Burkina Faso: L’armée a massacré 223 villageois

Nairobi — Les autorités devraient mener sans tarder une enquête indépendante avec l’appui de l’Union africaine et des Nations Unies

L’armée burkinabè a exécuté sommairement au moins 223 civils, dont au moins 56 enfants, dans deux villages le 25 février 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Ces massacres, qui comptent parmi les pires exactions commises par l’armée au Burkina Faso depuis 2015, semblent s’inscrire dans le cadre d’une campagne généralisée menée par l’armée contre des civils accusés de collaborer avec des groupes islamistes armés, et pourraient constituer des crimes contre l’humanité.

Des soldats ont tué 44 personnes, dont 20 enfants, dans le village de Nondin, ainsi que 179 autres personnes, dont 36 enfants, dans le village voisin de Soro ; ces deux villages sont situés dans le district de Thiou, dans la province du Yatenga, dans le nord du pays.

Les autorités burkinabè devraient d’urgence ouvrir une enquête approfondie sur les massacres, avec le soutien de l’Union africaine et des Nations Unies afin d’en garantir l’indépendance et l’impartialité.

« Les massacres perpétrés dans les villages de Nondin et Soro ne sont que les derniers exemples d’exactions menées contre les civils par l’armée burkinabè dans le cadre de ses opérations de contre-insurrection », a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch.

« L’échec continu des autorités burkinabè à prévenir de telles atrocités et à mener des enquêtes démontre la nécessité d’un appui international afin de garantir une enquête indépendante crédible sur de potentiels crimes contre l’humanité. »

Du 28 février au 31 mars, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 23 personnes, dont 14 témoins des tueries, trois activistes de la société civile locale et trois membres d’organisations internationales. Human Rights Watch a vérifié des vidéos et des photographies partagées après les tueries par des survivants, dont certains qui étaient blessés.

Les 24 et 25 février, des groupes islamistes armés ont mené plusieurs attaques à travers le pays contre des cibles militaires, notamment des casernes et des bases, et contre des infrastructures civiles telles que des sites religieux, tuant de nombreux civils, soldats et membres de milices.

Le 26 février, le ministre burkinabé de la Défense, Mahamoudou Sana, a dénoncé dans une déclaration aux médias ce qu’il a décrit comme des attaques « simultanées et coordonnées » menées par des combattants islamistes, mais n’a pas mentionné les massacres de civils à Nondin et à Soro.

Le 1er mars, Aly Benjamin Coulibaly, procureur du tribunal de grande instance de Ouahigouya, a déclaré dans un communiqué avoir reçu des informations faisant état « des attaques meurtrières massives » contre les villages de Komsilga, Nodin et Soro dans la province du Yatenga le 25 février, avec un bilan provisoire d’environ « 170 personnes exécutées » et d’autres blessées, et avoir ordonné l’ouverture d’une enquête.

Le 4 mars, Aly Benjamin Coulibaly a déclaré s’être rendu sur les lieux des incidents le 29 février avec la police judiciaire, mais a indiqué qu’il n’avait pas été en mesure de localiser les dizaines de corps dont on lui avait dit qu’ils se trouvaient sur place.

Des villageois ont indiqué que le 25 février, des membres des forces armées se sont arrêtées à Nondin, avant de se rendre à Soro, cinq kilomètres plus loin. Ils pensent que les tueries ont été perpétrées en représailles à une attaque menée par des combattants islamistes contre un camp de soldats et miliciens burkinabè situé à l’extérieur de la capitale provinciale, Ouahigouya, à environ 25 kilomètres de Nondin, un peu plus tôt dans la journée.

« Avant que les soldats ne commencent à nous tirer dessus, ils nous ont accusés d’être complices des djihadistes [combattants islamistes] », a déclaré une survivante de Soro, âgée de 32 ans, qui a reçu une balle dans la jambe. « Ils ont dit que nous ne coopérions pas avec eux [l’armée] parce que nous ne les avions pas informés des mouvements des djihadistes. »

Le 25 février, la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), la chaîne de télévision nationale, a signalé une « attaque d’envergure » menée par des combattants islamistes vers 7 heures du matin « contre la position du bataillon mixte » à Ouahigouya.

Elle a indiqué que les soldats du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), une unité des forces spéciales impliquée dans des opérations de contre-insurrection, « ont poursuivi les combattants qui fuyaient vers Thiou » et « neutralis[é] le maximum de ceux qui ne pouvaient aller vite ».

Le rapport, qui ne fait aucune référence aux victimes civiles, indique que les soldats ont demandé que les drones aériens ne suivent pas les combattants qu’ils pourchassaient, et de « leur laisser ce groupe, » ce qui pourrait indiquer qu’ils ne voulaient pas que les drones enregistrent ce qui s’est passé par la suite.

Des témoins ont déclaré qu’entre 8h30 et 9h, environ 30 minutes après qu’un groupe de combattants islamistes armés soit passé près du village en criant « Allah Akbar ! »

(Dieu est grand), un convoi militaire composé de plus de 100 soldats burkinabè est arrivé à moto, en camionnette et dans au moins deux voitures blindées dans le quartier Basseré de Nondin, situé près de la route nationale 2 asphaltée. Ils ont déclaré que les soldats ont fait du porte-à-porte, ordonnant aux gens de sortir de chez eux et de montrer leurs cartes d’identité. Ils ont ensuite rassemblé les villageois par groupes avant d’ouvrir le feu sur eux. Les soldats ont également tiré sur les personnes qui tentaient de fuir ou de se cacher.

Des villageois ont décrit un scénario similaire à Soro, où les soldats sont arrivés environ une heure plus tard et ont tiré sur les personnes qui avaient été rassemblées ou qui tentaient de se cacher ou de s’échapper.

« Ils ont séparé les hommes et les femmes en groupes », a déclaré un agriculteur de 48 ans. « J’étais dans le jardin avec d’autres personnes lorsqu’ils [les soldats] nous ont appelés. Alors que nous commencions à avancer, ils ont ouvert le feu sur nous sans distinction. Je me suis réfugié derrière un arbre, ce qui m’a sauvé la vie. »

Human Rights Watch a obtenu deux listes de noms de victimes établies par des survivants et d’autres personnes qui ont aidé à enterrer les corps. Des témoins ont déclaré que les survivants et des habitants des villages voisins avaient enterré les corps dans trois fosses communes à Nondin, et dans huit fosses communes à Soro.

Ils ont expliqué que dans les deux villages, certains corps retrouvés quelques jours plus tard dans la brousse avaient été enterrés individuellement.

Le 26 février, un groupe de membres de familles de victimes de Nondin et de Soro s’est rendu à la brigade de gendarmerie de Ouahigouya pour faire une déclaration, ce qui a conduit le procureur du tribunal de grande instance à annoncer l’ouverture d’une enquête.

Le 21 mars, à l’issue d’une brève visite au Burkina Faso, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a déclaré dans un communiqué avoir reçu « des assurances » du président burkinabé que « des mesures sont prises pour veiller à ce que [le] comportement [des forces de sécurité] soit pleinement conforme au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme », sur fond d’informations « faisant état de violations graves commises par les forces de sécurité … qui doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et de mesures correctives. »

Human Rights Watch a déjà documenté de graves abus commis par l’armée burkinabè lors d’opérations antiterroristes, notamment des exécutions sommaires et des disparitions forcées, ainsi que des frappes de drones indiscriminées.

Toutes les parties au conflit armé au Burkina Faso sont liées par le droit international humanitaire, qui comprend l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier. L’article 3 commun interdit le meurtre, la torture et les mauvais traitements des civils et des combattants capturés. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle sont responsables de crimes de guerre.

Les commandants qui savaient ou auraient dû savoir que leurs forces commettaient de graves abus et qui n’ont pas pris les mesures nécessaires peuvent être poursuivis au titre de la responsabilité du commandement.

Le Burkina Faso est un État partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit le droit à la vie et interdit les exécutions extrajudiciaires. En 2004, le Burkina Faso a ratifié le Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale.

Les crimes contre l’humanité sont une série d’infractions, y compris le meurtre, qui sont sciemment commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile. Le terme « généralisée » fait référence à l’ampleur des actes ou au nombre de victimes.

Une attaque « systématique » indique un schéma ou un plan méthodique.

Le gouvernement du Burkina Faso a l’obligation d’exercer sa compétence pénale à l’égard des auteurs de crimes internationaux graves. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont des crimes qui relèvent de la compétence universelle, ce qui permet à d’autres pays d’engager des poursuites, indépendamment du lieu où les crimes ont été commis ou de la nationalité des victimes et des auteurs de ces crimes.

« L’armée burkinabè a régulièrement commis des atrocités de masse contre des civils au nom de la lutte contre le terrorisme, et presque personne n’a été tenu pour responsable », a déclaré Tirana Hassan. « Les victimes et survivants des abus de l’armée ainsi que leurs familles ont le droit de voir les individus responsables de graves abus être poursuivis en justice. Le soutien d’enquêteurs de l’UA ou de l’ONU est le meilleur moyen d’assurer des enquêtes crédibles et des procès équitables. »

Pour les témoignages et autres détails sur cette attaque, voir ci-dessous. Les noms des personnes interrogées n’ont pas été divulgués pour leur protection.

Conflit armé au Burkina Faso

Les forces du Burkina Faso luttent contre une insurrection menée par le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) depuis que les groupes armés sont entrés dans le pays depuis le Mali en 2016. Ces deux groupes armés contrôlent de vastes étendues de territoire et attaquent à la fois les civils et les forces de sécurité gouvernementales.

Le Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet de collecte et d’analyse de données ventilées et de cartographie des crises, a enregistré des événements violents liés à ce conflit qui ont entraîné la mort de plus de 8 000 personnes en 2023 et de plus de 430 autres pour le seul mois de janvier 2024.

Le 26 novembre 2023, des combattants du GSIM ont attaqué des casernes militaires dans la ville assiégée de Djibo au nord, dans la région du Sahel, et ont fait irruption dans des maisons et un camp de personnes déplacées, tuant au moins 40 civils.

Le 25 février, l’EIGS a revendiqué l’attaque d’une église dans la ville d’Essakane, dans la région du Sahel, qui a tué 15 civils.

Des groupes islamistes armés ont également assiégé des villes et des villages du Burkina Faso et bloqué l’acheminement de nourriture, de produits de première nécessité et d’aide humanitaire à la population civile, provoquant la famine et des maladies parmi les habitants et les personnes déplacées. Ces actes constituent des violations du droit international humanitaire assimilables à des crimes de guerre.

Depuis 2022, le Burkina Faso a connu deux coups d’État militaires.

Les autorités militaires se sont fortement appuyées sur des milices pour contrer les attaques des groupes islamistes armés. En octobre 2022, le gouvernement a lancé une campagne visant à renforcer ces milices en recrutant 50 000 auxiliaires civils, appelés Volontaires pour la défense de la patrie (VDP).

Depuis que les combats ont pris de l’ampleur, l’armée a été associée à des massacres de civils pour lesquels personne n’a eu à rendre des comptes. Le 20 avril 2023, des soldats ont tué 83 hommes, 28 femmes et 45 enfants, brûlé des maisons et pillé des biens dans le village de Karma et ses environs, dans la province du Yatenga. Les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête, mais n’y ont pas donné suite.

Le 12 novembre, l’Union européenne a demandé une enquête sur un massacre perpétré dans la région du Centre Nord, au cours duquel une centaine de personnes auraient été tuées.

Le 5 novembre, le gouvernement a déclaré que des hommes armés non identifiés avaient tué au moins 70 personnes, principalement des personnes âgées et des enfants, dans le village de Zaongo, et que l’incident faisait l’objet d’une enquête. Human Rights Watch n’a pas eu connaissance de quelconque progrès dans cette enquête.

Human Rights Watch s’est entretenu avec des témoins qui ont déclaré que l’armée était responsable du massacre de Zaongo, ce que les médias internationaux ont corroboré.

Le 19 décembre 2023, les médias ont fait état de centaines de civils tués dans plusieurs villages autour de la ville de Djibo, dans la région du Sahel. Les autorités ont rejeté la responsabilité de ces attaques sur des groupes islamistes armés, mais des sources locales, dont certaines ont communiqué avec Human Rights Watch, ont pointé du doigt la responsabilité de l’armée.

Le conflit a forcé deux millions de personnes à quitter leur foyer et entraîné la fermeture de plus de 6 100 écoles depuis 2021.

En septembre 2023, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont signé un pacte de défense mutuelle, l’Alliance des États du Sahel, et en janvier, les trois pays ont décidé de se retirer du bloc régional de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le 6 mars, les chefs des armées des trois pays ont annoncé la création d’une force conjointe pour lutter contre les groupes islamistes armés.

Attaque de représailles

Nondin et Soro font partis des nombreux villages du district de Thiou que le GSIM a assiégés. Le 25 février, des combattants du GSIM ont attaqué la base d’une milice gouvernementale située à proximité d’un camp militaire à Ouahigouya, tuant et blessant plusieurs miliciens.

Des témoins et des habitants pensent que ces meurtres ont été perpétrés en représailles d’une prétendue collaboration avec les groupes islamistes armés.

Un fermier de Nondin âgé de 50 ans a déclaré :

J’étais assis devant un kiosque quand les djihadistes sont revenus de Ouahigouya en criant victoire et « Allah akbar ! » A leur arrivée, ils se sont séparés en deux groupes.

L’un a continué vers Thiou et le second a pris le chemin rural qui part de notre quartier et traverse tout le village pour aller au village de Sim. Environ 30 minutes plus tard, un groupe de soldats lourdement armés est arrivé, suivi d’un autre groupe. … Ils ont dit : « Sortez ! Sortez ! Vous soutenez les djihadistes ! Vous allez voir ! »

Un homme de 43 ans travaillant dans une mine d’or juste à l’extérieur de Soro a déclaré :

J’ai vu les djihadistes passer et crier « Allah Akhbar ! ». Trente minutes plus tard, le premier groupe de soldats est arrivé et s’est arrêté devant la mine. L’un d’eux m’a demandé : « Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus quand vous avez vu passer les terroristes ? » J’ai répondu qu’il n’y avait pas de réseau téléphonique ici et que nous ne pouvions donc pas passer d’appels. Ils n’ont rien dit et ont continué vers Soro.

« Ils [les soldats] ont dit que nous collaborions avec les djihadistes », a déclaré un homme de 36 ans à Soro. « Ils ont dit que nous ne les avions pas informés des mouvements des djihadistes. »

Meurtres à Nondin

Les survivants ont décrit des scènes d’horreur au cours desquelles des soldats ont ordonné à des personnes de sortir de chez elles, les ont rassemblées et les ont exécutées. Ils ont déclaré que les soldats avaient tué plusieurs dizaines de personnes en moins d’une heure, en tirant sur des groupes ou sur des individus qui s’enfuyaient.

Un homme de 61 ans, qui a été blessé et a perdu 11 membres de sa famille, dont sa femme, son fils, ses frères et ses neveux, a déclaré que des soldats burkinabè masqués parlant le moré, une langue communément parlée au Burkina Faso, « avec un accent de Ouahigouya », étaient entrés dans sa cour et avaient ordonné à sa famille de sortir de la maison :

Ils nous ont fait asseoir… puis ont ouvert le feu sur nous.

Ils ont tiré « Pan ! Pan ! Pan ! » Ils nous ont tiré dessus comme ça et tué tous les membres de ma famille. J’ai été blessé à l’aisselle parce que j’ai levé les mains pour demander « pitié ». Une balle m’a traversé l’aisselle et une autre m’a transpercé la cuisse droite.

Un agriculteur de 60 ans qui s’était caché dans sa maison a déclaré :

Ils n’ont fait preuve d’aucune pitié. Ils ont tiré sur tout ce qui bougeait, ils ont tué hommes, femmes et enfants. Certains [soldats] portaient des masques sur le visage. Ils étaient lourdement armés. J’ai vu un soldat demander quelque chose à une femme et l’exécuter à bout portant.

Un défenseur des droits humains qui a visité la morgue de l’hôpital régional de Ouahigouya le 26 février a déclaré :

J’ai vu plus de 20 corps dont au moins cinq [étaient] des femmes. Le chauffeur de l’ambulance m’a dit qu’il s’agissait des corps des personnes tuées à Nondin et des VDP tués la veille sur leur base de Ouahigouya. J’ai aussi parlé à plusieurs parents des victimes de Nondin. La morgue est très petite et ne pouvait accueillir plus de six corps. Les autres corps se trouvaient dans une pièce adjacente.

Certains corps étaient couverts, d’autres non. Je pouvais clairement voir les marques des balles sur les corps, certaines dans la poitrine, d’autres dans l’abdomen, les jambes, la tête.

Des témoins ont déclaré que les survivants et des habitants des villages voisins avaient enterré les corps dans trois fosses communes à Nondin. En l’absence de photographies ou de vidéos, Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer l’emplacement de ces fosses sur des images satellite.

Meurtres à Soro

Human Rights Watch a vérifié et géolocalisé six photographies et six vidéos filmées à Soro et partagées avec les chercheurs par des survivants, montrant des dizaines de corps d’hommes, de femmes et d’enfants éparpillés entre les maisons ou empilés en tas imposants dans des espaces ouverts.

L’une de ces vidéos montre trois tas de corps.

La personne qui réalise la vidéo filme les corps de 11 enfants puis marche quelques mètres pour filmer au moins 18 corps d’hommes, et continue à filmer à proximité un autre tas d’au moins 20 corps, parmi lesquels on dénombre beaucoup de femmes. Les vidéos montrent également plusieurs animaux morts, dont au moins 7 cadavres d’animaux d’élevage dans un enclos fermé. Aucune des vidéos et photographies vérifiées par Human Rights Watch ne montre d’armes et tous les corps sont habillés en vêtements civils.

Des témoins ont déclaré que les soldats de Soro ont abattu des personnes après les avoir rassemblées, ou lorsqu’elles tentaient de fuir ou qu’elles se cachaient dans des maisons, des greniers ou derrière des murs.

Une femme de 32 ans a déclaré que les militaires avaient garé leurs véhicules le long de la route principale et étaient entrés dans le village à moto ou à pied, puis avaient rassemblé les gens et leur avaient ordonné de présenter leurs cartes d’identité :

Ils nous ont séparés en groupes d’hommes et de femmes. Ils ne nous ont posé qu’une seule question : « Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus de l’arrivée des djihadistes ? » Et ils ont ajouté, en se répondant à eux-mêmes : « Vous êtes des terroristes ! » Puis ils ont commencé à nous tirer dessus à balles réelles. J’ai reçu une balle dans la jambe droite et j’ai perdu connaissance. Je n’ai pas su ce qui s’est passé ensuite, jusqu’à ce que des gens […] viennent m’aider, après le départ des soldats. Plusieurs morts me sont tombés dessus.

Un fermier de 36 ans, blessé à la main droite, a déclaré :

Nous leur avons donné nos cartes d’identité mais ils ont commencé à nous tirer dessus. Ils ont tiré à balles réelles. Quand je m’en suis rendu compte, je me suis laissé tomber et c’est à ce moment-là que j’ai reçu une balle dans la main droite. J’ai alors vu du sang couler du corps de mon voisin et j’en ai pris un peu pour le mettre sur ma tête afin que les soldats me croient mort. Je suis resté allongé, pensant qu’ils allaient encore passer pour vérifier s’il y avait des survivants et que c’en était fini pour moi, mais ils ne sont pas revenus parce qu’ils étaient trop pressés.

Je suis resté là où je me trouvais… jusqu’à leur départ.

Selon des témoins, les soldats ont rassemblé les personnes en trois groupes – hommes, femmes et enfants – et leur ont tiré dessus à bout portant, achevant ceux qui étaient encore vivants.

Un homme de 25 ans qui a perdu 16 membres de sa famille, dont sa femme, sa mère et son père, a déclaré :

Ils [les soldats] étaient agités et parlaient par talkie-walkie en langue moré, avec un accent caractéristique de notre région. … Ils recevaient des instructions par talkie-walkie. … J’ai compris : « Faites sortir tout le monde ! ». … Dès que nous sommes arrivés sur la route principale, ils nous ont criblés de coups de feu. Ils ont tiré sur tout le monde.

Les gens se sont mis à tomber les uns sur les autres.

J’ai été blessé à l’épaule gauche. La balle a traversé mon aisselle et m’a cassé le bras. … Je pense que les soldats voulaient s’assurer qu’il n’y avait pas de survivants parce qu’avant de partir, ils ont tiré plusieurs fois sur des personnes qui étaient déjà à terre.

Une femme de 22 ans blessée à la jambe droite, à l’abdomen et aux épaules, dont la fille de 7 mois a été blessée au pied et au bras gauches, a déclaré :

J’étais à la maison avec ma fille. Soudain, le village s’est mis à grouiller, il y avait du bruit partout. Je n’ai pas quitté la maison jusqu’à ce que les soldats fassent irruption. Deux militaires sont arrivés devant ma porte sur deux motos, ils étaient habillés en tenue militaire burkinabè et portaient des casques. Ils m’ont demandé de sortir en me criant dessus en langue moré, en disant : « Tu es sourde ou quoi ?

Tu n’as pas entendu que tout le monde était dehors ? ».

J’ai pris ma fille, je suis sortie. Les soldats m’ont emmenée à l’endroit où ils avaient rassemblé toute la population de Soro. Ils m’ont fait asseoir avec [un groupe de] femmes. Quelques minutes plus tard, ils ont ouvert le feu sur nous. J’ai été grièvement blessée ; je ne me souviens de rien jusqu’à mon arrivée à l’hôpital.

Les habitants ont raconté avoir creusé des fosses communes pour enterrer les corps le 25 février. Un homme de 23 ans a déclaré :

Nous étions une dizaine. Le 25 février, nous avons creusé deux fosses communes, de 16 heures à 19 heures. Le lendemain, nous avons creusé six autres fosses communes.

Dans la première, nous avons mis 39 corps d’hommes ; dans la deuxième, nous avons mis 51 corps de femmes et d’enfants ; dans la troisième, nous avons mis 12 corps d’hommes ; dans la quatrième, nous avons mis des enfants de 6, 7 et 8 ans… Je ne me souviens pas de leur nombre, mais il y avait entre 9 et 10 enfants ; dans la cinquième tombe, nous avons mis 14 corps d’hommes ; et dans la sixième, nous avons mis 15 corps de femmes. Pour les septième et huitième tombes, j’étais trop fatigué pour regarder.

Je n’ai pas aidé à enterrer les corps dans ces deux dernières tombes, mais je sais qu’il y en avait 20 environ pour les deux.

Human Rights Watch a examiné et géolocalisé une vidéo transmise par un survivant et enregistrée le 9 mars à Soro montrant huit fosses communes. Pour chacune d’entre elles, le survivant a donné le nombre ou une approximation du nombre de corps qu’elle contenait, pour un total d’environ 170 corps.

Human Rights Watch a géolocalisé ces huit fosses communes en s’appuyant sur l’imagerie satellite du 15 mars. Six fosses communes sont clairement visibles sur l’image satellite, tandis que les deux autres sont cachées par l’ombre des bâtiments.

Traumatisme

Les survivants ont décrit des symptômes correspondant au syndrome de stress post-traumatique et à la dépression, notamment la peur, l’anxiété, l’incapacité à parler et à se concentrer, la solitude et l’insomnie.

« J’ai du mal à exprimer ce que je ressens et à me souvenir de ce qui s’est passé », a déclaré le survivant de 22 ans originaire de Soro. « Mon esprit est embrumé, mon regard est vide. »

« Ceux qui ont survécu, comme moi, ont été sortis d’un tas de cadavres », a déclaré le jeune homme de 25 ans originaire de Soro. « J’ai perdu 16 membres de ma famille ; ils ont tous été exterminés. Il ne reste plus que moi. Je suis seul. Je suis perdu et ébranlé. »

« Je ne sais pas ce que je ressens », a déclaré un survivant de 50 ans originaire de Nondin. « J’ai du mal à dormir. Je fais des cauchemars. Je revois les cadavres, les bébés, les femmes, allongés. J’entends les coups de feu. »

Les autorités devraient rapidement accorder des réparations adéquates, notamment une indemnisation, ainsi qu’un soutien aux moyens de subsistance et l’accès à des soins médicaux et psychologiques de long terme pour les survivants des deux attaques, a déclaré Human Rights Watch. Les donateurs internationaux dont l’Union européenne devraient augmenter leur soutien pour fournir de l’aide médicale et psychosociale aux victimes de violations graves des droits humains et du droit international humanitaire.

Justice et obligation de rendre des comptes

Les survivants des attaques de Nondin et de Soro ont déclaré qu’ils voulaient savoir qui avait ordonné les meurtres et exigé que les responsables rendent des comptes. Mais la généralisation des abus militaires et l’impunité qui en découle ne leur laissent que peu d’espoir de justice.

« Nous voulons que justice soit faite », a déclaré un commerçant de 25 ans originaire de Soro. « Nous voulons que les coupables soient punis. »

« Nous voulons que la vérité soit établie », a déclaré un homme de 50 ans originaire de Nondin. « Nous voulons savoir pourquoi on nous a fait ça et nous exigeons que les auteurs soient traduits en justice. »

Un activiste des droits humains qui a accompagné le 26 février des membres de familles de personnes tuées à Nondin et à Soro à la gendarmerie de Ouahigouya pour faire une déclaration, a déclaré : « Je savais qu’il s’agissait d’une étape nécessaire et cruciale à franchir dans le cadre de notre campagne en faveur d’une obligation de rendre des comptes, mais c’était également très douloureux car, d’une certaine manière, je sais qu’il n’y aura pas de suivi. »

Un homme de 43 ans, originaire de Soro, a déclaré :

Nous sommes allés à la gendarmerie de Ouahigouya et nous avons donné notre version des faits. Nous voulons que justice soit faite mais nous sommes déçus. Nous ne savons plus à qui parler, quand même nos propres soldats nous massacrent et qu’aucune justice n’a été rendue pour d’autres massacres.

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