« Le pire, c’est de ne pas savoir » : Kenza, sans nouvelles de son frère disparu en mer près de Ceuta

Kenza cherche désespérément son petit frère, Hamza, originaire de Tizi Ouzou en Algérie. Le jeune homme de 27 ans a tenté, en août 2023, d’atteindre l’enclave espagnole de Ceuta à la nage. Il reste depuis introuvable. Témoignage.

« Jamais je n’aurais cru devoir subir ça. La disparition de mon frère.

Hamza est parti de chez moi, à Tizi Ouzou, le 7 juin 2023. Il ne m’avait pas prévenu, il a pris un petit sac à dos, ses claquettes, un short et un t-shirt. Au début, je pensais qu’il était chez des amis, il faisait souvent ça.

Et puis au bout de trois jours il m’a appelé et m’a dit : ’Je suis au Maroc, je vais nager jusqu’en Espagne’. J’ai eu un choc.

Fnideq, au Maroc,se trouve à quelques kilomètres seulement de l'enclave espagnole de Ceuta. Crédit : Google Maps

Il a toujours voulu partir en Europe. On a deux frères et une sœur en France, il voulait les rejoindre.

Et il disait que la vie en Algérie, c’était fatigant. Ici, même les jeunes avec un diplôme ne trouvent pas de travail, et ils s’ennuient.

Alors dès que Hamza est entré à l’université en sociologie, il a fait des demandes de visa étudiant. À chaque fois, elles ont été refusées. Il en a fait une dernière cette année, pour l’Espagne cette fois. Il a reçu un ultime refus le 1er juin. Celui-ci, il ne l’a pas accepté : six jours après, il a quitté l’Algérie.

Nous, on lui a toujours dit d’attendre d’avoir des papiers pour partir, que la mer, c’était risqué. Mais il n’a pas voulu nous écouter.

Le 31 mars, le corps d’un migrant « maghrébin » a été retrouvé par la Garde civile sur la plage de Ribera, à Ceuta. Trois semaines plus tôt, un autre corps sans vie avait été trouvé au milieu des rochers, et un autre candidat à l’exil avait disparu la veille.

De Tizi Ouzou, il a d’abord pris un taxi pour la Tunisie, où il avait réservé un vol pour le Maroc.

Arrivé à Casablanca, il est monté dans le train pour Fnideq [ville marocaine frontalière de Ceuta, ndlr]. Ce passage, ce sont des amis à lui qui lui en ont parlé. Les vidéos de jeunes ayant réussi la traversée l’ont définitivement convaincu de faire pareil.

Depuis le début de l’année, les tentatives de traversée à la nage pour Ceuta depuis les côtes marocaines sont en augmentation. Entre le 1er janvier et le 1er mars 2024, environ 200 exilés sont arrivés à Ceuta par la mer. En 2023, seuls 12 avaient été comptabilisés par le ministère de l’Intérieur sur cette voie.

« Il attendait que la mer soit agitée »
Depuis Fnideq, il a tenté à trois ou quatre reprises de nager jusqu’à Ceuta. À chaque fois, il a été intercepté par les garde-côtes marocains, qui lui ont confisqué sa combinaison de plongée et ses palmes. Et à chaque fois aussi, il a été renvoyé en bus à Casablanca, d’où il revenait en train.

La veille de sa disparition, le 3 août, il m’a appelé vers 22h.

On a discuté. Il m’a dit que les traversées se faisaient la nuit, à partir d’1h du matin. Et qu’il attendait, avec ses amis, que la mer soit agitée pour partir. Il disait que comme ça, il y aurait moins de garde-côtes.

D’après la police espagnole, le mauvais temps est effectivement synonyme de traversées.

Les exilés pensent que les vagues et les courants vont les aider à atteindre la côte de l’enclave plus rapidement. Mais nager par ce temps dans une mer démontée est très risquée. Ceux qui parviennent à atteindre les plages espagnoles sont épuisés et présentent souvent des coupures et des contusions causées par les rochers sur la plage.

Hamza ne m’a pas prévenu qu’il s’apprêtait à faire une nouvelle tentative cette nuit-là.

Et depuis, je n’ai plus de nouvelles. Sa dernière connexion à WhatsApp remonte au 3 août à 23h57.

Il avait dit à un ami à lui qu’il tenterait la traversée très tôt le matin du 4, avec d’autres jeunes. Eux, ils ont réussi à atteindre Ceuta. Et ils ont commencé à s’inquiéter quand ils ont vu que Hamza n’était pas là.

« On attend dans le vide »
Ça va faire bientôt un an qu’il est parti de la maison, et je me sens détruite. C’est le bon mot. J’aurais préféré qu’on me dise : ‘Votre frère est mort’. Le pire, c’est de ne pas savoir, de ne pas avoir de corps. On attend dans le vide.

Chacun y va de son scénario : pour certains, il est dans une prison au Maroc. Est-ce que c’est possible ça ? Est-ce que la police garde les ‘harragas’ [« brûleurs de frontières », ndlr]?

Je me demande aussi comment il a fait pour avoir l’argent nécessaire à ce voyage. À Tizi Ouzou, il avait un petit boulot dans une pizzeria. Mais il dépensait tout ce qu’il gagnait en vêtements et en chaussures. Il faisait très attention à son apparence.

Mes parents sont malades de sa disparition. Mon père est en dépression. Il ne vit plus.

La disparition de Hamza a tout changé dans ma vie. Quand je souris ou que je passe un bon moment, je pense à mon frère, et là, tout s’arrête. On est croyant dans la famille, mais c’est tellement dur et usant, si vous saviez ».

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