Reconnaissance de l’État palestinien : « Un acte juridique mais aussi un acte politique »

L’Espagne, la Norvège et l’Irlande ont officiellement reconnu l’État de Palestine, mardi, répondant ainsi à une aspiration palestinienne de longue date. Le gouvernement Netanyahu estime, quant à lui, que cette décision est une « récompense pour le Hamas ». Alors que le nombre de victimes civiles ne cesse de croître à Gaza, les experts interrogés par France 24 espèrent que cette décision pourra donner un nouvel élan aux pourparlers de paix.

L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont tenu promesse en reconnaissant officiellement, mardi 28 mai, l’État de Palestine. Dans une allocution télévisée, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a qualifié cette décision d’”historique”. Les trois nations aspirent à encourager d’autres pays européens à suivre leur exemple.

Le Vieux Continent reste cependant divisé sur la question. Sur les 27 États membres de l’Union européenne, 10 ont reconnu l’État palestinien : Chypre, la Suède, la Hongrie, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et maintenant l’Irlande et l’Espagne.

Malte et la Slovénie ont indiqué qu’elles suivraient le mouvement, tandis que la France et l’Allemagne estiment que le moment n’est pas encore venu.

En octobre 2014, la Suède a été le premier pays occidental à reconnaître officiellement l’État de Palestine. Pour la ministre des Affaires étrangères de l’époque, Margot Wallstrom, c’était une “étape importante qui confirme le droit des Palestiniens à l’autodétermination”.

La Norvège, qui n’est pas membre de l’UE mais de l’espace Schengen, a joué un rôle majeur dans l’accord de paix entre Israéliens et Palestiniens de 1993 en accueillant les pourparlers secrets qui ont abouti aux accords d’Oslo, la tentative avortée d’une solution à deux États.

Aujourd’hui, sur les 193 États membres des Nations unies, plus de 140 ont officiellement reconnu un État palestinien.

Ces reconnaissances internationales ont débuté en 1988, lorsque le Conseil national palestinien a déclaré unilatéralement son statut d’État et publié une déclaration d’indépendance.

Pour mesurer l’impact potentiel de la reconnaissance de l’État palestinien, France 24 a interrogé deux juristes, Céline Bardet, spécialiste des questions de crimes de guerre, et Johann Soufi, avocat et ancien chef du bureau juridique de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) à Gaza.

Pourquoi la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État est-elle importante ?

Céline Bardet : D’un point de vue juridique, la Palestine a déjà un statut d’observateur à l’ONU (la Palestine est un État observateur non membre des Nations unies depuis 2012, NDLR), mais sa reconnaissance la met sur un pied d’égalité au sein des instances internationales. Et ça, c’est extrêmement important.

De plus, celle-ci donne à la population palestinienne une identité, même si je pense que les Palestiniens sont tout à fait conscients de leur propre identité.

Avec cette démarche, la Palestine existe légalement.

Ça veut dire que les Palestiniens deviennent membres d’un État, ce qui est très important pour eux. Le côté juridique est important, mais je pense que l’importance de tout ça, c’est avant tout le symbole.

Johann Soufi : L’existence d’un État ne dépend pas de sa reconnaissance. D’un point de vue lexical, l’existence d’un État précède sa reconnaissance. Reconnaître quelque chose signifie simplement reconnaître son existence.

L’État palestinien existe déjà.

Cent quarante-trois États membres des Nations unies le reconnaissaient comme un État souverain (en ayant voté pour l’adhésion entière de la Palestine à l’ONU, NDLR). La Palestine fait partie du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et est considérée comme un État par l’Unesco.

Mais la Palestine est confrontée à un problème unique. Elle n’est toujours pas membre à part entière des Nations unies. Je pense que c’est un point extrêmement important parce qu’en réalité, [être membre] vous donne le droit de voter et vous donne également une influence politique. C’est une forme de pouvoir.

Pour qu’un État soit pleinement admis à l’Assemblée générale des Nations unies, la Charte des Nations unies exige que les deux tiers des États membres votent en sa faveur – ce qui est déjà le cas.

Elle exige également que le Conseil de sécurité de l’ONU donne son feu vert à la décision par un vote unanime. Et c’est là que le bât blesse. Les États-Unis ont opposé leur veto, et tant qu’ils le feront, la Palestine ne sera pas membre à part entière de l’ONU.

Pourquoi pensez-vous que l’Espagne, la Norvège et l’Irlande ont pris cette décision maintenant ?

Céline Bardet : La reconnaissance d’un État par la communauté internationale est un acte juridique de droit international public. Mais c’est aussi un acte politique.

Quand on voit l’ampleur du conflit ces derniers mois et ce qui se passe à Rafah, on comprend que ces décisions – surtout lorsqu’elles sont prises par des pays européens – jouent un rôle important pour pousser au dialogue et à la recherche de solutions.

De mon point de vue, il n’y a pas de solution sans dialogue entre deux États [Israël et Palestine]. Cette décision légitime la Palestine dans sa position et dans son existence. Elle lui donne plus de pouvoir pour pousser les négociateurs à conclure un accord de cessez-le-feu.

Johann Soufi : Le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, affirmait, lundi à la BBC, que puisque les Palestiniens ont un État depuis 1948, ils ont le droit à l’autodétermination et à la protection en vertu du droit international. Il s’agit donc avant tout d’une question de justice.

D’un point de vue plus politique, c’est aussi le seul moyen de redonner espoir au processus de paix. Lorsque l’on parle d’une solution à deux États comme seule alternative crédible à la guerre, il faut qu’il y ait deux États. Si nous ne reconnaissons pas l’un des deux États, il ne peut y avoir de solution à deux États.

Quelles perspectives la reconnaissance du statut d’État palestinien ouvrent-elles ?

Johann Soufi : C’est très bien de reconnaître juridiquement un État. Mais un État doit pouvoir contrôler un territoire et ses frontières, contrôler l’entrée et la sortie des biens et des personnes.

En réalité, la Palestine n’est pas un État parce qu’elle ne contrôle pas son territoire. Elle est occupée [par Israël, NDLR] depuis 1967. Donc, de manière très pragmatique, ce qui fera vraiment de la Palestine un État, c’est lorsqu’elle pourra exercer tous les droits qu’un État a sur son territoire et sa population.

Lorsque je parle de contrôler son territoire, cela implique également de délimiter les frontières.

Et c’est le problème de la poule et de l’œuf. Certains disent qu’il faut d’abord se mettre d’accord sur les frontières de la Palestine et que ce n’est qu’ensuite que l’on pourra reconnaître son existence. C’est une façon de repousser éternellement la reconnaissance officielle et toute avancée vers un véritable État palestinien.

Il est important de savoir où commence et où finit un État, mais cela ne doit pas être un facteur déterminant dans la reconnaissance ou non de l’État de Palestine. Reconnaître l’État palestinien, c’est reconnaître son peuple, son droit à l’autodétermination et son droit à vivre en sécurité sur son territoire.

Céline Bardet : Je pense que c’est un geste important en vue de la reconstruction [à la fin de la guerre, NDLR] et de qui gouvernera la Palestine.

Pour les Palestiniens, la reconnaissance ne changera pas leur vie du jour au lendemain comme un coup de baguette magique. Mais si elle permet de trouver une solution au conflit, cela changera certainement la vie des gens.

france24

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