Après avoir été refoulé à l’aéroport de Paris ce samedi 4 mai, un chirurgien britanno-palestinien accuse l’Allemagne de vouloir l’empêcher de témoigner des horreurs en cours à Gaza auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Ghassan Abu Sitta a soigné des blessés de l’hôpital al-Chifa à Gaza pendant un mois et demi. C’est en se rendant à un colloque sur ce sujet au Sénat français qu’il a découvert que l’Allemagne avait émis une interdiction de l’espace Schengen pour une durée d’un an.
Ce dimanche 5 mai, RFI a pu joindre par téléphone le médecin Ghassan Abu Sitta, rentré à Londres la veille après son interdiction d’entrée sur le territoire français. Entretien.
RFI : À l’aéroport Charles de Gaulle, près de Paris, quelle raison vous a été donnée concernant votre refus d’entrée sur le territoire français ?
Ghassan Abu Sitta : Les policiers qui ont traité mon cas m’ont simplement dit que je faisais l’objet d’une interdiction administrative de territoire. Ils me disaient que les Allemands avaient entré mon nom dans le système de l’espace Schengen. En avril, l’Allemagne m’avait refusé l’entrée sur son territoire mais le papier qu’ils m’avaient donné à ce moment-là ne stipulait qu’une interdiction d’un mois d’entrée sur le territoire allemand. Rien de plus n’a ensuite été mentionné à mes avocats en Allemagne.
À Paris, samedi, la journée a été exténuante.
J’ai été moins bien traité que par les autorités allemandes qui m’avaient simplement orienté vers la salle d’embarquement de mon vol retour vers Londres. Cette fois-ci, j’ai été placé en cellule de détention puis finalement, j’ai été escorté par des personnes armées jusqu’à mon avion. Les organisateurs du colloque auquel je devais participer au Sénat français ont bien essayé de résoudre le problème, sans succès.
RFI : Vingt-quatre heures plus tard, avez-vous compris ce qu’il s’était passé ?
Ghassan Abu Sitta : Jusqu’à présent, on ne m’a pas donné de raison officielle. Apparemment, je fais l’objet d’une interdiction administrative de territoire dans l’espace Schengen. Si j’ai bien compris, il y a des interdictions légales et des interdictions administratives. Dans le cas d’une interdiction administrative, le pays émetteur n’a pas de justification à donner.
Je pense qu’il s’agit d’une tentative des autorités allemandes de faire pression sur le fonctionnement de la CPI pour empêcher des personnes qui pourraient devenir des témoins de se rendre à la Haye.
Je fais partie du processus d’enquête mené par la CPI sur les possibles crimes de guerres commis dans la guerre à Gaza. J’ai fourni des preuves et je suis censé m’y rendre dans un mois. Les Pays-Bas font partie de l’espace Schengen. Mes avocats sont donc en relations avec la CPI, et avec les autorités allemandes, sur cette question.
Je devais également donner une série de conférences dans des universités néerlandaises et rencontrer le directeur de l’agence des Nations unies sur les armes chimiques au sujet de l’utilisation du phosphore blanc par les Israéliens.
Je pense que mon interdiction de territoire fait partie d’une campagne concertée. Le procureur de la CPI Karim Khan a déclaré vendredi dernier avoir subi de fortes pressions de la part de l’administration américaine, du Congrès américain et des gouvernements européens pour l’empêcher de délivrer des mandats d’arrêts contre Benyamin Netanyahu et les dirigeants de l’armée israélienne.
Les gouvernements européens ont multiplié par dix les livraisons d’armes à Israël depuis le 7 octobre.
Ils continuent de fournir des armes à Israël après que la Cour internationale de justice a décrété qu’il s’agissait possiblement d’une guerre génocidaire. Cela montre qu’ils sont complices, pas seulement en tant que soutien d’Israël, mais aussi complices du projet génocidaire.
RFI : Vous êtes pourtant invité à vous exprimer dans de nombreux pays d’Europe.
Ghassan Abu Sitta : Absolument, je suis invité en Espagne en Italie, en Irlande… Cette guerre génocidaire est la crise morale du XXIe siècle. La raison pour laquelle les étudiants universitaires manifestent dans le monde entier est que tout le monde reconnaît l’horreur de ce qui est perpétré, à l’exception des gouvernements européens et des États-Unis.
RFI : Votre collègue, le chirurgien Adnan al-Bursh, est mort dans une prison israélienne le 19 avril dernier, selon les autorités israéliennes. Ces dernières refusent de rendre le corps à la famille. Espérez-vous réussir à connaître les circonstances de sa mort ?
Ghassan Abu Sitta : J’ai travaillé avec Adnan al-Bursh durant la guerre de 2021, puis nous avons collaboré sur des programmes de formation à Gaza et à nouveau durant cette guerre.
Le docteur Adnan al-Bursh était le chef du service de chirurgie orthopédique de l’hôpital al-Chifa. Il avait été formé au Royaume-Uni, où il avait suivi une formation complémentaire dans le domaine de la reconstruction complexe des membres, un domaine qui fait cruellement défaut à Gaza à cause de toutes les guerres.
Lorsque les Israéliens ont encerclé pour la première fois al-Chifa, il a refusé de quitter ses patients.
Finalement, l’Organisation mondiale de la santé a organisé une évacuation des patients et du personnel. Il est alors parti dans le nord de Gaza pour travailler dans un autre hôpital où il a été blessé. Il a finalement été arrêté par les Israéliens en décembre dernier. Des témoins oculaires ont rapporté qu’il avait été battu par les gardes de la prison et qu’il avait des marques de blessures à la tête quand ils l’ont vu dans la cellule.
Les Israéliens refusent toujours de rendre son corps pour permettre une autopsie appropriée.
Ils refusent d’autoriser la famille à récupérer le corps. Nous pensons qu’ils attendent que le corps se décompose pour effacer les preuves. Il n’y a aucun recours juridique possible aujourd’hui
Les gouvernements européens passent leur temps à essayer de faire taire les quelques témoins qui vivent à l’étranger. Nous ne nous attendons pas à ce qu’ils fassent pression sur les Israéliens pour les empêcher de faire taire les témoins qu’ils ont dans leurs prisons. Politiquement, l’Europe est complice du génocide.
RFI