein d’une Alliance des Etats du Sahel (AES).
afp