Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a annoncé dimanche soir sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, qu’il avait conquise en 2019. À 52 ans, celui qui a été empêché de concourir à la présidentielle en 2023 en raison d’une condamnation judiciaire apparaît comme le principal opposant politique au président turc Recep Tayyip Erdogan pour le prochain scrutin.
« Ce (dimanche) soir la démocratie va déferler (…) sur les places, dans les rues, les universités, les cafés et les restaurants d’Istanbul ». Tels sont les propos qu’a lancés Ekrem Imamoglu, dimanche 31 mars, devant des dizaines de milliers de ses partisans après sa réélection à la mairie d’Istanbul.
En conservant la capitale économique et plus grande ville de Turquie – remportée en 2019 face à Binali Yildirim, un fidèle de Recep Tayyip Erdogan –, l’édile de 52 ans fait plus que jamais figure de “patron” de l’opposition turque au lendemain du revers historique infligé au camp présidentiel lors de ces municipales.
Dimanche, Ekrem Imamoglu n’a même pas attendu que les résultats officiels soient proclamés pour annoncer sa victoire.
« Nous sommes en première position avec une avance de plus d’un million de voix (…) Nous avons gagné l’élection », a-t-il déclaré devant la presse, précisant que ces résultats portaient sur 96 % des urnes.
Cette nette avance représente à elle seule le chemin parcouru par l’opposant politique en quelques années.
Lors du scrutin de 2019, il avait gagné avec seulement 14 000 voix d’avance, une paille quand on sait qu’Istanbul compte plus de 11 millions d’inscrits sur les listes électorales.
Mais cette courte victoire relevait alors du tour de force : quasi inconnu, l’élu du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) mettait fin à 25 ans de domination de Recep Tayyip Erdogan et de l’AKP, parti au pouvoir, sur la plus grande ville du pays. Ekrem Imamoglu avait alors bénéficié d’une alliance des partis d’opposition, à la différence de dimanche – sans que cela n’entrave apparemment son succès.
Dans le viseur du pouvoir et de la justice turque
Le parcours du maire d’Istanbul est aussi semé d’embûches avec le pouvoir en place. En faisant annuler le premier scrutin municipal de mars 2019, Recep Tayyip Erdogan a paradoxalement donné une victoire confortable à Ekrem Imamoglu lors d’un second vote trois mois plus tard – l’opposant a fini avec 800 000 voix d’avance sur le candidat de l’AKP Binali Yildirim.
Suite à cette seconde élection, Ekrem Imamoglu avait traité d »idiots » les membres du Haut comité électoral qui avaient invalidé le premier scrutin, ce qui lui vaut d’être poursuivi en justice.
Fin 2022, il est condamné à deux ans, sept mois et quinze jours de prison pour « insulte ».
Bien qu’il ait fait appel de cette peine et dénoncé une “affaire politique”, cette condamnation avait écarté celui qui était pressenti comme le principal rival du président turc à la présidentielle de 2023. Aujourd’hui, elle continue de planer comme une menace sur l’avenir politique d’Ekrem Imamoglu.
Une autre affaire pourrait aussi contrarier l’ambition présidentielle de l’opposant à Recep Tayyip Erdogan.
Depuis juin 2023, Ekrem Imamoglu est poursuivi par la justice turque pour des soupçons de trucage d’un appel d’offres émis fin 2015 lorsqu’il était maire de Beylikdüzü, un district d’Istanbul. L’élu rejette ces accusations, mais encourt jusqu’à sept ans de prison et une peine d’inéligibilité en cas de condamnation.
« Il peut plaire à tous les segments de l’électorat d’opposition”
Malgré ces affaires judiciaires, le maire d’Istanbul n’en est pas moins régulièrement classé parmi les personnalités politiques préférées des Turcs. Et mettant à profit son charisme et son aura médiatique, Ekrem Imamoglu ne cesse jamais de se poser en rival direct de Recep Tayyip Erdogan.
Pendant la dernière campagne électorale encore, il a multiplié de sa voix rauque les piques contre le chef de l’État – qui s’est impliqué personnellement dans la bataille pour regagner la ville d’Istanbul, dont il a été le maire entre 1994 et 1998.
Ekrem Imamoglu a d’ailleurs davantage ciblé le président turc que Murat Kurum – qui était le candidat désigné par l’AKP, un fidèle faisant office d’”homme de paille” pour ce scrutin.
Et bien qu’il soit le principal opposant à Recep Tayyip Erdogan, Ekrem Imamoglu partage plusieurs points communs avec le président turc. Tous deux sont issus d’un milieu traditionnel et nationaliste, ils sont l’un et l’autre passionnés de football –
Ekrem Imamoglu a même siégé au conseil d’administration du club professionnel de Trabzonspor en 2002-2003 – et ils ont suivi des cours coraniques, comme l’a relevé Le Monde en avril 2023.
Mais sur ce dernier point, l’opposant tient à se différencier du président turc, déclarant au quotidien avoir “reçu à la fois une bonne éducation et une éducation religieuse. (…) Toutefois, je suis une personne qui vit sa foi en elle-même, et je ne l’utilise pas comme un outil politique”.
Malgré quelques critiques internes – dont celle du parti prokurde DEM (ex-HDP), qui l’avait soutenu en 2019, et qui lui a reproché son silence lorsque des dizaines de ses élus ont été démis de leur fonction et emprisonnés –, Ekrem Imamoglu apparaît comme la figure incontournable de l’opposition turque à même de concurrencer Recep Tayyip Erdogan.
« Il peut plaire à tous les segments de l’électorat d’opposition, qu’il s’agisse d’électeurs turcs, kurdes, sunnites, alévis, jeunes ou âgés », estime auprès de l’AFP Berk Esen, politiste à l’université Sabanci d’Istanbul, qui note que le maire d’Istanbul « bénéficie d’un niveau de soutien assez élevé dans les différentes régions du pays ».
Ekrem Imamoglu présente un profil idoine pour une candidature à la présidentielle de 2028.
Mais le principal intéressé refuse de se projeter pour l’instant, comme il l’a déclaré récemment au média d’opposition turc Medyascope : “Il reste encore quatre ans jusqu’en 2028. Il serait malvenu de ma part de parler de cela aujourd’hui.”
AFP